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Basseck Ba Kobhio : Visionnaire ou Anarchiste ?
Conférence - Débat autour des œuvres de Bassek Ba Kobhio
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 25/04/2008
Bassek Ba Kobhio
Bassek Ba Kobhio
Le Grand blanc de Lambaréné
Le Grand blanc de Lambaréné
Sango Malo
Sango Malo
Le Silence de la forêt
Le Silence de la forêt
Le Grand blanc de Lambaréné
Le Grand blanc de Lambaréné

"… Ma modeste contribution à ce débat. Une contribution sous le prisme de la filmographie de Monsieur Basseck Ba Kobhio, l'un des cinéastes camerounais les plus célèbres, contribution tendue vers la réponse à la question : Bassek Ba Kobhio : Visionnaire ou anarchiste ?

Pour répondre à cette question aux vocables sinon péjoratifs, du moins dérangeants, surtout relativement à leur acception contemporaine, je retiendrais trois de ses oeuvres majeures, à savoir : Sango Malo, le maître du canton, Le Grand Blanc de Lambaréné et Le silence de la forêt [coréalisé avec le Centrafricain Didier Ouenangaré]. À mes yeux, ce sont des œuvres suffisamment étoffées pour apporter des éléments de réponse à notre questionnement. Après des années de bouillonnement intellectuel à l'Université de Yaoundé, années assimilables à une certaine forme d'anarchie, l'homme semble avoir mis de l'eau dans son vin, tout au moins, au regard de la thématique développée dans ces films, véritables essais cinématographiques.

Pour faire court, je considérerais Visionnaire moins dans le sens du Larousse, qui le définit comme celui qui a des visions, des révélations surnaturelles, des idées extravagantes ou bizarres, et davantage dans celui de Pierre Versins dans l'Encyclopédie de l'utopie des voyages extraordinaires et de la science fiction, où il l'associe au futur, je dirais même à futuriste (au sens d'une personne qui se tourne vers des formules ou adopte une attitude qu'elle croit être celles de l'avenir, Larousse), et surtout à anticipateur. Ainsi considéré, Bassek comme Visionnaire apparaît donc comme quelqu'un ayant une avance sur son temps, parce qu'au niveau des messages véhiculés ou des points de vue exprimés dans ses films, il aurait quelque longueur d'avance sur ses contemporains.

Quant à l'Anarchiste qui, toujours d'après Larousse, rejetterait toute autorité, en particulier celle de l'Etat, et qui préconiserait la liberté absolue et la spontanéité de l'individu, son mode d'expression ou opératoire ne serait-il pas que pure idéologie ? Comme philosophie politique, son principe de négation de l'autorité dans l'organisation de la société et le refus de toutes contraintes découlant des institutions, qui aboutirait à une société sans domination, c'est-à-dire sans chef est-il applicable ? Autrement dit, Bassek Ba Kobhio, Directeur des Films Terre Africaine, se reconnaît-il dans une organisation sociale sans chef, alors que lui-même s'est désigné comme tel ? Je ne le pense pas. Cet argument me permet donc d'évacuer rapidement la problématique relative à Bassek vu comme Anarchiste. Ce d'autant que rien ne le démontre, ni ne le suggère dans sa filmographie, ou dans sa carrière d'artiste cinéaste, qui sont mes domaines de définition. Reste alors la question de Bassek Visionnaire.

Avant de continuer, je voudrais m'arrêter quelque temps pour dire comment l'homme est arrivé au cinéma. Dans une interview qu'il m'a accordée, il y a environ deux ans, il disait être venu au cinéma grâce à Sembène Ousmane, qui l'avait inspiré. Et quand on sait que le cinéaste sénégalais considérait le septième art comme une école du soir, du fait de l'avantage qu'il procure en s'adressant au plus grand nombre (analphabètes et autres), on comprend que comme lui, Bassek ait décidé d'adapter ses propres œuvres au cinéma. Je pense ainsi au Mandat pour le premier et à Sango Malo pour le second. Cinéma et /ou/ comme école ? Ce rapport m'amène à dire, pour le relever, que l'école est permanente dans l'œuvre filmique de Bassek Ba Kobhio. Dans Sango Malo, le maître du canton, il m'apparaît clairement que c'est le jeune instituteur, Bernard Malo Malo, qui est porteur de la vision de l'école du réalisateur.

Dans une société où la vie est tranquillement régie par des règles millénaires, Bernard Malo Malo, jeune instituteur frais émoulu y débarque comme un pavé dans la marre. Au lieu de l'école de l'intellect, il prône l'école de la vie, l'école pratique. Ses élèves, au grand dam de son directeur d'école, passent donc plus de temps dans les champs que dans les salles de classe. Pour changer la société, il faut agir sur les enfants. "Ce sont les enfants qui m'intéressent, pas ce que penseront les parents", dit le jeune instituteur.

Par ailleurs, il bouscule l'ordre établi, dans un milieu où la parole de l'autorité administrative et de l'aîné est considérée comme parole d'Evangile. Il amène les villageois à créer une coopérative, pour prendre en main leur vie. En l'état actuel d'un pays comme le Cameroun, un pays pauvre très endetté, le cinéaste, au travers de cette thématique et des images qui la soutiennent penche pour une certaine adaptabilité de l'école à la réalité quotidienne, au terrain, condition sine qua non pour s'en sortir. Est-ce à ce niveau que se situerait la vision de Basseck Ba Kobhio ? Peut-être. Mais, cette manière de penser la réalité est en déphasage complet avec la praxis quotidienne.

Cependant, comme les visionnaires comportent en eux une large part de prophétie, ils ne sont pas toujours compris de leurs contemporains. Ils sont alors combattus sans ménagement. Le cinéaste fait disparaître son héros Malo dans une prison, un peu comme Gonaba, l'inspecteur des écoles primaires du Silence de la forêt, qui échappe de justesse à la mort, avant de rejoindre son monde qu'il n'aurait jamais dû quitter. Entre Sango Malo et Le silence de la forêt, il y a Le Grand Blanc de Lambaréné. Dans ce (dernier) film, Bassek est un peu plus réaliste, mais sans totalement se départir de ses rêves initiaux. "Vous raisonnez en intellectuel, il serait urgent de développer le travail manuel et l'agriculture", entend-on à un moment. Fatalement, nos pays doivent y arriver. Mais alors, ceci relève-t-il de la vision ou est-ce l'aboutissement de l'analyse d'une conjoncture ? Toujours est-il qu'ici, c'est l'intellectuel-député qui a le beau rôle, celui d'impulser l'action. Par son indépendance et sa révolte permanente. Là se retrouve le vrai Bassek Ba Kobhio.

Et si l'école n'est pas aussi présente dans Le Grand Blanc que dans Sango Malo et Le silence de la forêt, elle est suffisamment évoquée, au travers de Koumba, qui partira pour l'étranger apprendre la médecine, pour venir diriger l'hôpital. De plus, il devient député. Comme Malo, il se rebelle contre l'ordre établi. Et comme eux, Gonaba, dans Le silence de la forêt, est chargé de la même mission, auprès des pygmées : "faire le bonheur des gens malgré eux". Il échouera, car on peut être heureux avec rien.

Alors, eu égard à tout ce qui précède, Bassek Anarchiste ? J'ai répondu par la négative. Bassek Visionnaire ? Par moments. Ceci n'étant pas constant dans ses œuvres, dont celles prises en compte dans notre exposé relèvent davantage de l'utopie que de la vision. Utopie, ici, en tant que représentation d'une réalité idéale et sans défaut. Le cinéaste s'en est-il rendu compte, qui montre bien l'échec de ses héros ? Gonaba est chassé. Bernard Malo est emprisonné ; Koumba se distingue plus par le verbe ; Gonaba est ligoté pour servir de repas aux fauves. Ceci ne témoigne-t-il pas du réalisme de l'intellectuel ?

Si sur le plan esthétique, la couleur des images du Silence de la forêt est si originale qu'elle relève de l'avant-garde, au-delà de la question de départ (Bassek Ba kobhio : Visionnaire ou anarchiste ?), je dirais, ni vraiment l'un pour le premier, pas du tout pour le second. Par contre, l'artiste camerounais, de par ses essais cinématographiques au travers desquels il se livre à un approfondissement libre et subjectif de ses sujets, apparaît plus comme un intellectuel doublé d'un révolté, du fait de son esprit libre, qui le pousse à vouloir bouleverser ou bousculer l'ordre établi.

Je vous remercie pour votre attention".

Texte de la contribution de Jean-Marie Mollo Olinga,
Journaliste, Critique de Cinéma et panéliste

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