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Les représentations psychologiques des images
Dossier n°3 Cinéma - télévision
critique
rédigé par Martial Ebenezer Nguéa
publié le 23/02/2008
Martial E. Nguéa
Martial E. Nguéa

Les œuvres de la plupart des réalisateurs Camerounais, que ce soit ceux qui opèrent dans le cinéma ou à la télévision, et c'est un rituel, sont puisés de la vielle tradition du terroir. On y retrouve soulignés à grands traits, les ferments de la psychologie sociale.

Né autour des années 1950, au cœur de la grande entreprise de formation des élites africaines en occident, le cinéma camerounais et ses thématiques restèrent longtemps ancrées dans les revendications sociales de l'époque. Le Cameroun a eu la particularité de s'être retrouvé sous influence culturelle successive ou simultanée de plusieurs pays occidentaux à savoir, la France, la Grande Bretagne, l'Allemagne. C'est une constatation panoramique qui se perçoit tant dans les productions cinématographiques que télévisuelles.

Engagement colonial, intellectuel

Les actions d'éclat menées par les cinéastes camerounais à la période des revendications indépendantistes, ont fait croire à un cinéma engagé et militant de la cause patriotique. Dès 1962, lorsque Jean Paul Ngassa et Philippe Brunet, passablement pionniers du cinéma Camerounais, présentent dans Aventure en France, un court métrage de 26 minutes tourné en 35mm en noir et blanc, la vie des jeunes cadres africains à la métropole en France. Dans cette fougue naissante de la jeune camerounaise, Thérèse Sita Bela, décédée en 2005, la seule voix féminine livre aussi son témoignage de cette aventure hexagonale dans Tam-tam à Paris sorti en 1963.

Depuis ce premier film de Jean Paul Ngassa, Urbain Dia Moukouri, Dikongue Pipa, Daniel Kamwa, Alphonse Beni, Jean Marie Teno, Bassek Ba Kobhio, Jean Pierre Bekolo, pour ne citer que ceux là, ont fait de leur opinion dans le cinéma, une matrice essentielle de leur projet cinématographique. L'écriture est plus inventive. Leurs œuvres remportent des prix dans des festivals et font des percées sur le plan international La plupart des films de ces années, sont des œuvres engagées. Elles montrent une société à deux facettes : l'une de mise en scène du désir d'affranchissement, l'autre de la déclinaison morale qui s'empare progressivement du pays après l'indépendance.

Les cas Muna Moto de Dikongue Pipa et Pousse-Pousse de Daniel Kamwa, les premiers longs métrages de l'histoire du cinéma camerounais, devenus aujourd'hui des classiques du cinéma africain sont remarquables. Le premier est salué par la critique occidentale. "Muna Moto révèle un metteur en scène inspiré qui serait vraisemblablement capable d'affiner sa problématique politique si la censure au pays de Ahmadou Ahidjo était moins tatillonne." (…) le film n'est pas un simple réquisitoire contre le système de la dot mais aussi, et peut-être surtout, une réflexion sur le phénomène du pouvoir en Afrique noire", témoigne Guy Hennebelle (1). Le second quant à lui, essuiera des démêlées avec le système politique en place, au point de ne pas pouvoir assister à la cérémonie des oscars à laquelle le film avait été nominé. La dénonciation de Pousse-pousse n'était pas au goût des gouvernants dit-on. Le combat n'est plus en direction du colon, mais orienté vers l'intérieur. Toutefois les thèmes restent la dénonciation, de la dictature et de la déviance sociale.

Repli sur soi

A la fin des années 70, les réalisateurs s'ébrouent et se dégagent de cette écriture revendicatrice et son interminable discours sur le colonialisme. Le débat autour de la création et l'apport de l'intellectuel à la construction de l'Etat voit le jour. Et l'on assiste à une écriture, plus accompagnatrice de l'initiative gouvernementale.

Suicides de Jean-Claude Tchuilen inaugure un dialogue politique animé de l'intérieur du pays par les populations. Et leurs réactions s'érigent en éclairages. Le cinéma sert de passerelle à la propagande politique. Arthur Si Bita, jeune critique de cinéma, et intellectuel fougueux s'exprime dans Les coopérants (1983), un point de vue sur la nouvelle politique des plans quinquennaux du développement, dite autocentrée. Il prend en compte dans son écriture, la mentalité de la population qui devrait multiplier des initiatives pour prendre conscience de sa condition et y trouver des solutions. La symbolique de cette lecture du réalisateur se perçoit aussi, comme une proposition d'un retour aux sources, partagée par Le retour de l'enfant prodigue de Urbain Dia Moukouri, Trois petits cireurs de Balthazar Amadangoleda, une adaptation du livre de Francis Bebey.

Toute cette frénésie et toute cette dynamique est opportunément accompagnée par le FODIC, un fonds mis en place par les pouvoirs publics pour développer le cinéma dans toutes ses composantes, avant que cette structure ne se saborde par une gestion hasardeuse.


Puis vint la télé…

La naissance de la télévision en 1985, va restructurer les audiences au sein de la grande famille des média au Cameroun. Les spectateurs vont migrer du cinéma vers la télévision. Les téléfilms, fait nouveau à l'écran font fureur. Le concept est tout neuf. Les thèmes sont du ressort de la critique sociale, de la contestation constante des valeurs et des vertus de la mentalité sociale. Les téléfilms et les télé théâtres conquièrent les populations rurales et urbaines. Quelques œuvres à succès, à l'exemple de Silence on joue, l'orphelin de Ndamba Eboa accompagnent le quotidien des populations.

Les thématiques très diversifiées charrient les peurs, les angoisses, les espoirs, et portent sur l'amour, l'amitié, la jalousie, les souffrances, les vicissitudes de la vie collective. Les programmes passent les week-ends et correspondent au jour d'ouverture. Silence on joue occupe la tranche de 15 heures tous les dimanches. Les personnages de Mbita, Alang Mimbu (compteur des années, en réalité sorte de marabout qui prédit l'avenir) deviennent des idoles auprès du public.

Ces personnages sont vivants dans les entretiens. Les feux de la rampe, programme de télé théâtre offre une plate forme à d'autres comédiens de se mettre en valeur ailleurs que sur les planches, notamment sur le petit écran. Si beaucoup de ces productions ont rencontré un tel succès et une pareille adhésion populaire, c'est en grande partie grâce au jeu des acteurs, à leur humour noir dont des personnages emblématiques faisait franchement des ravages. Des castings très relevés ont révélé ou confirmé des comédiens : Daniel Ndo, Clémentine Essono, Essindi Minja, Jimy Biyong Edwige Ntongon A Zock, Marcel Mvondo II, mais aussi Josephine Ndagnou avec Charles Nyatté, Solange Mebina, Ali Mvondo, Issa Yenkou, Jean Bosco Ndongo, Philémon Blake Ondoua, … se produisaient dans des décors naturels reconnaissables par les téléspectateurs.

En réalité, si toutes les pièces sont particulièrement incandescentes dans leur traitement, il n'en demeure pas moins qu'elles s'intègrent à une démarche thématique de restructuration politique, morale et sociale. Le retraité de Daniel Ndo participe efficacement à cette culture de masse qui passe naturellement par l'éducation et la formation.

La libéralisation du secteur de l'audiovisuel en 1998, va consacrer l'intrusion des chaînes de télévision à capitaux privés dans le rituel de la psychologie sociale. La pluralité des chaînes a aussi entraîné la diversification des angles de traitement des sujets, restructuré la valeur des sens et des allures à donner aux problèmes sociaux, même si les préoccupations sont restées identiques. Les réalisateurs sont plus violents dans le traitement de leurs sujets. Ce qui augmente forcément l'audience. Canal 2 International, Ariane Télévision, STV se disputent désormais un audimat qui a le choix des programmes. Edoudoua non glacé rivalise avec Fingon Tralala, Zakougla donne un change agréable à Sélavie Neway, Tchoptchop contôle face à Bikarata. La concurrence est franchement rude, ce qui n'est pas pour déplaire. On note un certain engouement mais il y a finalement peu de place pour des scénarii originaux. Et le réveil mou du cinéma et les câblodistributeurs sont un marché concurrents même à la résistance des chaînes locales.

Transition numérique

La génération considérée comme celle du numérique se tourne sans cesse vers les errances de la société camerounaise. Cette génération est plus violente et libre de ses propos. Il ne s'agit plus de les vivre passivement, mais de dire toute l'amertume avec la dernière énergie, caméra au poing. La déchirure de Alphonse Beni, Emeraudes de Isidore Modjo, Ultime résolution de Bertrand Nohotio, Aller retour de Lorenzo Mbiahou, Confidences de Cyrille Masso, Before the sunriser de Fred Amata, Sisters in lawr de Florence Ayisi etc., tournés tous en vidéo numérique, traitent en majorité d'une société camerounaise en pleine déliquescence ou corruption, immigration clandestine, banditisme, homosexualité, crise identitaire, etc.

Même si le cinéma au Cameroun se lit entre causticité et optimisme, en somme Les thématiques développées ici et là ont toujours accompagné l'actualité et l'histoire sociale. Elles réinvestissent les considérations parfois psychologiques de la société camerounaise au fil du temps et de l'espace. Elles donnent corps et vie aux opinions des réalisateurs. Et elles évoluent.

Martial E. Nguea

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