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Vie et mort des salles de cinéma
Le cinéma en Tunisie
critique
rédigé par Ikbal Zalila
publié le 10/03/2008

À l'indépendance, la Tunisie offre environ 44000 fauteuils, pour 71 salles dont 55 en format standard et 16 de format 16mm.Ce chiffre passe en 1960 à 62 salles en standard et 39 en sub-standard 16mm. La situation en 1960 donne une place de cinéma pour 27 habitants et le nombre de spectateurs est estimé à 6 millions.
Le parc des salles comptait vers le milieu des années 60, une centaine de salles pour 60 000 fauteuils. Les ciné-clubs revendiquaient vers le milieu des années 70 soixante mille adhérents. Entre-temps, il y a eu la télévision, les magnétoscopes, les antennes paraboliques et le téléchargement.

En ce début d'année 2008, le paysage de l'exploitation cinématographique en Tunisie vit au rythme de la fermeture des salles de cinéma. Tunis avec ses presque trois millions d'habitants compte aujourd'hui douze salles de cinéma, Sousse une salle pour plus de cent mille étudiants, Sfax cœur économique du pays une salle, et enfin Bizerte deux salles. Soit seize salles en tout pour une population qui dépasse les dix millions d'habitants. Le "Mondial" s'apprête à fermer pour travaux (?) à la fin de la saison. Ce qui fera une salle en moins et non des moindres pour Tunis. Les raisons avancées pour expliquer la lente agonie du spectacle cinématographique sont d'ordre économique.
Le cinéma ne fait plus recette, le public a déserté les salles.

Une salle de cinéma est avant tout une entreprise économique qui est obligée de rentrer dans ses frais pour pouvoir survivre. Les recettes aujourd'hui ont du mal à couvrir les dépenses d'exploitation et ce en dépit des subventions accordées annuellement par l'autorité de tutelle au titre de la rénovation du matériel ou de l'amélioration du confort des salles. La seule condition exigée d'une salle pour être éligible à une subvention est une activité de dix semaines successives, soit deux mois et demi d'exploitation sur l'année. Un certain nombre de salles vivent aujourd'hui grâce à ces subventions en se limitant à ouvrir pour la durée exigée par la loi. Le reste de l'année, ces salles sont louées pour des activités qui n'ont rien à voir avec le cinéma. À l'exception de deux salles de la place qui ont entrepris des efforts en matière de rénovation, les salles encore en activité aujourd'hui sont dans un état de délabrement déplorable. Inconfort des sièges, acoustique défaillante, image floue et décadrée…
Sur les douze salles de Tunis, trois ou quatre sont encore à même de proposer à des spectateurs payants une projection aux normes. La situation d'inconfort dans laquelle se trouve le spectateur aujourd'hui explique en partie son renoncement à voir des films au cinéma.

Le problème de l'exploitation n'est pas réductible loin s'en faut à l'état des salles. La programmation contribue pour beaucoup à cet état des choses. Les films proposés au public arrivent sur nos écrans, six mois voir un an après leur apparition dans les bacs en support Dvd ou Divx pirates. Le nombre d'officines pratiquant "la gravure" est estimé aujourd'hui à trente cinq mille pour le grand Tunis, et à soixante dix mille pour l'ensemble du territoire national. Moyennant un investissement dérisoire, un ordinateur, une imprimante et une connexion ADSL à haut débit pour le téléchargement, celles ci sont aujourd'hui en mesure d'offrir les films les plus récents à des prix défiant toute concurrence. L'ampleur de ce phénomène est telle qu'il devient difficilement pensable aujourd'hui de le remettre en question.


Paradoxalement, ce public introuvable en cours d'année réapparaît massivement à l'occasion de manifestations ponctuelles. Le succès jamais démenti des JCC, l'affluence enregistrée lors des journées du cinéma européen, le ras de marée provoqué par la première édition de docs à Tunis constituent la preuve que la salle est encore en mesure de drainer les foules. La survie de l'exploitation passe aujourd'hui par la fidélisation de ce public occasionnel. Il semble qu'en la matière la salle l'Africa soit en train de contribuer significativement à la renaissance du cinéma en salles. Gérée par des cinéphiles, militants dans le champ culturel, l'Africa propose depuis sa réouverture une programmation intelligente, audacieuse et osée qui rencontre un public. Plus qu'une salle, l'Africa se veut un lieu d'échange, de rencontre entre artistes et cinéphiles. Ce pari un peu fou sur une "culture citoyenne" dans un paysage dévasté accrédite l'idée que la projection en salle ne relève pas d'une hérésie. Le public se déplace si on lui propose des conditions de projection satisfaisantes et une programmation qui fasse confiance à son intelligence et à son goût.
L'expérience de l'Africa mérite d'être soutenue pour être viable et se doit d'entraîner d'autres salles dans son sillage. C'est à cette condition qu'une reconquête d'un large public est possible.

Ikbal Zalila

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