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Bilan mitigé d'un festival pas comme les autres
FIFAK 2007 (Tunisie)
critique
rédigé par Mohamed Nasser Sardi
publié le 06/11/2007

Le Fifak 2007 a vécu. Nous pouvons certes parler de plusieurs aspects de ce festival : une organisation approximative, un laisser aller qui peut porter préjudice même à son existence, un public en or malgré son indiscipline, le théâtre de plein air qui ne se désemplit pas depuis plusieurs sessions, une ambiance bon enfant et décontractée qui est devenue une marque de fabrique de cette rencontre presque quinquagénaire, le nombre limité des pays participants (hors sélection UNICA) et l'absence de l'Afrique subsaharienne… Mais ce ne sont là que des impondérables que nous constatons lors de presque toutes les sessions, et qui auraient pu être évités avec un peu plus de rigueur et de disponibilité. D'ailleurs, ceux qui sont venus pour la première fois à Kélibia (tunisiens et étrangers) ont minimisé ces aspects controversés du festival, pour ne retenir que cet enthousiasme, cette fraîcheur et cette audace dans les propos qui font du festival du cinéma amateur de Kélibia une manifestation particulière dans son genre et qui contraste avec la tendance nouvelle de faire des rencontres cinématographiques un cadre hautement organisé et sophistiqué. Voire totalement stéréotypé.
L'important n'est pas là, même si nous espérons que des leçons seront retenues pour mieux gérer cette fête cinématographique tout en gardant son esprit.
L'important n'est pas là, car l'histoire ne retiendra en réalité que la production filmique. C'est la seule trace qui persistera quand tout le reste sera oublié. D'ailleurs, on se souvient rarement d'une session par les aléas qui l'ont jalonnée ; par contre, on se souvient mieux de la session où Le tunnel (Mohamed Abdessalem, Belgacem Hammami, Ridha Ben Hlima) a eu un prix, ou celle où Taalila (Anouar Lahouar) fut quasiment ignoré, ou bien celle où les prix furent "diplomatiquement" attribués.
Alors, qu'allons nous retenir du cru 2007 ?

Films Internationaux

Commençons par les films venus d'ailleurs pour dire que nous fument confirmés dans ce que nous savons : la maîtrise esthétique et la poésie du cinéma iranien, l'importance de l'aspect technique et formel des films de l'INSAS (Institut national supérieur des arts du spectacle - Belgique), la qualité des films d'école égyptiens et l'absence d'incidence de la valeur de ce cinéma sur le produit commercial dans le pays du Nil, le genre de courts métrages que propose l'UNICA (Union international des films non professionnels) qui repose sur l'anecdote et la réussite de la chute… Bref ! Rien de nouveau à l'horizon ; en tout cas, rien qui sort de l'ordinaire, ni dans la forme, ni dans le discours. Et si nous avons à retenir quelques films de cette section, c'est rarement par leur originalité, mais plutôt pour leur maîtrise technique ou l'audace du propos. Nous pouvons citer dans cet ordre d'idées, le faucon d'or National ID de l'Égyptien Mohamed Mohsen qui aborde "l'omission" de l'être humain ordinaire par la Société Nouvelle ; omission qui se transforme en indifférence avant de se muer en quasi inexistence (invisibilité) sauf s'il y a fabrication de "l'événement" (le suicide). Il y a aussi deux films iraniens, même s'ils n'ont pas eu de prix. Kamanche de Saeid Shah Hosseini est un documentaire sur la fabrication du violon traditionnel perse. En partant du bois qu'on scie, le réalisateur nous guide à travers les sons stridents et mécaniques de tous les outils et machines qu'utilise l'artisan, pour nous emmener vers le sublime jaillissement de l'air musical ; le tout sans commentaires et à travers l'alternance de plans rapprochés et de plans moyens qui mettent en valeur aussi bien les détails de fabrication que l'ambiance générale de l'atelier. Metamorphosis de Farhad Alizade parle aussi de musique, mais à travers une animation, toute en poésie, qui exprime la genèse et la libération de notes aériennes par un naï assimilé à un tube où nichent des oiseaux qui veulent prendre leur envol. Nous pouvons encore citer Les corps silencieux de Ludivina Diaz (Insas), où seuls les regards, la gestuelle et des images d'une esthétique envoûtante, expriment l'amour passionnel que porte une jeune fille à une femme. In golf we trust de l'Argentin Mazzeo Pablo est un autre film qui peut plaire par l'humour qu'il dégage et par une chute totalement inattendue, surtout qu'il aborde, à travers les malheurs d'un golfeur maladroit, des problèmes aussi fondamentaux que les rapports entre classes sociales.
Reste le film Marazik de Amal Fawzi (Égypte). Ce documentaire, lauréat du faucon d'argent, montre la vie des petites gens d'une région du Haut Plateau égyptien en filmant la précarité et la misère, aussi bien matérielle qu'affective, de leur quotidien et l'exiguïté de leurs horizons. Seulement, ces images et ces propos des protagonistes, parfois insupportables, sont fortement atténués par un parti pris de la réalisatrice qui essaie (dès la dédicace initiale) de mettre en valeur et de glorifier le sentiment de résignation et d'acceptation, par ces personnes, des réalités établies. Elle va jusqu'à présenter cette résignation comme la qualité essentielle de ces personnes vu que ça ne peut pas être autrement (d'après Amal Fawzi). Un film qui aurait gagné à être lu au second degré, s'il n y avait pas eu cette dédicace du début.

Films Tunisiens

Les films tunisiens proviennent de trois sources:

1 - Les films d'écoles:
Certes, nous pourrons entrer dans la logique de classer les films d'école selon qu'ils proviennent d'institutions spécialisées dans l'audiovisuel ou d'institutions qui abordent marginalement cet enseignement (Beaux Arts, Arts et Métiers,..); mais ceci peut entraîner l'approche des films vers des paramètres autres que cinématographiques. Ce qui n'est pas notre propos ici. Restons donc dans le cinéma pour regretter, en premier lieu, l'absence de certains instituts (EDAC, ESAC, …). La seconde constatation est la régularité de la présence des films de l'ISAMM (Institut supérieur des arts des multimédias) aussi bien en nombre qu'en qualité. Il y a aussi la nette amélioration des films de l'École des beaux arts de Nabeul comparés aux sessions précédentes, ainsi que l'entrée en lice de la Faculté de Manouba.
Reste que les "vraies perles" sont rares. Il y a bien Une vie de Wafa Ammari (Isamm) qui raconte la monotonie de la vie d'une femme au foyer, depuis le mariage jusqu'à la vieillesse, à travers des ellipses ponctuées par des passages sous une pendule sans aiguilles qui rend l'insignifiance du temps dans l'existence de cette femme; le tout dans un décor minimaliste au maximum (un arrière plan totalement noir). Un autre film de l'Isamm, Or et os (Aymen Yahia - Kamel Ben Toumi), présente aussi une maîtrise narrative et technique prometteuse, même si son sujet, l'aventure paranormale d'un pilleur de tombes chrétiennes, n'a pas semblé plaire à beaucoup de monde et parait ne pas cadrer avec l'esprit du festival. Quand au film Al Beïtou katila de Wissal Ben Hlima (Isban), une adaptation libre d'un poème de Mahmoud Darouiche, il pêche par une difficulté d'aborder son continu, malgré des qualités techniques et esthétiques appréciables. Pour la Faculté de Mannouba, elle inaugure sa présence à Kélibia par Les blanches ailes de la mort de Mehdi Hmili, un des rares films tunisiens à faire référence aux arts plastiques et à aborder des thèmes philosophiques; reste qu'il gagnera à être remonté en enlevant toutes les scènes superflues et les répétitions. Les mêmes remarques peuvent être faites à un film comme La flûte de Karim Hanini (Isamm). Reste l'œuvre La fenêtre de Aida Chamekh, une production tuniso-italienne qui pose des questions aussi bien sur la mémoire, que sur le cadre (le cinéma !) et le regard. Le tout agrémenté d'un superbe texte poétique énoncé en voix off, et d'une image tout aussi poétique.

2- Les films indépendants :
Le nombre de films indépendants présentés cette session à la sélection était de vingt trois (23). Les œuvres choisies pour la compétition nationale sont au nombre de sept (07), presque autant que les films de la FTCA (09). Ils prennent ainsi une importance de plus en plus grande dans le festival, surtout que la qualité est aussi présente. Mais à voir de plus près cette production, on remarque qu'ils sont l'œuvre d'étudiants de cinéma, d'anciens membres de la Ftca, et même d'actuels membres de la fédération qui veulent travailler en dehors. Est-ce que ceci porte préjudice à la Ftca ? Est-ce la preuve d'une vigueur nouvelle et d'un nouvel élan du cinéma indépendant en Tunisie ? Les prochaines sessions nous donneront sûrement les réponses. Mais ce qui est remarquable est que la plupart de ces films ont apporté une brise de fraîcheur et d'originalité au festival. À tout seigneur tout honneur, commençons par Aéroport Hammam Lif de Slim ben Echikh, médaille d'or du festival. C'est un documentaire qui a réussi à faire adhérer la quasi-totalité des opinions autour de lui, par l'audace de son propos, par la spontanéité et la sincérité des témoignages glanés, et par l'actualité du sujet abordé, l'émigration clandestine. Quant à La vérité en noir ou blanc de Hamza Ouni, c'est une fiction au casting prestigieux (Jamel Madani, Riadh Hamdi,..) qui allie une idée originale, la lecture d'une lettre par des personnes différentes chacun selon ses états d'âme et ses frustrations, à des situations humoristiques. Dommage que son écriture, plus proche de celle d'un long métrage, donne l'impression d'inachevé. Ejjinti (Génération) de Mourad Hamzaoui souffre du même handicap en abordant des problèmes aussi cruciaux que la délinquance juvénile et le déchirement du tunisien. Quant à Lilet Aîd (Par une nuit d'Aîd) d'Achraf Laamar, s'il confirme l'implication de plus en plus importante d'acteurs professionnels et de techniciens issus d'écoles de cinéma dans la production amateur (encore Jamel Madani), il se distingue aussi par un sujet qui aborde une réalité internationale, celle du mépris du Monde arabe par l'Occident, à travers l'exécution de l'ancien maître de Bagdad à l'aube de l'Aîd ; le tout enveloppé dans une ambiance mystique. Reste juste à parler du film Miroir de Ramzi Ben Rhouma, pour dire que ce sujet du miroir et du reflet de l'image, est omniprésent depuis plusieurs sessions. Serait ce une manière de la quête de soi et de la recherche d'une identité ? C'est certainement le thème récurrent, directement ou avec subtilité, de presque tous les films tunisiens.

3- Les films de la FTCA :
Commençons par un constat : depuis quelques années, et d'une session à une autre, il est de plus en plus difficile de trouver des films amateurs aboutis. Seules quelques exceptions (Taalila de Anouar Lahouar, Le mur de Fethi ben Slama, Carapaces de Sabrine Hrira, Qui aime le cinéma de Karim Souaki, Phénix de Sami Tlili, Crocs urbains de Marouane Meddeb) ont pu échapper, lors des quatre ou cinq sessions précédentes, à ce qui parait comme un nivellement par le bas. Justement, lors de la session 2007, aucun de ces enfants prometteurs de la Ftca n'a présenté un film. Du fait, aucun travail produit par la fédération n'a pu tenir la comparaison.
Malgré des idées intéressantes, les vingt neuf (29) œuvres amatrices présentées à la sélection ont paru en deçà de ce que nous pouvons attendre d'une "Institution" presque quinquagénaire. Des douze films sélectionnés dans les compétitions nationale et internationale, seul Le toit de Hamza Belhaj (Club Sousse Medina) se détache par un scénario original et par des qualités esthétiques appréciables. Reste que ce film a profité d'un encadrement et de moyens quasi professionnels, ce qui ne diminue en rien de sa valeur, mais le place en marge de la production Ftca. Les autres films souffrent d'un laisser aller dans l'écriture (Rêve inachevé de Maauia El Maaoui, Club Hammam Ghezaz ; La langue de feu d'Abdelaziz Bouchmel, Club Hamma), dans le filmage (Phase neutre d' Erij Ben Slimene Club Hammam Ghezaz), ou dans le montage (1m10 de Mohamed Ali Elmnasli, Club Kélibia ; Duplicité d'Oumaima Miladi, Club de Sousse). Il est regrettable que ces belles idées de films, tout en enthousiasme et en spontanéité, soient gâchées par un manque de savoir faire et un manque de travail de fond que la Ftca a les moyens de minimiser au maximum.
Il est peut être temps, vu l'usure qui touche d'année en année la production des films amateurs, que la Ftca repense sa politique de formation, aussi bien au sein des clubs, qu'au niveau des stages nationaux. Le Festival de Kélibia englobe maintenant des films provenant d'autres sources que le produit amateur ; il a les Écoles et les Indépendants qui placent la barre un peu plus haut côtés technique et traitement cinématographique ; si la production de la Ftca ne suit pas cette courbe montante, elle risque de se trouver reléguée en arrière plan au sein même de son propre festival. La formation doit revenir à ce qu'elle fût avant, c'est-à-dire : elle doit se faire au niveau des clubs et dans la continuité. Les stages nationaux ne peuvent être que des stages de perfectionnement pour les membres les plus en avance dans leur formation. Les films doivent aussi être préparés sérieusement, aussi bien dans l'écriture, que dans le tournage et la post-production, et non dans la seule perspective du Festival.
Et si les problèmes d'organisation peuvent être "corrigés" facilement, ceux de la production ne peuvent se faire que par l'établissement d'une stratégie à moyen terme.

Naceur SARDI

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