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L'attente à mille visages
Mille mois, de Faouzi Bensaïdi (France, Maroc, Belgique)
critique
rédigé par Meriam Azizi
publié le 29/01/2008

Faouzi Bensaïdi compte désormais parmi les figures de proue du cinéma marocain. Icône de l'artiste accompli, il est à la fois acteur (dealer dans un film de Téchiné, inspecteur dans Maktoub de Nabil Ayouch, l'ami du mari dans son premier et deuxième long métrage), réalisateur et co-scénariste de Téchiné. Sa première consécration fut avec son premier court-métrage La falaise qui lui a valu une reconnaissance au-delà des frontières marocaines à travers le cumul de 23 prix dans des festivals nationaux et internationaux. Avec WWW (what a wonderful world) qui s'inscrit plutôt dans le polar, Bensaïdi confirme avec maestro sa dextérité à jongler avec les genres, une aisance naturelle à se placer devant ou derrière la caméra. Mille mois est pétri d'une autre manière, est fait d'une autre texture, distillé d'un autre arôme bien que la tension qui meut le film puisse être la même.

Malgré sa singularité stylistique, ce film respire quelque chose de Kiarostami. Ce postulat loin d'être arbitraire est tout à fait légitime. D'un point de vue thématique, l'enfance et l'attente constituent les deux topos névralgiques du récit. Du côté technique, la récurrence d'un cadrage large correspond à une prédilection pour le plan général aux dépens du gros plan qui marque paradoxalement, aujourd'hui un quota d'usage élevé. Le film s'ouvre sur deux espaces étendus : la terre, en l'occurrence ici une colline, et le ciel. L'ouverture sur le ciel constitue dans le cinéma, un cliché qui renvoie au sentiment religieux, à l'espoir, ou à l'infinité de l'intériorité humaine.
Les sujets qui composent avec le cadre sont les habitants d'un village de l'Atlas. L'action se tient lieu en 1981, période des années du plomb. Dans une posture de résignation, un rassemblement de villageois invoque la clémence de Dieu, en ce mois de Ramadan, pour mettre fin à la sécheresse. Au milieu de ce moment de sentiment collectif, où l'image des sinistrés, le regard tendu vers le ciel, dit leur désolation, la caméra recadre sur un enfant en le prenant à part : Mehdi, le héros de l'histoire. Seulement, Mehdi est un personnage préoccupé par une autre attente, celle de son père, incarcéré pour activisme politique alors qu'on lui a fait croire qu'il est en voyage en France. Une France qu'il ne cesse d'imaginer à travers l'emballage multicolore des bonbons. Autour de l'enfant, gravitent en premier plan, sa mère Amina et son grand-père Ahmed, sa première cellule familiale. S'ensuit, une autre sphère de personnages qui vit en marge de la communauté villageoise. On en retient principalement quatre composantes : le fou, le sage, l'amoureux et la rebelle dont le sort est plus ou moins similaire. L'incarnation absolue de leurs exclusions est le choix narratif d'en faire disparaître les plus crédibles à se retirer de l'histoire. C'est le cas de Malika, la jeune post-adolescente, non conformiste, morte presque en martyre au nom des idéaux de la liberté d'être et de penser. Bensaïdi opte ici, pour la suggestion qui rend toute l'essence du cinéma. À la place de montrer l'acte d'agression dont Malika a été victime, on insiste plutôt sur le processus qui va la mener droit à cette situation, qui, amenée de la sorte, devient vraisemblable. Ce travail d'anticipation se résume dans la scène où Malika, commettant l'impardonnable outrage de sortir maquillée au mois de Ramadan, subit, en taxi, les injures d'une gent masculine hostile et renfermée. L'élimination de la jeune fille, trop idéaliste pour survivre à l'intolérance des gens de son propre village, devient ainsi, logique et naturelle.
L'attente du point de vue d'un enfant, n'est nullement anodine. Elle sert d'une toile de fond aux différentes péripéties qui basculeront progressivement Mehdi dans le monde des adultes. Son innocence et son dévouement à son instituteur dont il se charge de garder précieusement la chaise, se heurtent à une série de désillusions à mesure que le personnage évolue dans le temps diégétique. C'est l'état léthargique du village, le poids des traditions et de la corruption et finalement la misère aussi bien matérielle qu'intellectuelle que le film stigmatise préférant, pour ce faire, le biais de la force éloquente de l'image à la submersion du spectateur par les dialogues. Mille mois s'offre au public comme une ode au cinéma pur. Le plan chez Bensaïdi est éminemment l'illustration du temps par le mouvement dans l'espace, une maîtrise de la lumière et de la mise en scène excluant par cette astreinte toute narration pléonastique.

Mériam Azizi

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