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La graine de la révolution
Baara, de Souleymane Cissé (Mali)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 18/01/2008

Le chef-d'œuvre du Malien Souleymane Cissé, primé au Fespaco en 1979.

Entré dans le septième art parce que "… je voulais voir les choses et les faire voir…", disait-il un jour, Souleymane Cissé est devenu un fabricant de chefs-d'œuvre cinématographiques. À ce jour, il demeure le seul réalisateur à avoir remporté deux fois le Grand prix du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco). En 1979 d'abord, avec Baara, encore intitulé "Le Travail", et en 1983 ensuite, avec Finyè ("Le Vent"). Mais, c'est en 1987 qu'il se fit mondialement connaître, grâce à Yeelen ("La Lumière"), qui remporta le Prix spécial du jury au Festival international du film de Cannes (France) cette année-là.
Dans Baara, Souleymane Cissé déroule l'histoire d'un jeune ingénieur, Balla Traoré, rentré fraîchement d'Europe, et qui propose une place de manœuvre dans une usine de Bamako (Mali) à son ami et homonyme, Balla Diara. Les dures conditions de travail y provoquent la révolte des ouvriers, sous l'impulsion de l'ingénieur.
Deux personnages portent ce film qui s'ouvre sur un gros plan du dos de Balla Diara, de son pseudonyme "Baara", ou "porteur de bagages". Celui-ci, en tournant ainsi le dos aux spectateurs et à la caméra, a le regard enfoncé dans l'obscurité d'en face. Dès cette scène se manifeste l'audace d'un cinéaste dont l'originalité de la technique utilise une prise de vue frontale, là où d'autres auraient utilisé la plongée. Baara faisant face à l'obscurité ne nous renseigne-t-il pas merveilleusement sur son avenir sombre ?
Dans une société où les patrons se glorifient de richesses mal acquises, en même temps qu'ils exploitent sans façons leurs personnels, les méthodes démocratiques du jeune ingénieur dérangent. Grâce à lui, les ouvriers bénéficient non seulement des avantages liés à leur métier (ils achètent désormais le tissu qu'ils fabriquent à moindre coût), mais aussi des conditions de travail plus humaines. L'appétit venant en mangeant, ils vont également exiger un meilleur ratio salaire - nombre d'heures de travail. Quel sort sera alors réservé à l'ingénieur, et partant, à Baara ?
Pour répondre à cette question, Souleymane Cissé se sert d'une suite ordonnée d'images vivantes, sans être époustouflantes. Les séquences alternées sont alors combinées au montage sec d'Andrée Davanture, pour donner un mouvement narratif rapide au film. Comme le conteur qui utilise tous les atouts à sa portée pour capter l'attention de celui à qui il s'adresse, Cissé rend sympathique le jeune ingénieur, pour mieux susciter l'adhésion à sa quête socio-politique relevant d'une esthétique révolutionnaire visant à bousculer - tranquillement - l'ordre établi. Et c'est ici que Baara rejoint les préoccupations socialistes de son auteur, ce cinéaste engagé pour qui, "la première tâche des cinéastes africains est d'affirmer que les gens d'ici sont des êtres humains… Notre devoir à nous est de faire comprendre que les Blancs ont menti par leurs images".
Et à propos d'images, celles de Baara sont très belles. Le travail de la photographie est particulièrement à saluer, dès la séquence d'exposition notamment, lorsqu'on réveille les manœuvres pour aller travailler. Cependant, à un moment donné, le film nous laisse interrogatif quant à son processus narratif.
Lorsque Balla Diarra est arrêté, pour défaut de pièce d'identité, par la police, à son lieu de travail de pousse-pousseur, il ne travaille pas encore à l'usine. Comment se fait-il alors que l'ingénieur l'y cherche ("où est Diarra ?"), et le présente au commissariat comme son manœuvre ? N'est-ce pas à sa sortie de là qu'il est embauché à l'usine ("de plus, j'ai eu du travail", déclare-t-il à ses frères) ? Quand bien même il se serait agi d'un subterfuge de la part de Balla Traoré pour faire aisément sortir son ami de prison, le réalisateur n'a pas utilisé de révélateur pour le suggérer.
Qu'à cela ne tienne, au travers de sa description du quotidien des couches défavorisées face aux nantis, Souleymane Cissé se situe au-dessus de la fatalité scénaristique dans laquelle s'étaient confinés les cinéastes africains avant lui : l'opposition tradition - modernité ; ville - campagne, etc. C'est sans doute là l'un des plus grands mérites de son film.

Jean-Marie Mollo Olinga

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