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La question des générations dans le cinéma marocain
critique
rédigé par M'barek Housni
publié le 27/02/2008

D'aucuns sont allés vite en besogne. Tout de go. Depuis la période 88/90 où les questionnements sur notre cinéma éventuel ont explosé avec un enthousiasme inhabituel, on entend parler de "nouvelle vague" marocaine à chaque apparition d'une mode ou d'un film qui fait un peu parler de lui. Il y avait une ancienne vague, qui a fait son temps, parait-il? Etudions la question de plus près.
L'appellation a vu le jour dans une aire occidentale spéciale, particulièrement à la suite d'une révélation dans le cinéma (et dans le culturel plus généralement) qui a pris d'assaut et la forme et le contenu de cet art devenu majoritaire et si influent. C'était la concrétisation bénite du cinéaste en tant qu'auteur (à connotation littéraire non dénuée d'aspiration au prestige et à la consécration) et plus encore du film de cinéma comme oeuvre d'opinion, vision du monde et représentation de celui-ci et non un vulgaire divertissement du samedi soir. C'était l'œuvre d'une poignée de critiques de cinéma français illuminés doublés de cinéastes, les François Truffaut, Jean Luc Godard, Eric Rohmer et les autres. Le septième art, par leurs soins, fut définitivement élevé au rang d'art complet, comme priorité vitale et mode de vie personnel et subjectif de son adepte. Du coup toute gratuité ou quelconque lien d'intérêt vulgairement financier ou "idéologique" sont éliminés. Ainsi que toute conception classique du film qui se répète à chaque fois linéaire, infantile et débile instauré par le cinéma commercial. Elle n'a plus droit de cité. Faire du cinéma, c'est créer et un cinéaste nouvelle vague est un créateur avant tout.
C'était tellement nouveau, attirant qu'elle s'est reproduite partout dans le monde. Elle déterminait pour chaque cinématographie une coupure essentielle. Des critiques et des cinéastes se regroupaient et à force de réflexion et d'invention d'idées osaient parler cinéma par le cinéma. Créer un discours esthétique propre où il est question de social, de politique, de pensée et où l'homme / personnage évacue définitivement l'idée identificatrice totale d'antan.
Côté arabe, on se souvient qu'au début des années 80 un groupe de jeunes égyptiens a essayé l'entreprise d'égyptianiser leur cinématographie et fuir la débilité mélo qui lui collait, l'analphabétisme du monde arabe aidant. Atef Tayeb, le plus éminent de cette génération, a pu concevoir des idées originales pour aborder de plus près la réalité de sa société.
Actuellement la nouvelle vague appartient à l'histoire, elle n'est plus un courant cinématographique, elle s'est intégrée ici ou la par ses innovations, ses exercices de styles et ses découvertes ou bien ses prises de positions au cinéma universel.
Qu'en est-il du cinéma au Maroc? Y trouverons-nous les éléments qu'on a cités ci haut? Après quarante ans d'existence cahotante et plus de cent soixante dix films qui ont vu le jour! Des films divers, différents de par la qualité et l'importance. Le film de 1968* demeure encore expressif et plus réussi que tant de films sortis beaucoup plus tard.
Il y a aussi le cadre temporel indéterminé; quelle date prétendrait-on être significative et tranchante au sein de notre cinématographie ? Quel film pourrait-on encore avancer comme le seul ayant osé réaliser une coupure immanente ? Quel groupement (de gens ou d'idées) actif et enthousiaste serait assez naïf pour s'approprier cette appellation lourde de réflexions et d'accumulations de connaissances de la société d'un côté et du cinéma de l'autre ? Pour que la tendance soit justifiée et soit réalisée pour le bonheur des cinéphiles ? Non, c'est plutôt du domaine du chimérique. Le problème est que nos intentions et souhaits devancent la réalité effective. Certes, on ne peut nier l'existence confirmée d'une évolution cinématographique lente, influente et active poussée plus par l'entêtement rageur et épaulée par une volonté étatique indéniable pour aller toujours plus vers l'avant à coups d'aides et décrets et de festivités. Certes, bien des films sortent régulièrement, voient le jour dans des salles de certaines grandes villes, créent une dynamique plutôt bien heureuse chez tous les intéressés. Les médias, tous genres confondus, s'y intéressent avec une fougue jamais vue avant. Un public est en train de se constituer progressivement, intrigué et mu par le désir de se voir, de voir son film national. Effectivement la marche du film marocain se précise avec un peu plus de solidité et le nombre croît sensiblement avec vingt films durant l'année 2007. Encourageant. Mais le nouveau s'arrête là, nullement au-delà. Il est porté par une évolution réaliste dans la "vision" et qui a produit des films acceptables dont la mesure où ils ont le "minimum" de cinéma sollicité. Il est possible, réalisable sur l'écran de raconter une histoire, d'assumer une fonction, de sauter ce pas périlleux : passer du scénario (intention) à l'effectivité de l'image image, abstraction faite de la forme de l'acceptation écranique. Le désir de satisfaction est minimalement exaucée. Indubitablement les films dont il est question sont différents l'un de l'autre. Les films des pionniers des années soixante et soixante dix, intellectuels et enthousiastes, la génération des années quarte vingt expérimentant et parfois balbutiante, la génération immigrante de la fin du siècle avec son expérience de l'Europe ou l'Amérique, les jeunes nouveaux réalisateurs, et tous ce beau monde actuellement coude à coude, concourant à édifier un cinéma marocain digne et créatif. Mais on a beaucoup de mal à rassembler ces oeuvres dans un probable corpus donné. Aucune relation un tant soit peu rassemblant sauf la relation géographique et linguistique. La marocanité et la contemporanéité! La concordance et le lien entres ces oeuvres sont purement involontaires. Des cinéastes ont décidé chacun de son côté, avec l'aval de l'aide étatique, de faire des films et de les réussir coûte que coûte. Un espoir d'ensemencer le champ cinématographique national par des graines autres, plus durables et plus fertiles. Une conscience aiguë de l'importance et l'urgence de produire de films et de les imposer.
Avancer le terme de "nouvelle vague" ou nouvelle sensibilité ou d'autres appellations nécessite la réalisation d'un nombre suffisant de films permettant l'émergence préalable d'une nouvelle conception et qui part puiser ses armes et couleurs dans le local dispersé ici et là dans le but d'explorer l'esthétique cinématographique. Ainsi une certaine "vague" pourrait être créée et pourrait remplir le vide par des images de plaisir et de façon permanente et éviter, en même temps, de tomber dans l'oubli aussitôt.
C'est une question de générations qui se succèdent, une question de recherche infatigable de création et de l'originalité. Notre image est encore floue et notre discours est plutôt un bégaiement. Tout parait tel un souhait enthousiaste, tentant mais les qualificatifs sont loin actuellement, de s'accorder avec l'état du film marocain souhaité. Le chemin est long et l'urgent serait plutôt de produire des films avec une cadence notoire, encourager le côté créatif et artistique d'un cinéma, et éviter de s'enliser dans le vulgaire, la simplicité débile et la "commercialité" stérile. C'est la mission de la critique. Laissons les appellations pour plus tard.

M'barek HOUSNI

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