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L'Exil et la mémoire face à l'identité
ENTRETIEN avec Mweze Ngangura, cinéaste congolais
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 22/01/2008

La mémoire et l'exil s'entrelacent, sous bien des rapports. Devant la nécessité de se ressourcer du lieu de ses origines, l'individu, par là même, est en train de reconstituer son unité, d'aller à la source réelle de son être. Mais il arrive, bien souvent, que les deux l'exil et la mémoire s'entend - parlent en même temps de l'identité, ou réciproquement l'un de l'autre. Quels rapports peuvent-ils avoir avec l'identité, avec eux-mêmes ? Sans ce dialogue, pourront-ils s'affirmer comme tels ? Nous en avons discuté avec le cinéaste congolais Mweze Ngangura venu présenter son long métrage Pièces d'identités lors des Rencontres Cinématographiques qui ont eu lieu dans le cadre du Gorée Diaspora Festival en novembre dernier à Dakar.

Que vous inspire le thème du Gorée Diaspora Festival "Exils et Mémoires" ?
Ce thème nous fait penser que l'Afrique a un déficit du point de vue mémoire et du point de vue archives. Il est donc important que l'on fasse des films qui gardent la mémoire du continent. Vous savez que l'on a beaucoup travaillé au niveau de la tradition orale en Afrique au point que tout ce qui est écrit ou est langage audiovisuel est assez récent. Nous n'archivons pas suffisamment tout ce qui concerne notre culture.
Concernant l'exil, je crois qu'il n'est pas nécessaire de rappeler que le rêve de tout jeune africain, c'est d'abord l'exil. C'est devenu une réalité de notre présent. Pourquoi l'exil ? C'est parce que l'on a des fantasmes sur un bonheur qui viendrait de l'Europe, de l'Occident. Je dirais que même en restant sur le continent, nous rêves vont vers ces fantasmes qui, en réalité, s'avèrent plus souvent dramatiques que salvateurs.

Mais que faire pour que cette mémoire devienne une vitrine pour les Africains, nourris aux réalités de la tradition orale, et qui doivent agir pour leur devenir ?
Je crois que l'élément qui est le vecteur de la mémoire africaine actuellement, c'est sans nul doute tout ce qui langage audiovisuel et cinématographique. Je m'explique : nous avons tous, en tout cas, les gens de ma génération, en tête les contes du soir que nous racontaient nos mamans avant de dormir ou les contes que les vieux, les anciens nous disaient. Nous avons des épopées qui conservent la mémoire. Tout cela se faisait par le langage oral. L'écrit est venu plus tard comme le langage de la colonisation avec une rupture brutale avec ce qui était notre histoire et qui nécessitait aussi l'apprentissage du langage et de la langue du blanc. C'est-à-dire, s'exprimer à sa façon, aller à son école etc. Si vous voulez, l'écrit présentait un grand traumatisme par rapport à nos sociétés - on connaît l'histoire du jeune homme qui a étudié en Europe, qui y a fait les grandes écoles et qui revient dans son village presque comme un étranger pour snober les vieux du village qui pourtant avaient un savoir important lui permettant d'avancer. Il y avait donc une réelle cassure entre le savoir traditionnel basé sur l'oralité et le savoir de l'école occidentale qui, lui, était écrit.
Il se peut maintenant que bon nombre d'Africains s'intéressent à l'expression audiovisuelle qui, pour moi, est beaucoup plus abordable parce qu'on n'a pas besoin d'aller à l'école pour comprendre un film ; si le film vous concerne, s'il parle votre langue. Il faut aussi dire que l'époque a changé. Un cinéaste n'a pas actuellement besoin de "tuer le père", c'est-à-dire les vieux de la société africaine, pour dire que maintenant "voilà je suis civilisé". Les choses ont changé, et nous relativisons de plus en plus ce que nous avons appris de l'Europe. Je dis que le contexte actuel et le mode de compréhension du langage audiovisuel peuvent réellement souder de nouveau ce lien avec nos traditions, avec notre histoire. Ce n'est plus un traumatisme. Maintenant cela dépend du sujet du film, de la manière dont il est fait, de la conception du monde et de l'Afrique qu'a le cinéaste. Mais, en tout cas, techniquement et artistiquement, il nous est possible de nous intéresser à notre passé, à nos traditions, à notre histoire via le langage de l'audiovisuel en général. On y fera bien sûr inclure le cinéma.
Je pense donc que c'est le cinéma qui va remplacer les vieux contes que nos mamans ou nos parents nous racontaient dans le temps. C'est le cinéaste qui devient un peu le griot des Temps modernes. Ça a l'air un peu exotique comme manière de parler, mais ça correspond à une réalité. Je crois que le cinéaste - je ne peux pas dire que c'est sa mission ; tout cela me fait peur - son travail normal doit consister à faire ce lien et doit remplacer les expressions orales par les films, par la caméra. Et là-dessus, il est important que je parle de la révolution du cinéma numérique dans la mesure où actuellement, tout le monde peut raconter… Par l'audiovisuel, nous pouvons reconstituer notre mémoire.

En parlant de mémoire en Afrique, on n'en disqualifie pas la question identitaire, et justement dans votre film Pièces d'identités, le débat revient. En réalité, c'est quoi Pièces d'identités ?
Quand je parle d'identité dans le film, on comprend bien que la tradition n'est pas quelque chose de figée ; elle évolue plutôt. Cela veut dire que dans le film, quand l'on parle de pièces d'identités, c'est le vieux qui vient de son village et qui va en Europe. Il tient à ses pièces d'identités, c'est-à-dire tous les signes de la royauté : sa toque, sa canne, son collier etc. Parallèlement dans le film, il y a plusieurs personnages qui ont leurs questions personnelles liées à l'identité. Il y a la fille qui a plus connu l'Europe que l'Afrique et qui se pose la question de son identité ; il y a des Européens qui ont vécu en Afrique et pour qui, quelque part, l'Afrique constitue le morceau de leur vraie identité ; il y a des objets sur lesquels l'on s'accroche comme le fait cette fille qui garde une photo de son enfance, en noir et blanc ; ou encore le héros du film qui s'accroche à une médaille que sa maman lui avait laissée. L'identité, je pense donc que c'est quelque chose de multiple, mais aussi de non défini. A mon avis, c'est quand on commence à penser qu'on peut définir son identité de manière très précise et très carrée, elle devient auto-destructrice dans la mesure où l'on se dit : "je suis ceci et non cela, et l'autre n'est pas moi". Et peut-être qu'à partir de là, l'on s'arroge même le droit de se battre contre les identités qui ne sont pas les vôtres ; le droit qu'il faut protéger son identité ; ce qui est faux en soi.
Je crois que l'identité, c'est deux choses. D'une part, se dire "je suis fier de mes racines ; je suis fier de mon histoire" - et ici de nouveau la question de la mémoire resurgit. Je suis sûr de ce que j'ai toujours été de mon passé, et de ce que mes arrières grands-parents ont été ; si je reniais mon passé, je me renierai moi-même. D'autre part, c'est de dire que tous les apports extérieurs m'ont également nourri, ont fait de moi ce que je suis maintenant. De manière simultanée, je dois donc accepter les apports de mon histoire, et ceux de mon présent et de mon avenir.

Si l'on vous comprend, l'identité, c'est finalement la mémoire…
Absolument ! Je crois que sans la mémoire, il n'y a pas d'identité. Un homme qui ne cherche pas à connaître ce qu'il a été pour construire son identité, il ne peut même pas avoir envie d'être fier de ce qu'il est. Je crois, en fin de compte, que l'identité a pour base la mémoire, les racines, le passé. Mais il faut se sentir libre d'accepter tout ce que l'on pense être un apport positif venu d'ailleurs, d'un autre temps, du présent, du futur sans vouloir absolument imiter ce que l'on croit être son identité. C'est-à-dire que mon identité actuelle n'est pas celle de mon grand-père ; celle de mon grand-père n'est pas celle de ces arrières grands-parents. L'histoire a toujours évolué ; et nous ne pouvons faire avancer l'histoire que si nous gardons notre mémoire, si nous la recherchons, si nous voulons vraiment la vivifier. Le jour où un Africain n'aura pas cette préoccupation de garder sa mémoire parce qu'il en a honte, ou parce qu'il pense ça n'a pas d'importance, il ne pourra point se revendiquer de son histoire. Toute tentative de réconciliation avec lui-même sera vaine.

Pensez-vous que la mémoire échappe aux contingences géographiques ?
Pour moi, la mémoire n'est pas du tout géographique. Si vous voulez, nous évoluons tous par les idées, les idéologies. Nous avons une façon de penser ; et je crois que c'est la manière de penser qui guide la mémoire. Nous sommes ici à l'île de Gorée [l'entretien ayant été fait à Gorée] qui est un lieu symbolique de la mémoire du peuple noir. Si un Brésilien Noir ou un Noir américain se dit que ce lieu est chargé de son histoire, il faut déjà que lui, par rapport à son présent, prenne conscience d'abord du fait que, par le passé, il appartenait à un monde noir qui l'a nourri, qui lui a apporté des choses, et qu'il a envie de l'explorer. Evidemment, pour lui, l'île de Gorée qui est une petite entité géographique, va devenir quelque chose d'important à visiter. À la base, il y avait d'abord une prise de conscience de sa part.
L'île de Gorée serait en soi un site touristique comme un autre, mais au moment où un individu de la diaspora prend conscience que dans son histoire, il y a eu l'esclavage, c'est en ce moment que ce lieu touristique pourrait prendre une réelle dimension. Il sera pour lui un lieu chargé de mémoire. C'est pour cela que je dis que la géographie peut avoir un sens symbolique, mais encore faudrait-il que la personne dans sa tête, au niveau idéologique, prenne conscience de ce qu'il est, de ce qu'il veut transmettre à ses enfants, de ce qu'il veut devenir pour que cet endroit lui apporte un message, lui donne une autre façon de considérer sa vie.

La mémoire peut-elle se reconstituer sans l'exil ?
La mémoire, c'est d'abord le fait de vouloir prendre conscience de son passé, pour que ce passé nous éclaire pour l'avenir. Et donc, forcément la mémoire a toujours quelque chose de sélectif. On cherche la mémoire que l'on veut. On peut avoir la mémoire d'une blessure sur la peau, il y a dix ans. On peut aussi vouloir avoir la mémoire de son lieu d'origine même si on n'a pas été "exilé". On peut vivre dans un village et avoir une mémoire de ses ancêtres, même si on n'a pas été "exilé". Mais s'il y a eu exil en plus, la mémoire, évidemment, devient quelque chose de très important. Parce que pour des personnes de la diaspora noire, il n'est pas possible de se reconstituer totalement si l'on n'a pas pris conscience de son exil. Ne serait-ce que se poser un certain nombre de questions : "Qu'est-ce c'est pour moi la mémoire ? Que puis-je en faire ? Est-elle une honte pour moi ? Est-ce un sujet de fierté ? etc.".
Je trouve à ce propos qu'il n'y ait pas assez de documentaires sur les luttes de résistance face aux colonisateurs. Cela permet de dire que cette image que l'on a donné à voir de la colonisation comme un acte bienfaiteur consistant à apporter la civilisation aux Africains n'est pas la vraie. L'image réelle, c'était la destruction d'une culture - on ne va pas dire que c'était la meilleure ou la moins bonne. Mais qu'il y avait des gens qui vivaient chez eux, qui n'ont rien demandé et qu'on est venu démolir leurs croyances, leurs manières de vivre. Ce serait bien de la faire pour nos petits enfants.

Réalisé par
Bassirou NIANG
SENEGAL

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