AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
24 940 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Dynamisme, diversité et renouveau soufflent sur le cinéma marocain
critique
rédigé par Tahar Houchi
publié le 05/12/2007

La 9e édition du Festival national du film de Tanger a permis de découvrir une nouvelle génération de réalisateurs marocains.Celle-ci devra toutefois s'affranchir des contraintes du système actuel pour s'affirmer.

Le cinéma marocain s'affirme aujourd'hui, aux côtés du cinéma sud-africain, comme l'un des plus dynamiques et plus prolifiques du continent africain.
La 9e édition du festival national du film de Tanger qui s'est tenue du 18 au 27 octobre en a apporté une démonstration probante. Au-delà de la créativité, la richesse et la diversité qui caractérisent le cinéma
de ce pays, la nouvelle génération peine à imposer sa marque de fabrique ou sa griffe de tigresse intraitable. Saura-t-elle prendre la relève et relever le défi ?
La cuvée 2007 comportait 25 longs-métrages et 28 courtsmétrages. Si pour la première catégorie, les organisateurs n'ont fait aucune sélection, pour la deuxième il a fallu choisir parmi les 150 courts-métrages présentés. Ce nombre impressionnant reflète autant
une frénésie juvénile qu'une politique étatique de soutien au cinéma. Le Centre cinématographique marocain (CCM) distribue la somme de 5 millions d'euros par année, alors que les entrées d'argents dues à des tournages étrangers s'élèvent aussi à 5 millions d'euros. Force est de constater que rien ne sort du lot. Abstraction faite de la diversité des thématiques abordées, les oeuvres présentées partagent une certaine homogénéité, voire un formatage récurrent.

Une industrie naissante

Au grand bonheur des cinéastes, on constate que les Marocains vont de plus en plus au cinéma. La consommation du produit audiovisuel est quasi phénoménale dans cette société composée essentiellement de jeunes, et contenant un nombre important d'analphabètes (35% de la population en 2005). Contrairement à leurs confrères du continent qui cherchent de la visibilité dans les festivals étrangers, les réalisateurs marocains visent avant tout à sortir leurs films dans les quelques 100 salles marocaines. "Nous en avions plus de 250 il y a quelques années", nous affirme, non sans regret Mohammed Bakrim, chargé de la communication au CCM. Par ailleurs, les films qui réussissent à séduire le public, génèrent suffisamment de recettes pour permettre aux cinéastes de récupérer l'argent investi. C'est cette situation qui favorise la naissance d'une industrie cinématographique.

Plusieurs cinéastes campant sur le terrain de l'artistique, souffrent de cette nouvelle orientation qui vise à conquérir le public, à remplir
les salles et à rentabiliser les films. C'est le cas de Jillali Ferhati dont le dernier opus, Mémoire en détention, a eu un succès critique mais a été un fiasco total dans les salles. Au-delà
des raisons de la bouderie d'un public qui cherche du léger et du divertissement, Ferhati affirme avec amertume: "Je reste un cinéaste comblé par la critique, mais fauché financièrement." Cela est d'autant plus vrai quand on sait que le film Nancy et le Monstre de Mahmoud Fritess, à la limite de l'amateurisme, a dépassé le nombre de cent mille entrées alors que des films réalisés par des figures emblématiques restent dans l'ombre.

Douze festivals à travers le pays

Pour lutter contre la baisse du nombre de salles, causée surtout par le piratage, et donner plus de place au cinéma d'auteurs, les Marocains ont multiplié les ciné-clubs et les festivals de films. Le pays en compte pas moins de douze sans parler des divers cinéclubs qui font un excellent travail de vulgarisation et d'éducation cinématographique. Par ailleurs, le plus connu reste le festival du film de Marrakech, soutenu par plusieurs icônes du cinéma mondial comme Scorsese et Kiarostami, qui a surplombé plusieurs grands festivals de la planète. Loin de combler financièrement les cinéastes, ces rencontres nationales et internationales permettent un large accès au cinéma, favorisent les contacts entre les professionnels et oeuvrent à la naissance d'une dynamique à même de soutenir une véritable industrie cinématographique.

Un renouveau qui tarde

Alors qu'on attendait un renouveau du cinéma marocain, du sang neuf, ce sont les anciens qui font leur come-back. Tandis que les jeunes sont confinés au court-métrage qui reste horizontal et sans créativité réelle à même de dessiner des horizons nouveaux, les figures emblématiques du cinéma marocain restent dans la continuité tout en essayant de prendre en charge l'actualité et les nouveaux phénomènes de société.
"Cette domination du champ cinématographique par les 'anciens' s'explique par les effets pervers du système", commente Carlo Damasco, directeur artistique du festival du court-métrage de Milan: "Souvent les jeunes sont pressés de faire les trois films qu'exige le CCM pour obtenir la carte de réalisateur. Il va de soi que cela ne sert pas la créativité. La nouveauté, il faut l'attendre quelques années quand tous ces jeunes ayant obtenu la reconnaissance officielle se mettront vraiment au travail."

En attendant, place aux "anciens"

Les films de ces deux dernières années sont en majorité réalisés par des noms très connus du cinéma marocain. La 9e édition a permis le retour en force de plusieurs cinéastes que les cinéphiles ont presque oubliés. C'est le cas de Mohamed Ismail, Ahmed Maanouni, Farida Bourquia et d'Ahmed Boulane, qui reviennent, respectivement, avec Adieu les mères, Les coeurs brûlés, Deux femmes sur la route et Les Anges de Satan. Toujours en restant dans les figures connues du cinéma marocain, plusieurs autres cinéastes ont marqué cette édition. Parmi eux figurent Saâd Chraïbi avec Islamour, Daoud Aoulad-Syed avec En attendant Pasolini, Lahcen Zinoun avec La beauté éparpillée, Abdelkader Lagtaa avec Yasmine et les hommes et Latif Lahlou avec Le jardin de Samira.
Le visionnage de ces films révèle une diversité thématique et une continuité formelle pour chacun des cinéastes. Alors que le cinéaste a cherché à se coller à la réalité, certes avec un ton plus franc et plus libre, à la faveur du vent libertaire qui caresse le pays, il est resté du point de vue de la forme dans du déjà vu. Cependant, les polémiques et les débats sont surtout provoqués par le traitement de certaines thématiques: la menace islamiste, l'homosexualité, la corruption et la critique du système.
En parlant de jeunesse et de nouveauté, tandis que Faouzi Bensaidi, qui livre un What a wonderful world original et difficile d'accès, arrive à dessiner les contours d'un nouveau cinéma, Narjass Nejjar, après le remarqué Les Yeux secs, propose un Wake Up Morocco peu convaincant.

L'émergence du cinéma berbère

L'émergence du cinéma berbère est l'autre fait important du cinéma marocain. A l'instar de leurs voisins algériens, les Berbères du Maroc utilisent à fond la promotion de leur culture et leur identité par le biais de l'audiovisuel. Après une production vidéo dont la consommation est devenue presque phénoménale, plusieurs cinéastes sont passés à la réalisation de films de cinéma et en 35 mm. Là aussi, on bute sur une confusion de la définition du film amazigh. En tous les cas, les concernés le définissent surtout comme des films parlés en tamazight. Cette conception nuit un peu à la qualité des productions. Mohamed Mernich, le réalisateur du film Tilila, considéré comme le premier film amazigh marocain et seul film amazigh en compétition, se veut modeste: "Mon film n'est qu'une étape pour mieux faire."

A la conquête du public

Les cinéastes marocains comptent de moins en moins sur la visibilité qu'offrent certains festivals internationaux, sans pour autant la rejeter. "On peut être sélectionné à Cannes, mais resté financièrement fauché", nous confie le cinéaste et producteur Mahmoud Fritess. Aujourd'hui, l'objectif des réalisateurs est avant tout la conquête du public qui leur assure des entrées à même de leur permettre d'entamer d'autres projets. Dans ce sens, ces derniers temps, un système de "starmania" a vu le jour. Au festival national du film de Tanger, un public jeune et passionné était tous les soirs présent et à l'affût de stars afin de demander un autographe, prendre une photo ou avoir une bise. "Cela fait plaisir!", nous confesse Majda Zabbita, star du cinéma marocain. Avant d'ajouter: "Mais cela risque de devenir dangereux si les personnes adulées ne se comportent pas d'une manière exemplaire. Il ne faut pas confondre l'émancipation de la femme et le dévergondage, l'artistique et la bêtise."

Tournages étrangers

Les tournages de films étrangers, notamment américains, se suivent. Des vedettes mondiales comme Brad Pitt, Robert Redford ou Russell Crowe foulent le sol marocain, des noms comme Oliver Stone, Martin Scorsese, Ridley Scott viennent tourner sur les terres du royaume chérifien. Les conséquences économiques sont importantes. "Durant ces périodes, il est impossible de trouver un technicien marocain au chômage", se réjouit M.Bakrim. A cela, il faut ajouter toutes les entrées d'argent provoquées par l'arrivée massive des équipes de tournage étrangères. Le Maroc, notamment Ouarzazate, se prête bien au besoin des Américains, par exemple. Cela donne aussi des chances et des rôles aux acteurs marocains. "C'est une chance inouïe pour nous. Nos apparitions dans des films portant la signature de grands cinéastes nous sert de tremplin", nous affirme Driss Roukh qui a campé le rôle de l'officier marocain dans Babel d'Alejandro González Inárritu.
Le jeune Driss Roukh, avec plusieurs de ses amis acteurs, réalisateurs et producteurs, forment la nouvelle génération sur qui repose l'avenir du cinéma marocain. Lequel a besoin d'être renouvelé et dynamisé. Une relève à prendre et un défi à relever!

Tahar Houchi*

*Directeur artistique du Festival du film oriental de Genève.

Films liés
Artistes liés
Structures liées
événements liés