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L'allégorie de l'intériorisation
Les blessures inguérissables, de Hélène Ebah (Cameroun)
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 20/04/2008

Le premier long métrage de Hélène Ebah, Les blessures inguérissables, est sorti en avant-première mondiale au cinéma Abbia de Yaoundé le 02 novembre 2007.

La cinématographie africaine n'est pas très riche en psychodrames. La femme au couteau de l'Ivoirien Timité Bassori, et Les blessures inguérissables de la jeune Camerounaise Hélène Ebah, en font partie. Au travers d'une écriture scénaristique brisant les codes préétablis, elle vient explorer, à la suite de Sigmund Freud, ces désirs apparemment refoulés, mais qui, tout en continuant d'exister dans l'inconscient humain, réapparaissent dans la conscience une fois défigurés.

Iconoclaste dans son style et dans la préhension de son sujet, elle s'inspire à la fois du théâtre classique et du Mythe de la caverne de Platon. Dans le premier cas, le spectateur est amené à se concentrer sur l'intrigue. Les détails superflus lui sont donc épargnés. Ceci a pour avantage de l'édifier, de le toucher. Comme dans le théâtre classique, joué en (trois) actes, "Les blessures inguérissables" est constitué de (quatre) tableaux (le temps des suggestions ; le temps des questions ; le temps des regrets ; le temps des blessures), qui sont autant de moments forts qu'il importe de lire de la fin vers le début.

Concernant le Mythe de Platon, Hélène le convoque dans une scène inoubliable, tant elle est à la fois belle, porteuse d'histoire et lourde de significations. Pam (Blanche Bilongo), lutte contre des ombres, ses ombres. Elle n'en sera délivrée qu'après les avoir éliminées. Projetées contre un mur, comme à la naissance du cinéma, n'interpellent-elles pas implicitement celle-ci pour éviter de prendre pour vraies les représentations de ses sens, pour se départir du "confort" de ces préjugés qui la conditionnent? Ne persiste-t-elle pas dans l'erreur, tant qu'elle continue de prendre ses ombres pour la réalité ?

L'essentiel du film se déroule dans un petit village appelé Amala. En langue locale, c'est l'équivalent de malheur. Là se déroule l'histoire de six femmes torturées par la vie. Pam, le personnage central, perd le contrôle à la suite de la mort accidentelle de son mari. Réfugiée chez sa mère qui lui fait boire une potion pour oublier ses démons, c'est plutôt l'inverse qui se produit. Pam doit alors faire face à son passé, à ce qu'elle est vraiment. Elle se rend compte que sa vie, jusque-là, n'a été que mensonge. Peut-on ignorer la souffrance au point de s'ignorer soi-même ? Comment revenir à la vie quand on s'est auto-décrétée irrécupérable ? A quel point nos actes sont-ils révélateurs de nos obsessions, de nos blessures ? Autant de questions explorées avec finesse, fraîcheur et originalité dans ce film de 75 mn.

Comme tout drame psychologique, "Les blessures inguérissables" met en place les troubles intérieurs et pathétiques. Ici, troubles de femmes qui rejaillissent sur leur comportement extérieur. Pour ce faire, le film est intimiste. D'où les multiples gros plans et très gros plans qui le jalonnent. Ce qui permet au spectateur de rentrer dans la vie intérieure de ces femmes, dans leurs émotions, dans leurs réactions les plus… intimes. Et parce que le sujet traité est grave, le film de Hélène Ebah est construit sur un rythme lent et pesant. La musique, le bruitage proche de celui des films d'épouvante, les travellings, l'atmosphère glauque des séquences de nuit, ne renforcent-ils pas la langueur, la mélancolie de ce film ?

Par ailleurs, Hélène Ebah brise les barrières. Pour répondre au "racisme de la pellicule", par exemple, elle ne se gêne pas de filmer le Noir dans le noir. Sur le plan esthétique, ce sont des images qui servent magnifiquement son film. De plus, celui-ci ne porte-t-il pas avec bonheur une esthétique de l'imaginaire ? La protagoniste vit dans une relation abusive avec son passé. N'incarne-t-elle pas à souhait ce concept (l'imaginaire) qui ne connaît pas de limites ?
Au final, pour garder les pieds sur terre quand on a perdu la tête, ne faut-il pas tuer le vieil Adam, c'est-à-dire son passé, ou l'assumer ?

Jean-Marie Mollo Olinga

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