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Gaston Kaboré : "C'est à nous de nous raconter dans notre façon d'être"
Gaston Jean Marie Kaboré, Cinéaste burkinabé
critique
rédigé par Fatou Kiné Sène
publié le 02/04/2008

Il est aujourd'hui considéré comme l'un des maîtres du cinéma africain. Son deuxième film, Buud Yam, qui a reçu l'"Etalon de Yennenga" au Fespaco en 1997, a été projeté mercredi 26 mars à l'Institut Français. Gaston Kaboré, aujourd'hui directeur de sa propre société de formation cinématographique au Burkina Faso, "Imagine" pense que "le cinéma ne peut pas se construire s'il n'y a pas une politique courageuse, volontariste de l'État". Selon lui, il ne faut pas se laisser dicter le type de cinéma à faire. C'est à nous (Ndlr : Africains) de nous raconter dans notre façon d'être. Ces Propos du réalisateur burkinabé ont été tenus lors de sa rencontre avec les jeunes cinéastes sénégalais dans le cadre de la rétrospective du cinéma africain organisé par l'Institut français.

Une obsession pour la formation

"Quand j'ai arrêté, en 1997, d'être à la tête de la Fédération panafricaine des cinéastes (Fépaci), je me suis dit : "Qu'est ce que je peux faire, en tant que cinéaste." J'ai fait bouger quelque chose pendant que j'étais à la Fépaci : on a tenu des ateliers dans diverses capitales africaines. Le programme d'appui au développement de l'industrie audiovisuelle avait développé beaucoup d'ateliers. C'étaient des réponses très importantes mais ponctuelles, qui pouvaient difficilement résoudre le besoin structurel de formation qu'il y avait en Afrique. Donc, je n'ai pas pu me départir de ma préoccupation de faire quelque chose. La télévision sud africaine, M-net, me demanda ensuite de rencontrer des jeunes auteurs anglophones pour les aider à développer leurs scénarios. Cela a été l'ultime expérience pour moi, dans les années 99-2000, et qui m'a convaincu qu'il y avait quelque chose à faire. Quelque soit la modestie de la réponse individuelle, je me devais de faire quelque chose.
Voilà comment l'idée de mettre en place "Imagine" a germé."

Philosophie d'"Imagine"

"D'emblée, j'ai eu l'ambition d'allier la théorie à une forte pratique. En me basant sur mon expérience professionnelle, je me suis dit que les gens qui sortiraient d'"Imagine" au bout de six à huit semaines, devront faire un saut qualitatif, dans toute la palette des métiers de l'audiovisuel. Qu'ils auront un savoir-faire supplémentaire qu'ils pourront directement investir et qui se traduirait par l'amélioration des films.
Il s'agissait de mettre en place une structure de formation dont la vocation première serait la consolidation de l'expérience. "Imagine" a été inauguré en février 2003 et déjà en janvier de la même année, on avait démarré une formation dans le domaine de la scénarisation."

Travailler avec les outils disponibles

"Un jeune d'aujourd'hui a plus de chance de tourner en vidéo qu'en 35 mm. Donc nous devons leur apprendre à travailler avec les outils qui sont disponibles. Mais la formation que nous offrons permet, assez aisément, de travailler avec le 35 mm, en s'entourant des compétences nécessaires. Parce que sur un plateau, ce n'est pas le cinéaste qui doit tout faire. Il n'est pas à la fois cadreur, preneur de son, réalisateur, etc. Et c'est de cela qu'il faudrait que nous sortions. On y a été enfermés parce que le cinéma africain est resté majoritairement un cinéma d'auteur. Ce n'est pas par choix que les cinéastes africains ont semblé être des hommes-orchestres, c'était une nécessité. Mais la formation que nous offrons doit aider à sortir de ce piège-là. L'Afrique ne doit pas renoncer à produire des films sur celluloïd tant que les pellicules chimiques existent. Mais vu que c'est urgent que l'Afrique se raconte - parce que les Africains consomment de plus en plus d'images - si nous ne produisons rien, nous serons orphelins de notre propre image. Il faut qu'on produise non seulement quantitativement, mais qualitativement, et à toute vitesse. Et c'est comme cela que nos jeunes vont comprendre que ce n'est pas un malheur d'être né en Afrique."

Chacun doit posséder sa liberté

"On n'enseigne pas aux gens quel film il faut faire ; on n'essaie pas de leur dire le type de cinéma qu'il faut qu'il fasse. Nous voulons leur donner le plus de bagages pour qu'ils puissent s'exprimer dans la liberté la plus totale. Car, comme disait André Gide, "l'art naît de la contrainte et vit de liberté". Nous insistons sur le fait que chacun doit posséder sa liberté, la faire grandir : c'est ce qui fait qu'on fait des histoires uniques. Nous avons notre personnalité, notre couleur de regard uniques. C'est cela qui doit amener de la richesse dans le cinéma et la production d'œuvres audiovisuelles en Afrique."

Comment je suis arrivé à réaliser des films

"Après mes recherches pour la présentation de mon mémoire de maîtrise en Histoire, je suis resté sur ma faim d'autant plus que je vivais à Paris et que je voyais des films documentaires et de fictions où la représentation de l'Afrique dans la presse dans les films n'était pas à cette époque - c'est-à-dire dans les années 1970 - très éloignée de ce que moi j'avais étudié dans les ouvrages datés de près de 80 ans auparavant. L'idée m'est venue donc de questionner cette image de l'Afrique montrée aujourd'hui dans les télévisions et le cinéma français. D'où l'idée de faire une formation en cinéma, sur la trajectoire du cinéma mondial, pour apprendre le langage, le montage, etc., ce qui était vraiment au cœur du récit et de la représentation au cinéma. Je me suis réellement intéressé à tout cela. Finalement je découvris que j'avais beaucoup d'attirance pour le septième art, en tant que spectateur, mais je venais de découvrir que c'était un lieu de récit et de narration absolument extraordinaire et que j'avais envie tout compte fait de devenir conteur d'histoires plutôt que de rapporter simplement l'Histoire."

Raconter des histoires absolument originales

"Notre rôle est de permettre à la nouvelle génération de pouvoir raconter son Afrique, son imaginaire. Nous sommes dans un mouvement et on n'entend pas se laisser dire quel est le type de cinéma que nous avons à faire, ni entre nous, encore moins en provenance de l'extérieur. C'est à nous de nous raconter dans notre façon d'être ; mais avec notre exigence, notre volonté de raconter des histoires absolument originales. Cela relève de la responsabilité de tout un chacun."

Responsabilité de l'État

"Le cinéma ne peut pas se construire s'il n'y a pas une politique courageuse, volontariste de l'État qui met en place un cadre légal et fiscal qui permet à des gens d'investir dans le cinéma. Et une politique cinématographique spécifique qui aide les jeunes à la production. Parce que s'ils ne sont pas soutenus que vous voulez-vous qu'ils fassent ? Cette situation prévaut au sein de tous les pays africains ; c'est à chaque pays de trouver les réponses appropriées."

Frustrant de sous-titrer un film africain

"Nos langues locales sont très riches. Et devoir les traduire leur fait perdre leurs substances. C'est moi-même qui me charge de mes sous-titrages. Mais je peux rester des jours et des jours à chercher la formule adéquate pour traduire un dialogue ou surtout les proverbes. Les langues africaines sont riches de proverbes qui dans certains cas ne peuvent pas être traduits pour exprimer la même chose. Même nos films doublés, l'exercice reste un casse-tête chinois. C'est extrêmement complexe et très frustrant de sous-titrer les films africains. De cet exercice très délicat, je pense qu'il y a beaucoup de films qui en perdent quelque chose. C'est bon aussi de collaborer avec d'autres personnes pour le sous-titrage. Mais il faut toujours y veiller pour éviter d'apporter des contresens aux dialogues.".

Je prépare un film, mais pas pour le Fespaco 2009

"Comme tous les cinéastes, mes projets vont se résumer à faire des films. Cela fait cette année onze ans que je n'ai pas tourné, mais je vais bientôt retourner à mon métier. Je suis sur quelque chose et je pense terminer bientôt. Ce ne sera pas pour le Fespaco 2009 mais peut-être après. Je voulais résoudre ce besoin de formation noté sur le continent.".

L'héritage de Sembène

"En fait l'héritage que Sembène a laissé, on ne s'en rend pas compte encore aujourd'hui. C'est demain, quand de nouvelles générations vont visiter son œuvre, qu'elles regarderont ses films qu'elles vont comprendre tout ce que Sembène a emmené comme force, comme talent de narrateur et de conteur par l'image.
Je pense qu'il faut faire en sorte qu'on en arrive à ce que tous les films de Sembène et tous les films des cinéastes africains et du monde soient vus dans nos pays. Or aujourd'hui la diffusion des films est tombée à l'eau. Il faudrait qu'on trouve d'autres mesures de correction, à la télévision par exemple."

Propos recueillis par
Fatou Kiné SENE

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