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Le satyre social au-delà de la fiction
Mossane, de Safi Faye (Sénégal)
critique
rédigé par
publié le 26/03/2008

Décidément, TV5 est devenu un précieux relais entre nous jeunes critiques et des œuvres cinématographiques d'Afrique. Ainsi, la chaîne francophone a diffusé le 3 février 2008 Mossane de la Sénégalaise Safi Faye. Une fiction attrayante et plein de poésie qui nous renvoie le sombre tableau des mariages forcés et précoces ainsi que des débrayages dans les écoles et universités. C'est dire que le film réalisé en 1996 est toujours d'actualité puisque nous vivons toujours ces situations.

Elle est belle à ravir ! Ses parents l'ont sans doute compris dès sa naissance en la baptisant… Mossane ! Ce qui, en sérère (langue du Sénégal) signifie "la beauté". Dans cette œuvre, la talentueuse Safi Faye s'est inspirée d'une légende où l'esprit d'une belle femme revient troubler une communauté. L'héroïne a 14 ans, sa beauté attise les désirs des hommes de Mbissel.

Mais, depuis sa naissance, Mossane (Magou Seck) est promise à Diogoye, parti chercher fortune à Paris. Les cadeaux qu'il envoie lui assurent les faveurs des parents de la gazelle noire qui est plutôt attirée par Fara (Alioune Konaré), un jeune étudiant pauvre et désoeuvré. Elle s'affranchit de la tradition et bouleverse les règles de la soumission féminine en se révoltant le jour de son mariage. La nuit de la noce, elle tente de s'enfuir pour rejoindre Fara, l'homme pour qui bat son cœur, rentré en ville suite à la fin de la grève à l'université.

Ce n'est pas pour rien que cette œuvre a été lauréate du Prix "Un Certain Regard" au Festival de Cannes (en 1996) et Cannes Junior (1997). L'un des mérites de la réalisatrice, c'est d'avoir réussi à "capter cet éphémère moment où la beauté adolescente va se métamorphoser" (Luc Bongrand, ACID) pour devenir un objet de convoitise masculine et souvent un fonds de commerce pour les familles. Prétextant la sacralité de la parole donnée, celles-ci sacrifient facilement l'amour sur l'autel des avantages financiers que leur procure une partie !

Comme le disait Luc Bongrand (ACID) avant moi, Safi a bien réussi son tableau car "sa Mossane est sublime. Tellement sublime qu'elle ne peut appartenir au monde des humains. Son extrême beauté suscite tant de convoitise qu'elle divise le village". Finalement, elle a été mariée à un absent par ses parents qui l'ont enlevé à celui qu'elle aime.

Mais, Mossane est une déesse ! Et on ne peut pas contraindre une déesse à se plier à la volonté humaine. Son naufrage fait qu'elle appartiendra désormais à tous, à la mythologie du village. On la chantera pour rappeler que si on sacrifie l'amour au profit d'intérêts et des traditions, cela mène au calvaire, à la souffrance du cœur et de l'âme voire à la mort. Il faut donc respecter l'amour comme les traditions.

Et ceux qui sacrifient l'amour au profit de leurs intérêts financiers et matériels, vivent généralement avec la culpabilité inaltérable de l'avoir sacrifié par pure cupidité. La scène de douleur de la mère qui rampe et frappe la terre comme si elle voulait qu'elle l'engouffre, en est la preuve dans Mossane.

Ce film est d'une grande maîtrise car, pour paraphraser un confrère, "les gestes sont comptés, les paroles pèsent lourd. Une fois prononcées, les corps disparaissent, ils n'ont plus rien à faire dans les lieux". Avec Mossane, Safi Faye après de nombreux documentaires, s'installe de plein pied dans la fiction. Mais, une fiction face à laquelle les frontières s'évanouissent pour nous mettre en face des drames quotidiens et réels comme les mariages précoces ou forcés.

Dans ce chef d'œuvre, le sacré le dispute aussi au profane. Sans compter que la musique du film a quelque chose de sublime à l'image de Mossane. Elle met en exergue non seulement le caractère rituel des chants sérères, mais aussi toute leur poésie. Ainsi, le spleen le dispute au romantisme dans un décor austère fait de détresse humaine et d'impuissance sentimentale.

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