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Sport et socialisation : smatch d'un infirme au tennis de table
The King of Ping Pong, de Jens Jonsson (Suède)
critique
rédigé par Télesphore Mba Bizo
publié le 27/02/2008
Jens JONSSON, réalisateur
Jens JONSSON, réalisateur
Jan BLOMGREN, producteur
Jan BLOMGREN, producteur
Jens JONSSON, le réalisateur - www.jensjonsson.com
Jens JONSSON, le réalisateur - www.jensjonsson.com
God Morgon alla Barn, de Jens Jonsson, 2006.
God Morgon alla Barn, de Jens Jonsson, 2006.

The King of Ping Pong est la onzième signature de Jens Jonsson. Son film Brother of Mine a déjà été récompensé au Festival international du film de Berlin (Ours d'Argent). Allons donc savoir pourquoi The King of Ping Pong de cet auteur prolifique mérite inscription dans le listing des films répertoriés par la FACC, Fédération africaine de la critique cinématographique.

Jens Jonsson est en marche vers la légion d'honneur. Son The King of Ping Pong choisit un angle de traitement original pour évoquer la périphérie sociale. En effet, le tennis de table nous y parle dans un profond monologue. Le film est la dictature de ce sport sur l'individu et le groupe. Les échanges sont à sens unique. Les nouvelles couvrent strictement l'itinéraire qui va du destinateur vers la cible. Le chemin inverse est impossible. The King of Ping Pong est information et jamais communication. En effet, le concept de communication intègre la notion de feed-back. Ici, le destinataire est admis à la table des débats. Il est investi du pouvoir d'émettre un avis sur la qualité du produit. C'est tout le contraire de la démarche informative. Elle fait la loi.

L'exclusion sociale

C'est la gravité du thème qui justifie à suffisance ce diktat de Jens Jonsson. Il traite de l'exclusion sociale. Il nous parle donc. Il s'en prend à ce "nous" sans majesté rôdé à la négligence des infirmes. Le choix de ce mot-bateau vaut tout son pesant d'or dans ce sens qu'il assimile les enfants de la rue, les femmes "battues", les personnes du troisième âge, en bref les souffre-douleur, aux invalides sociaux.

L'invalidité va au-delà des insuffisances motrices et mentales
Si The King of Ping Pong nous parle, c'est parce que Rille, véritable cadre parmi les personnages, est handicapé. Ici encore, le terme est à saisir au second degré. Rille ne boite pas ; il n'est même pas sourd-muet ou aveugle. Cependant, sa condition physique le range dans cette classe "frappée de malédiction". Le héros est un tas de muscles sans forme validable, passez-moi la terminologie amère. Il déplace à peine la charge massive de son corps. Son obésité, signe extérieur d'opulence ailleurs, devient synonyme d'infirmité. Et la société ne manque pas de la châtier. Les filles lui échappent. Les garçons, y compris son tombeur de "beautés" de frère cadet, le narguent. Comme si le cortège des railleries invalidantes n'était pas exhaustif, il est incapable de conduire un "4x4". Même son père l'esquive pour se livrer au benjamin de la famille. Le résultat des courses est le doute sur la paternité qui, de l'intérieur, déchire Rille. Il n'est pas jusqu'au suicide qui ne passe par sa tête.

Invalidité n'est incapacité

Rille en fait une démonstration de force dans le film. La ville organise une compétition de tennis de table. Chacun lui assigne le statut de victime résignée. Dès les premières balles, il fait bonne figure. Les raclées interviennent à la chaîne. Dans une confrontation-défi avec son cadet, précédée d'un match de gueule entre les frères "ennemis", Rille sort vainqueur et s'écrie à l'intention de leur monitrice de sport : "ici, il sait qui est le boss !".
L'essentiel loge dans l'esthétisation du tennis de table. Ce sport de maintien devient un support idéal de socialisation. Au gré des triomphes, le héros, zéro hier encore, grimpe, une après une, les marches du podium. Désormais, il retrouve sa place au sein de la société. Il a pu réaliser le trajet inverse grâce au sport. Il est parti du groupe de la marge sociale pour s'imposer au centre (de toutes les attentions). Soudain, sa vie cesse d'être mise entre parenthèse.

Ping-Pong : une onomatopée signifiante

L'interrogation de la chaîne signifiante de The King of Ping Pong révèle des informations inattendues. Les résonances "ping", d'une part, et "pong", de l'autre, sont porteuses du favorable écho du partage. La balle va d'un joueur à l'autre. C'est la dualité du "prend-reprend" ou ping-pong, à notre sens. Le jeu meurt dès qu'un pongiste opte de confisquer la balle. Le bonheur de jeu de l'un provient nécessairement de la contribution de son vis-à-vis. L'idée s'aligne dans une sorte de prolongement "du donner et du recevoir".
Cet altruisme est inspiré d'une image en début de film : Riley jongle la raquette sans balle au sortir d'un autobus. Or, un son, identique à une balle de tennis de table, œuvre du Dolby system, agresse les tympans pendant que le jongleur déplace la raquette du bas vers le haut avec précision, malgré l'absence de l'objet source du bruit ; un numéro d'autonomisation sonore en mesure d'obtenir le sourire de Michel Chion, patron de la pensée en la matière. En réalité, Jens Jonsson procède par la ruse pour faire vivre au spectateur les joies et les peines intérieures de Rille. Comme sujet pensant, il n'a en tête que le Ping-Pong. Dès l'entame donc, le réalisateur donne au spectateur de partager la subjectivité perceptive mentale du héros de manière à mieux le comprendre dans la suite de la fiction. Facilement, le destinataire prend fait et cause pour Rille quand la seule catégorie d'évaluation du film devient la morale.

Un sport honorable

Le tennis de table se distingue des sports à scandale : football et racisme, cyclisme et dopage, pour s'en tenir à ces deux. Le contact physique se limite aux politesses d'avant-match. Il faut aller chercher la brutalité chère au rugby et au catch ailleurs. Si le réalisateur avait mis en vedette le basket sur fauteuil roulant aux dépens du tennis de table, le film allait prendre les allures d'un reportage. Des handicapés auraient investi les espaces. Contrairement à ce genre journalistique, le message d'une fiction ne doit pas perdre le sens de la nuance. Il est évident que la mise en scène du handi-basket, par exemple, en lieu et place du tennis de table, allait mener droit à une sorte de manifeste pour les droits humains. Certes, il en est question. Mais, présenter ouvertement la pancarte sur les douleurs du monde infirme aurait faussé les données. Heureusement, le choix d'un sport à mi-chemin entre l'assouvissement et la compétition ou le combat couvre un temps soit peu la vérité des intentions de la réalisation. Cette attitude laisse le loisir au spectateur de lire entre les lignes du texte pour se construire un univers de compréhension. Et lorsque celle-ci est effective, le récit filmique devient l'histoire du smatch gagnant d'un infirme pris dans l'étau d'une balle de match de Ping-Pong contre tout son entourage comme adversaire. Cette réussite du "un contre tous" est une "success story" à brandir à chaque célébration de la journée internationale des personnes handicapées chaque 3 décembre.

Télesphore MBA BIZO

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