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La quête de liberté des femmes
Madame Brouette, de Moussa Sène Absa (Sénégal)
critique
rédigé par Moussa Bolly
publié le 23/01/2008

En diffusant Madame Brouette de Moussa Sène Absa le 28 octobre 2007, TV5 nous a une fois de plus permis de découvrir un chef d'œuvre du 7e art africain.

"J'ai voulu creuser la nature de l'amour, savoir pourquoi certaines personnes restent trente ans ensemble et d'autres deux mois, et pourquoi certaines femmes décident qu'à 35 ans, elles ne veulent plus rien savoir des hommes ! Je voulais faire un portrait de ces femmes", disait Moussa Sène Absa à la sortie de Madame Brouette. Un pari gagné puisque le scénario met merveilleusement en scène une femme fière et indépendante. Maty (Rokhaya Niang), surnommée "Madame Brouette", assure sa survie en poussant sa brouette de condiments à même les trottoirs du marché de Sandaga. Divorcée, elle rêve - en compagnie de sa fille Ndèye et de son amie Ndaxté, elle aussi rescapée d'un mariage violent - d'ouvrir une gargote qui leur permettrait de gagner dignement leur vie.
Les hommes, elle n'en a que faire et elle est déterminée à s'en sortir. Mais voilà que le destin que son chemin croise celui de Naago (Aboubacar Sadick Bâ), policier de son état, charmeur, beau parleur et adepte de Bacchus. Et Maty de tomber à nouveau amoureuse malgré ses appréhensions. Tous les espoirs sont permis avant que tout ne s'écroule. En effet, un beau matin, le quartier Niayes Thiokeer ("La Colline aux perdrix", en wolof) est réveillé par des coups de feu. Devant les voisins affolés, Naago sort de la maison de Mati criblé de balles et s'effondre.
Et pourtant, rien ne laisse présager un dénouement aussi tragique car le cinéphile est introduit par une belle fête de sabar qui permet aux Sénégalaises de rivaliser dans la coquetterie, l'élégance… Au-delà des belles sonorités musicales, les thèmes se défilent dans cette œuvre avec une étonnante pertinence dans cette Dakar de 2002. L'enquête du journaliste sur les circonstances de la mort de Naago est une confrontation entre femmes et hommes, chaque sexe se défendant avec ses arguments. Les femmes dénoncent l'irresponsabilité des hommes, la volatilité de leurs sentiments qui fait que leur tendresse n'est dictée que par le désir.

Les martyres de l'émancipation
"Elles sont toutes pareilles les femmes. Quand il y a l'argent, elles sont là comme des mouches. Mais, dès qu'il y en a plus, elles vous créent tous les problèmes du monde", accuse l'ex-conjoint de Ndaxté. La femme dans la société sénégalaise, "marteau ou enclume" ? Ce qui est, sûr, c'est qu'elle "se fait bouffer par tout le monde". N'empêche qu'il également toujours possible d'avoir un terrain d'entente pour mieux cohabiter. Et la place de la femme serait toujours dans un foyer. Comme le dit un acteur du film, "la place de la langue est dans la bouche, même si les dents l'y mordent souvent". D'ailleurs le charme de l'œuvre Moussa Sène Absa, c'est aussi la forte présence des traditions orales faites de paraboles et de proverbes véhiculés par des chansons.
Comme chez Sembène Ousmane (Paix à son âme), la femme est très présente dans les œuvres de Moussa. D'ailleurs, les personnages de Maty (Madame Brouette) et de Fat Kiné (Faat Kiné de Sembène Ousmane) ont beaucoup de similitudes. Dans les deux œuvres, les femmes et leurs filles sont marginalisées, martyrisées par des pères, par leurs communautés voire par leur société. Comme Faat Kiné, Maty est tour à tour séduite et abandonnée avec des grossesses. Elles sont toutes les deux bannies par leurs pères et sont contraintes de se battre pour survivre et assurer des lendemains meilleurs à leurs enfants. Et malgré les difficultés, elles restent dignes et fières.

La quête de considération sociale
"Dans ma société, les femmes jouissent de peu de considération. Elles n'ont pas véritablement de place et leur rôle est restreint à celui de faire des enfants. Elles subissent violence et humiliation. Souvent, elles ne peuvent divorcer car elles sont dépendantes financièrement", disait Moussa Sène Absa à un confrère sénégalais au lendemain de la sortie de son film en 2003. Il avait déploré le fait que, "quand elles vieillissent, que leur corps se flétrit et que l'homme considère qu'elles ont fait suffisamment d'enfants, celui-ci leur impose une seconde épouse, plus jeune, vierge. Et ce dernier recommence le même manège avec la nouvelle venue !".
L'engagement du réalisateur n'est seulement pas un combat en faveur de l'émancipation féminine à travers cette œuvre inspirée de "la vie" de l'une de ses amies d'enfance. Il fustige également les faux espoirs suscités par les politiciens. Ainsi, la couleur bleue de la gargote de Maty et Ndaxté n'est pas sans rappeler la déferlante vague du Sopi (changement symbolisé par la couleur bleue du Parti démocratique sénégalais, PDS) qui s'est abattue sur le Sénégal au début de ce 21e siècle et qui conduit à l'alternance. En réalisant leur rêve d'ouvrir une gargote, Maty et son amie espérait sur des lendemains meilleurs. Tout comme les Sénégalais au lendemain de la victoire du PDS et de Me Abdoulaye Wade en mars 2000. Un espoir vite devenu désillusion.
En le voyant, on comprend aisément pourquoi Madame Brouette est le film qui a le plus confirmé le talent de Moussa Sène Absa. Un talent récompensé par plusieurs prix dont L'Ours d'argent de la meilleure musique du festival de Berlin en 2003 et le Prix du public au Festival d'Angers.

Moussa Bolly

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