AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
24 364 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
L'art de la pose
Docteur Clic Clac, Gilbert Kelner (2001)
critique
rédigé par Bineta Diagne
publié le 20/04/2008
Docteur Clic Clac
Docteur Clic Clac

Ghana, début 2000. L'ère des "labos photo" traditionnels s'éteint peu à peu au profit des "photographes ambulants", avides de numérique. Dans Docteur Clic Clac, Gilbert Kelner dresse le portrait de l'un des rares photographes à moderniser la tradition des labos photo basés sur l'emploi d'une "toile de fond". Et celui d'une société quelque peu modelée par un idéal de vie à l'occidentale.

La caméra épouse le regard de Philip Kwama Apaga, un jeune photographe de Shama, village situé à 300 km de Accra. L'appareil sous le bras, Philip sillonne les rues de Shama, à la quête de pêcheurs en pleine activité. Shama bouillonne de toutes parts : enfants, femmes et adolescents vêtus de costumes locaux grouillent de chaque coins du village. Les villageois sont comme à découvert, filmés naturellement dans leur quotidien. Mais ce n'est pas cette image qui intéresse Philip Kwama Apaga.

Le jeune ghanéen a une conception bien particulière de la photographie. Il met en exergue le désir du luxe. Pour les villageois de Shama, le luxe renvoie au modèle de consommation à l'occidentale. Pour mettre en scène cette conception, Philip emploie une méthode originale : il s'inspire des décors et scènes qu'il observe en Europe, les fait reproduire en grandeur nature sur des toiles, puis demande à ses clients de poser devant ces toiles… Ces clichés pourraient s'apparenter à une forme de Pop Art à l'africaine. Le style est kitsch. Mais les clients se prennent au jeu.

Philip parvient à animer en eux des apprentis comédiens. Modulant par moments, le sourire d'une cliente bien trop crispée devant une toile sur laquelle figure un balcon qu'elle est censée ternir fermement. Sur d'autres séquences, le photographe de Shama fait découvrir le téléviseur à un client qui mime l'action de déclencher le bouton de l'appareil. Un autre villageois devra se fixer devant le réfrigérateur, la main suspendue sur la portière, comme s'il l'ouvrait pour y prendre quelque chose. Bref, des scènes décalées, loufoques… au point de rendre contradictoire la conception de l'art de Philip : l'esthétisme d'une scène dans laquelle les pêcheurs trient les poissons doit - il se figer sur une toile ? Ou bien est-ce réellement le jeu des personnes qui veulent poser devant cette image qui lui donne sens ? L'artiste avait pourtant prévenu les téléspectateurs : "si vous n'êtes pas habitués à ce genre de mise en scène, c'est difficile d'aimer la photo".

Au-delà de l'aspect ludique, Gilbert Kelner montre ainsi le rôle social de l'image au Ghana. A Shama, les villageois gagnent en quelque sorte le grade de "star", une fois introduit dans un décor qui leur est lointain.

Le documentaire est agrémenté d'une touche scientifique, apportée par l'anthropologue Tobias Wendl. Au fil des séquences, Wendl analyse le comportement des villageois de Shama sous le prisme de la photographie. Selon ce chercheur, l'engouement pour ce type de pose révèle un côté narcissique des femmes africaines stimulées à l'idée de pouvoir contempler leur image à tout moment. Le Ghana serait-il en proie à un matérialisme grimpant ? Ce phénomène nouveau qui va même jusqu'à attirer l'attention du roi Nana Koukoubina. Somme toute, Kelner met en scène d'une manière subtile l'un des effets de la mondialisation en Afrique.

Bineta Diagne

Films liés
Artistes liés