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Caméra témoin au service de la jeunesse marocaine
Les Anges du Satan, de Ahmed Boulane (Maroc)
critique
rédigé par Meriam Azizi
publié le 30/01/2008

Comment le cinéma peut-il rattraper la réalité, mettre au grand jour la véracité des faits sociaux et participer ainsi à la survie de la mémoire collective ? Il ne s'agit pas, ici, d'analyser le cas du film historique comme notre questionnement le laisse probablement croire. Mais de définir le rôle du cinéma quand il s'empare de la caméra comme une machine à consigner la graphie indélébile que peut représenter la transcription en images.

En une période où le cinéma marocain tente de tracer sa propre trajectoire, de se forger un statut défendable et bien considérable à une échelle internationale, Les Anges de Satan, film signé par l'acteur et réalisateur Ahmed Boulène, fort de son double prix décerné à la direction artistique et au scénario lors du Festival international du film de l'Inde, s'impose comme une œuvre manifeste. Au box-office de la septième édition du festival international du film de Marrakech, le film vient confirmer l'espoir d'une production cinématographique nationale en marche vers une meilleure visibilité. Prendre l'initiative de mettre à l'écran un fait divers dont les acteurs, 14 jeunes rockers, se sont vus injustement incarcérés en 2003, pour satanisme, marque l'avènement d'un cinéma qui s'ouvre une nouvelle brèche : celle de filmer le populaire dans sa crudité et sa force émotive, de reproduire dans un langage cinématographique un évènement dont la résonance a secoué la société marocaine dans son hétérogénéité.

L'audace de prendre en main un projet qui risque fort de s'attirer les foudres de la polémique, s'est vue paradoxalement, couronnée par une réception majoritairement positive du film. C'est le reflet poétique d'une histoire véridique qui met en scène le dilemme et la souffrance d'une jeunesse toujours incomprise et par conséquent, illico presto, mise au ban. Les Anges de Satan déroule une thématique qui n'est pas sans renouer avec la constante préoccupation d'un des cinéastes les plus libres du cinéma indépendant : Gus Van Sant. Bien que le propos du film s'évite au mieux tout indice de partialité, le simple fait d'ériger en héros, un personnage jeune, signifie l'intention de diriger le regard du spectateur vers cette tranche marginalisée de la société. C'est dans son traitement du thème de la jeunesse dépaysée dans son propre pays, que Boulène œuvre en concordance avec un style proche de celui de Sant ou de Ken Lauch, plus exactement, dans l'adoption d'une proxémie qui met à nu toute la sensibilité d'un âge fragile où l'adolescent, voit ses rêves se faire broyer par le poids de la réalité.

En effet, cette proxémie s'identifie et ce, pour la majeure partie du film, à une distance très réduite par rapport à celle où se tient l'objectif dans le cinéma marocain classique. Par ce choix technique, en plaçant la caméra proche de son sujet, le réalisateur permet au spectateur de rentrer dans le cercle intime du personnage ce qui garantit plus d'immersion dans son intériorité. Par ailleurs, la proxémie concerne aussi la distance entre les personnages dans le cadre du plan. Ainsi, nombreuses sont les scènes où les acteurs sont très rapprochés les uns aux autres. Que ce soit du côté des jeunes rockers en concert, dans le café ou dans le local de répétition ou du côté des journalistes multipliant les réunions, dans le but de préparer une compagne pour la libération des jeunes accusés. La métaphore de ce procédé dans sa complétude est la scène de la sortie en manifestation du grand rassemblement des partisans d'une justice libre où par un travelling latéral sur les manifestants, la caméra souligne la puissance d'une unité soudée.

Que rajoute la mise en image d'un fait divers sorti de l'oubli grâce à l'acte de filmer ? Quel est le sens et l'apport de cette acte? Si l'œuvre de Boulène a été bien accueilli par le public marocain cela rime à dire que ce dernier s'y est fortement reconnu. Les Anges de Satan, loin d'être une fade copie ou une redite d'un incident qui a fait la une des journaux à moment donné de l'histoire de la société marocaine, est une peinture émouvante au niveau tout aussi poétique qu'esthétique. Une preuve que le cinéma marocain, animé par un nouveau souffle, a entamé une nouvelle ère pleine des promesses de ses jeunes talents.

Mériam Azizi

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