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Les affres de La Noire de …
Thérèse Mbissine Diop, actrice
critique
rédigé par Fatou Kiné Sène
publié le 21/11/2007

Présente aux premières Rencontres cinématographiques de Gorée (du 15 au 18 novembre 2007), Thérèse Mbissine Diop ou "Diouana" dans le film La Noire de... garde toujours une dent contre son pays. Exilée à Paris, l'héroïne du premier long-métrage de Sembène, revient sur la souffrance vécue après l'interprétation de ce rôle.

Le temps n'a rien effacé de la souffrance vécue après sa prestation dans le premier long-métrage de Sembène, La Noire de... Aujourd'hui, son âge avancé l'oblige à marquer un long silence avant de répondre à une question. Mais le charme de la dame demeure. Elle, cette Sérère de la petite côte de Fadhiouth, garde toujours cette noirceur d'ébène, 41 ans après la sortie du film. L'héroïne avoue n'avoir pas eu une vie facile. "Cela a été très dur, on me voyait comme une révolutionnaire", se souvient-elle encore. Parce qu'elle travaillait pour dépendre d'elle-même. "J'avais ma personnalité".
Même si ceux qui l'ont toujours méprisée font aujourd'hui semblant de l'accepter, note-t-elle, "ils m'ont assez lancée de cailloux et abreuvée d'injures". Parce que, souligne-t-elle, "à la sortie du film <La Noire de... en 1966, c'était comme si j'avais lancé une bombe au Sénégal". Et pour cause, la scène de nudité tournée dans le film a été mal perçue.
Dans le film de Sembène, "Diouana", une jeune femme emmenée de Dakar en France pour être la bonne de coopérants retournés au pays. Une scène la montre dans sa chambre, déshabillée. "Beaucoup de femmes, se souvient l'actrice, ne voulaient pas me voir auprès de leurs filles, de peur qu'elles deviennent des "putes" comme moi". Et, pourtant elle est une vraie militante de la cause de la femme. Mais pour nombre de ses compatriotes, la femme ne méritait pas d'avoir un autre métier que celui d'être à la maison pour faire des enfants et la cuisine. Pour elle, les Sénégalais craignaient Sembène. "Mais, ils tapaient sur moi, pour atteindre Sembène. Je payais à la place de Sembène, car ils n'osaient pas attaquer Sembène".
Mais ce mépris n'était pas seulement l'œuvre des populations qui confondaient personnage et personne. Les hautes autorités de ce pays lui ont, à l'époque, souvent mis des bâtons dans les roues. En 1967, invitée au Festival de Cannes, Thèrèse Mbissine Diop a raté le rendez-vous. Non pas parce qu'elle ne voulait pas s'y rendre, mais l'invitation était bloquée par le directeur des actualités sénégalaises. Ce n'est finalement qu'en 2005 à la semaine de la critique, qu'elle a pu participer au Festival de Cannes à côté de Sembène. Sa vocation de faire de la tapisserie aux Manufactures des arts décoratifs de Thiès, sur les conseils de feu Abdou Anta Kâ, a été aussi découragée par les rendez-vous non respectés du directeur d'alors. Selon elle, il faut que l'État aide les artistes. Une revendication qu'elle a eu à mener avec l'actrice Isseu Niang.
"En 1969, je devais me rendre en Russie pour le tournage du film Soleil noir, le ministre de la Culture m'avait coincée, me demandant d'aller chercher l'autorisation de mon mari ; alors que je n'avais même pas de fiancé", regrette Thérèse Mbissine Diop. Cet ostracisme a poussé l'actrice à s'exiler à Paris en 1976, où elle vit depuis. "Et, c'est parce que le Sénégal ne m'a servi que des injures, que j'ai quitté le pays", confie "Diouana". Cette stigmatisation, qu'elle n'arrive toujours pas à oublier, même avec les séances de Yoga qu'elle pratique, aura de réels effets dans la suite de sa carrière. "Ma vie a été très difficile, parce que j'ai eu l'audace de faire du cinéma". Il lui sera tout aussi difficile de décrocher un rôle, sa peau constituant un obstacle, nourrissant des clichés. Mélangé à cela la jalousie de ses collègues du milieu du cinéma.
"Lors des castings, on me regardait de façon bizarre, parce que j'étais trop noire. On me proposait de jouer dans des films pornographiques", rapporte-t-elle. Tout en souhaitant que les jeunes femmes actrices ne subissent pas le même sort qu'elle, Thérèse Mbissine Diop les encourage à embrasser ce métier, qui avertit-elle, "n'est pas facile". Mais, avise-t-elle, "il ne faut pas courir derrière les réalisateurs ; s'ils tiennent à vous, ils vous trouveront". Outre sa passion pour le 7è art, Thérèse Mbissine Diop était attirée par la musique. "J'ai failli devenir chanteuse de Manu Dibango, mais c'est parce que je ne voulais pas vexer mon père que j'y ai renoncé".
Cependant, il y a des réactions positives après La Noire de... "Diouana" avoue d'ailleurs que "tout n'a pas été amer avec ce rôle", car le film a remporté le Tanit d'Or à sa sortie en 1966 au Festival du film de Carthage.
De Sembène, qu'elle a rencontré à Dakar un mois avant son décès (survenu le 09 juin 2007), Thérèse Mbissine Diop reconnaît, dans un premier temps, qu'il lui est "un peu difficile de parler de l'homme". Avant de lâcher : "Il était dur en même temps et on n'arrêtait pas de s'engueuler comme de petits gamins. Aujourd'hui, je n'ai plus personne pour m'engueuler".

Fatou Kiné SÈNE

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