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De l'auteurisme engagé à la superproduction
Le cinéaste Souheil Ben Barka (Maroc)
critique
rédigé par M'barek Housni
publié le 27/05/2008
Souheil BEN BARKA
Souheil BEN BARKA
Amok
Amok
FESPACO 2005 - Les deux présidents de jury : Souheil Ben Barka et Sanvi Panou
FESPACO 2005 - Les deux présidents de jury : Souheil Ben Barka et Sanvi Panou
Le jury longs métrages du FESPACO 2005 : de gauche à droite en bas l'actrice France Zobda (Martinique), le président Souheil Ben Barka (Maroc), l'écrivaine Calixthe Beyala (Cameroun), et en haut notre collaborateur Olivier Barlet, les cinéastes Paul Zoumbara (Burkina Faso) et Mansour Sora Wade (Sénégal)
Le jury longs métrages du FESPACO 2005 : de gauche à droite en bas l'actrice France Zobda (Martinique), le président Souheil Ben Barka (Maroc), l'écrivaine Calixthe Beyala (Cameroun), et en haut notre collaborateur Olivier Barlet, les cinéastes Paul Zoumbara (Burkina Faso) et Mansour Sora Wade (Sénégal)
FESPACO 2005 - De gauche à droite : Souheil Ben Barka, président du jury longs métrages, Baba Hama, secrétaire général du Fespaco, et les deux vice-présidents de la Fédération africaine de la critique cinématographique, Jean-Marie Mollo Olinga (Cameroun) et Mohammed Bakrim (Maroc)
FESPACO 2005 - De gauche à droite : Souheil Ben Barka, président du jury longs métrages, Baba Hama, secrétaire général du Fespaco, et les deux vice-présidents de la Fédération africaine de la critique cinématographique, Jean-Marie Mollo Olinga (Cameroun) et Mohammed Bakrim (Maroc)
M'barek HOUSNI avec le cinéaste Abbas Kiarostami (Iran)
M'barek HOUSNI avec le cinéaste Abbas Kiarostami (Iran)
M'barek HOUSNI
M'barek HOUSNI

Deux événements frappés d'exception circonscrivent tout en la fructifiant la carrière cinématographique de ce grand monsieur. Une grandeur de faits filmiques et d'influences décisives sur le destin de cet art au Maroc. Le premier est l'interdit qui a frappé ses premiers films La guerre du pétrole n'aura pas lieu et Milles et une main. Le deuxième est sa stature de "patron" du cinéma à la tête du C.C.M*. Et partant de là deux époques distinctes, sans pour autant différer paradoxalement, divisent sa bio filmographie.

Il y a ainsi l'interdiction qui agissait telle une sentence et une grâce car elle dénote la valeur des travaux "incriminés" tout en voulant la rapetisser. La preuve, il faut le dire, est qu'on était quelques-uns à nourrir à son sujet un réel culte aux temps des ciné clubs. Voir un de ses films relevait d'un défi et d'un plaisir unique par le côté spéculatif élevé qu'ils engendraient. C'était l'époque héroïque du film d'art, pur et engagé, où le cinéma se constitue d'être lui-même comme moyen d'expression authentique et indépendant des autres formes d'activités intellectuelles. Souheil Ben Barka a commencé par cette position avant-gardiste dans le sens le de l'innovation parmi l'éventail possible des thèmes et dans le langage usité en connexion immédiate d'avec l'époque dominée par l'épanouissement de la théorie de cinéma et la fameuse politique des auteurs. Milles et une main est un acte d'art très relevé sur la condition d'un tanneur à Marrakech, avec une esthétique forte permettant au cinéaste de pratiquer le cinéma d'approche cognitive et sensibilisante. Le plus étonnant est cette coïncidence de taille : le cinéma marocain venait tout juste de clore une première décennie titubante avec un actif réduit de films, en tout une quinzaine (de 1968 à 1978) et où les trois films du cinéaste d'alors figurent en place d'œuvres pionnières. Les deux déjà cités et le fameux Noces de sang adapté de la célèbre pièce de Garcia Lorca. Ce dernier dont le souvenir m'est cher puisque je l'ai vu en son temps dans une salle de cinéma populaire à Derb Soltan. Il figurait, affiché et annoncé, comme n'importe quel film étranger à grand succès, ayant sa propre présence, fière et nullement usurpée, avec en outre des acteurs de carrure internationale tel la fameuse Irène Papas (Grèce). C'est dire le cinéaste est profondément mêlé à la chose cinématographique telle qu'elle est pratiquée et acceptée dans le monde. Il était le seul à acquérir cette stature au moment où le cinéma national tardait à s'approprier une solution pour pouvoir naître définitivement. Un statut qui va se confirmer avec son chef d'œuvre Amok véritable plaidoyer pour la liberté en Afrique du Sud, contre la politique de l'apartheid et la diminution de l'homme. Un film tout de chant et de couleur ; gorgé de sensibilité et d'émotions fortes. L'un des meilleurs long-métrages que le cinéma africain a pu réaliser dans son histoire cinématographique pauvre et oubliée.

Amok constitue dans l'œuvre de Souheil Ben Barka un tournant impressionnant. C'est le film qui lui apportera une reconnaissance internationale. De même qu'il va le réamarrer de nouveau à la cause du continent pauvre et qui entraînera des retombées bénéfiques sur la coproduction et la coopération entre cinéastes africains. Ceci par le biais d'une nomination administrative où le sort de notre cinéma passera entre ses mains. C'est alors que vient la deuxième étape dans la carrière du cinéaste.

Il aura les commandes du Centre Cinématographique Marocain, le CCM. Fait que tout le monde a accueilli favorablement. Le cinéma avait besoin d'un homme très versé dans le filmique, comme il est de rigueur dans le monde. Mais le filmique, non seulement par le côté créatif insuffisant à faire pousser la locomotive de la gigantesque boîte du cinéma national trop handicapée par la gestion, les finances, la législation, le personnel, tous ces éléments dans l'ensemble, réclamait de profonds remaniements et changements. Car le désir latent et entretenu de tous après la création du fond d'aides au cinéma national, est que celle-ci soit prospère et rayonnante au sein la société.

Deux conséquences étaient à envisager, et prendront la forme de deux interrogations majeures. L'une logique et objective et elle concerne l'apport, tant qualitatif appréciable que quantitatif mesurable, adjoint au septième art marocain sous sa direction et la cause des cinéastes nationaux. L'autre, par contre est d'ordre artistique et à l'échelle individuelle et il a trait à la création cinématographique chez le cinéaste lui-même. Les réponses sont évidentes quoique fort discutables. Mais le propre d'une démarche culturelle et de provoquer le débat, le cinéma plus que tout puisqu'il est collectif et publique.

Souheil Ben Barka a expérimenté des rouages centraux et divers du cinéma. Il y a la réalisation de films d'auteur, films engagés et artistiques (Milles et une main) ; l'adaptation romanesque (Pleure ô pays bien aimé qui a donné Amok, la superproduction et la direction d'acteurs de renommée mondiale). Et des relations importantes dans le milieu. Tant d'atouts ne pourraient qu'être d'une grande influence. Et beaucoup de signes permettent de dire que le cinéma en a profité. Mais on se contentera d'observer le fait le plus important qu'est celui de la production en films. Sous la houlette de S. Ben Barka le nombre de films marocains a doublé. Le film marocain est désormais une réalité de fait et la société ne lui tourne pas le dos. On s'approche du chiffre de dix films par an, et le public fréquente son produit local. Cette réconciliation n'est pas seulement l'effort de cinéastes zélés et sérieux. Elle est aussi le fruit d'une gestion directoriale, bien que parfois contestée, réelle et efficace. C'est la première conséquence.

Quant à la seconde conséquence de sa nomination, l'homme à la caméra du départ a continué à entretenir sa flamme et le cinéaste ne s'est nullement oublié. La démangeaison de la pellicule est demeurée vivace. Et pour cause ! Deux grands films ont vu le jour durant la décennie 90 et un autre en chantier. Mais le changement est notable, il s'agit des films Les cavaliers de la gloire et Tambours de feu sa deuxième nomination, et L'ombre du Pharaon. Ainsi le terme de pionnier continue de coller à S.B.B. Il est le seul à pouvoir concevoir des réalisations à des échelles amples et étendues avec des plongées dans l'Histoire. Car la direction, du terme de "director" américain, est autre, différente. Elle est une affaire du petit détail comme la coiffure d'une dauphine, d'une reine ou d'une héroïne, comme d'une grande donne de la scène, par exemple la supervision d'une bataille guerrière. Un mouvement d'ensemble global à réussir en tout point et Souheil Ben Barka a relevé le défi en y additionnant la mise en scène, terme français cette fois-ci. Dans ces films cités il y a des constructions d'époques avec architecture, costumes et intrigues spécifiques (duels, conquêtes…). Ceci du côté du vraisemblable nécessaire, de l'autre il y a le souffle épique, le jeu des grandeurs à niveaux graduels entres maîtres (rois, chefs, cavaliers…) et les vassaux, et les arrières ambiants avec lumières et décors adéquats. Une "science" toute autre, un savoir-faire qui repousse les possibilités cinématographiques plus loin dans le champ de l'innovation et les chances de succès. C'est une œuvre de pionnier.

Il n'est pas aisé de faire du cinéma sans risques. Ils sont inscrits dès l'invention de la face expressive et du potentiel économique du septième art au début du siècle qui vient de finir. Les mêmes faits se reproduisent à des différences près pour n'importe quelle cinématographie. La marocaine y passe encore et Souheil Ben Barka y figure comme chef de file et "patron" tout naturellement. Quel visage aura-t-elle après tant d'effort ? La production à venir jugera. Lui demeure le cinéaste. C'est le plus intéressant.

M'barek HOUSNI

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