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Rome plutôt que vous, de Tariq Teguia
L'écume des journées d'Alger
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 11/04/2008

LM Fiction de Tariq Teguia, Algérie, 2006
Sortie France : 16 avril 2008

Les jeunes cinéastes algériens continuent de chercher. Et trouvent parfois des voies étroites pour contourner les blocages du cinéma. Faute d'un soutien régulier de la part de l'État qui préfère investir des enveloppes ponctuelles pour "L'année de l'Algérie" ou "Alger capitale de la culture", le 7ème art se pratique au coup par coup. Quelques fonds locaux, l'appui bienveillant mais économe d'un producteur algérien, nécessitent souvent des aides extérieures, glanées à la force du poignet. Et on est loin des productions cossues que peuvent monter plus aisément ceux qui sont installés en Europe. Mais le désir de faire du cinéma se joue des économies réduites, et c'est par là qu'il faut entendre Rome plutôt que vous.

Le titre annonce une des répliques de l'héroïne. C'est une jeune Algérienne d'aujourd'hui, mobilisée par son ami Kamel pour aller chercher des faux papiers. Comme beaucoup, il ne rêve que de partir en Europe. Alors il s'affaire pour trouver les documents exigés, clés convoitées et rares pour une nouvelle vie. Kamel va et vient, magouille pour établir un contact, faire le lien avec des amis, un fournisseur. Ses journées sont les brouillons nerveux d'une fuite en avant. Et agacée par ces mouvements sans fin, ces combines qui tournent en rond, l'héroïne peut lancer comme par dépit : "Rome plutôt que vous". Les mots disent l'impasse qu'est devenu Alger pour la jeunesse qui s'y sent coincée. Les images montrent les personnages, piégés dans un quartier de la capitale, devenu labyrinthique, violent.

L'histoire n'est pas le moteur du film. La narration de Tariq Teguia patine derrière ses héros. La caméra colle à leurs déconvenues sans souci de bien cadrer, de bien composer. Comme si l'urgence de capter leur malaise suffisait à justifier le film. En accompagnant leur course sans issue, Tariq Teguia semble trouver, lui, une issue pour faire son cinéma. En se jouant des codes du cinéma algérien qui a longtemps privilégié les caractères, porteurs des valeurs de leur communauté, le réalisateur paraît vouloir ouvrir le champ. Il valorise des émotions, des gestes désordonnés, des décors imprécis, balayés par les silhouettes des acteurs. Samira Kaddour et Rachid Amrani, des têtes fraîches dans le cinéma algérien, se jettent dans la peau de ces jeunes en mouvement. La participation de Ahmed Benaïssa, vedette réputée du petit et du grand écran, en commissaire goguenard, apporte une touche de cinéphilie supplémentaire à Rome plutôt que vous.

En signant son premier long métrage de fiction, Tariq Teguia se signale surtout par la volonté de bousculer le cinéma local. Avec ses personnages en rupture, pleins de gouaille et de spleen, et surtout la conclusion, mise en scène avec brutalité, le film semble un clin d'œil, plus ou moins conscient, au mythique A bout de souffle de Jean-Luc Godard. Mais la virtuosité du maître de la Nouvelle Vague reste à distance et Tariq Teguia opère un virage plus terre-à-terre. Son propos ne décolle pas de la simple observation d'une société étouffante où l'homme n'échappe pas à son destin. Quand à la femme, libérée par sa faculté d'adaptation, elle peut encore rêver d'autre chose. Et cela peut déjà motiver un film.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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