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La Graine et le mulet, de Abdellatif Kechiche
Donner du corps au rêve
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 15/01/2008

La Graine et le mulet
LM Fiction de Abdellatif Kechiche, France / Tunisie, 2007
Sortie France : 12 décembre 2007

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

L'impact des films de Abdellatif Kechiche sur la société française se confirme. Après La Faute à Voltaire, 2000, qui le fait connaître, il rafle la mise avec L'Esquive, 2004, lauréat de nombreux prix et d'un succès public inespéré, en France comme à l'étranger. Le réalisateur a su capter la vigueur de la langue de Molière, en se plongeant dans la banlieue où des jeunes adaptent le théâtre de Marivaux pour mieux faire parler leurs sentiments. En croisant leurs paroles, Abdellatif Kechiche, né en Tunisie, ouvre le champ au métissage de la société française où les immigrés et leurs enfants trouvent une place longtemps cherchée. Cette approche se concentre autour d'un famille pour son troisième film, plébiscité de plusieurs prix dès sa présentation à la Mostra de Venise, en 2007.
La Graine et le mulet se déroule à Sète, un port du sud de la France, où vit Slimane et les siens. Cet immigré maghrébin de 61 ans, employé depuis 30 ans à réparer des bateaux, est poussé sans ménagement à la retraite. Il encaisse le coup et décide d'investir ses indemnités de licenciement en achetant un vieux bateau pour le transformer en restaurant à couscous. La famille se mobilise pour concrétiser ce rêve. Autour de Souad, l'épouse dont Slimane est séparé, ses enfants s'affairent au milieu des problèmes quotidiens qui troublent les couples. Lui vit retiré dans un hôtel dont la patronne est devenue sa maîtresse reconnue. Et c'est surtout la fille de celle-ci, Rym, qui encourage Slimane et épaule ses démarches au milieu des forces locales, hostiles ou indifférentes à son initiative.
Une fois le bateau aménagé, une soirée couscous gratuite est destinée à convaincre les plus réticents du bien fondé de l'entreprise. Souad, fine cuisinière, assure le couscous, les enfants le service. Mais après un incident qui fait perdre la semoule, c'est Rym et sa mère qui s'investissent directement dans la réussite de la soirée. Ainsi cette histoire familiale où les femmes ont la part belle, peut toucher plusieurs générations de spectateurs. Elle valorise la solidarité, la force de la famille légitime, relayée par la famille de coeur, la transmission d'un rêve, la sensibilité orientale.

"Je voulais monter autrement ces Français d'origine arabe, aller au-delà des discriminations insidieuses en réalisant un plaidoyer énergique et décomplexé du droit à la différence et à la banalité", commente Abdellatif Kechiche. Il s'attarde dans les scènes du quotidien, les repas du dimanche, les conversations entre amis. Parmi des séquences savoureuses, on retient les commentaires septiques des compatriotes de Slimane, attablés au café. L'opposition entre Rym et sa mère sur l'opportunité de cautionner la soirée couscous, est aussi un moment fort du film comme la scène de danse improvisée de Rym qui chauffe une salle tiède à la cause du restaurant.
Le cinéaste dépayse les spectateurs en les promenant dans la ville de Sète, lieu excentré du cinéma français traditionnel. Mais c'est surtout les émotions qu'il provoque avec une caméra portée, très mobile, en s'approchant très près de la peau des acteurs ou de la nourriture qu'ils partagent. Habib Boufares joue avec retenue, Slimane, un rôle dévolu à l'origine au père du cinéaste. Hafsia Herzi éclate dans la peau de Rym à qui elle prête un corps généreux. Les comédiens, en majorité non professionnels, s'investissent avec une énergie communicative dans La Graine et le mulet.
Abdellatif Kechiche, connu comme interprète de films tunisiens marquants tels Bezness de Nouri Bouzid, 1991, La boite magique de Ridha Behi, 2003, sait composer des scènes vives avec des personnages natures. Le scénario, écrit avec Ghalia Lacroix, ménage du suspens, des ellipses pour faire jaillir des échanges émouvants. Avec des destins en demi-teintes, une fin contrastée, il propose une vision sensible des valeurs orientales, répandues peu à peu par l'immigration. Avec l'appui de Claude Berri à la production, La Graine et le mulet, combine de solides atouts pour exporter largement l'appétit de s'en sortir.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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