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Eric Deroo : "Les Tirailleurs ont souvent été enfermés derrière une image paternaliste"
entretien avec le co-réalisateur de La force noire (2007)
critique
rédigé par Bineta Diagne
publié le 01/06/2008
La force noire : Gloire et infortunes d'une légende coloniale, de E. Deroo, A. Champeaux. Ed. Tallandier, 2006.
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Indochine française 1856-1956. Guerres, mythes et passions, de Eric Deroo et Pierre Vallaud. Ed. Perrin, 2003.
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L'illusion coloniale, de Eric Deroo, Sandrine Lemaire. Ed. Tallandier, 2006.
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Sud-Ouest, porte des outre-mers : Histoire coloniale & immigration des suds, du Midi à l'Aquitaine, Collectif. Ed. Milan, 2006.
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Zoos humains. Au temps des exhibitions humaines, Dir : Bancel, Blanchard, Boëtsch, Deroo, Lemaire. La Découverte, 2004.
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Paris couleurs, un film de Pascal Blanchard et Éric Deroo, Voix off: André Dussollier. 2005, 54 min.
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Indigènes, un film de Rachid Bouchareb, 2006
Indigènes, un film de Rachid Bouchareb, 2006

Eric Deroo est l'un des deux réalisateurs (avec Antoine Champeaux) de La Force Noire, un documentaire qui traite de la saga des "Tirailleurs sénégalais" à l'instar de Indigènes de Rachid Bouchareb. Pour cet historien français, La Force Noire sert à combler le déficit d'archives documentaires sur les "Tirailleurs". Entretien.

Africiné : Qu'est-ce qui a motivé ce documentaire ?

Ce qui m'a poussé à faire ce documentaire, c'est le fait d'être venu assez fréquemment sur le continent depuis deux ans (Burkina, au Mali, au Sénégal…). Je me suis aperçu qu'il y avait un déficit énorme en terme d'archives documentaires. Je constatais aussi que les Africains déploraient le fait qu'ils n'aient pas accès à leurs archives, le fait qu'on leur cache, qu'on leur mente. Et, cela donnait naissance à une vision de l'Histoire très négative, très sombre dans laquelle, la France avait le mauvais rôle de cacher la vérité. Or, ce n'est pas le cas. Simplement, les images d'archives coûtent cher. Parce qu'elles sont souvent en pellicules fines, il faut les numériser. Lorsque je suis allé voir les autorités françaises, en particulier l'armée, qui conserve le plus de films sur l'histoire des tirailleurs, je leur ai proposé de faire un film d'archives. Ils ont immédiatement accepté et m'ont donné beaucoup de moyens techniques.

Africiné : De quels moyens s'agissait-il ?

Nous avons numérisé les films qui étaient sur des pellicules car ce support se détruit très rapidement. C'est le service audiovisuel du ministère de la défense en France qui a pris en charge la numérisation des archives. Ce service d'archives détient toute la chaîne de production et de restauration. Mon but était de donner à voir le maximum d'images aux Africains afin qu'ils puissent voir à quoi ressemblaient, leurs parents ou arrières grands parents ("Tirailleurs sénégalais" : Ndlr)

Africiné : Pourquoi avez-vous intitulé ce documentaire la "Force Noire" ?

On a choisi "La Force Noire" pour deux raisons. D'abord parce que c'est un beau titre. Cela renvoie au titre du livre du Général Mangin qui, en 1919 avait théorisé et instrumentalisé l'emploi de troupes Noires en le justifiant sur le déficit démographique de la France par rapport à l'Allemagne.
Ensuite, le terme de "Tirailleurs sénégalais" porte à confusion : pour la majeure partie des gens, il renvoie au Sénégal. Or il faut souligner que cette expression était devenue un terme générique qui englobait tous les Africains. Et c'est un peu gênant, parce que quand vous allez dans un pays comme le Burkina, le Mali ou la Côte d'Ivoire qui ont fourni beaucoup de Tirailleurs, les gens sont toujours un peu agacés… C'est pourquoi "Force Noire" nous a paru symboliser cette "mystique" du Tirailleur, tout en renvoyant à tous les soldats africains.

Africiné : Comment avez-vous choisi parmi toutes ces images d'archives, les séquences ou les bandes les plus intéressantes à montrer ?

J'ai essayé de montrer les images qui étaient les plus fortes sur le plan de l'émotion pour dire la réalité des choses. Pour voir la guerre, les dangers de la guerre, les souffrances des hommes. Mais aussi, les côtés incroyables de la vie.
Parce que les Tirailleurs, ont souvent été enfermés derrière une image paternaliste. On oublie qu'ils étaient des vrais hommes comme tous les autres. Même ceux qui, aujourd'hui prétendent dénoncer ce scandale, se comportent comme des paternalistes. Parce que eux aussi réduisent le "Noir" à un simple modèle de l'humanité. Non, il y avait autant de comportements qu'il y avait d'hommes. Certains étaient heureux, d'autres inconscients etc. Les images permettent de montrer le regard des Français. C'est le cas par exemple de la scène où, sur un quai de gare, un Tirailleur se penche à la porte pour embrasser une femme française. Ça c'est très beau. Il faut montrer que notre Histoire est une histoire longue. J'ai choisi, selon un rythme historique. Puis des images d'émotion qui n'ont aucune valeur historique mais qui sont pertinentes au niveau de la compréhension des choses.

Africiné : Vous avez aussi présenté ce documentaire dans plusieurs écoles de Lorraine et de Dakar. Comment les élèves ont-ils réagi à ce film ?

En France, la réaction des élèves d'origines africaines consiste surtout à dire : " ce n'est pas possible ! Vous êtes en train de nous dire que l'Afrique a été conquise par les Blancs, grâce aux Noirs". Parce qu'ils sont dans cette logique de fraternité "black". On leur balance tous les jours ce discours américain de "Black brothers" etc.
Ici, au Sénégal, les questions qu'on m'a le plus souvent posées, portent sur les femmes, sur les injustices… mais aussi sur le traitement des Tirailleurs, leurs rapports avec les Blancs, leurs relations avec leurs chefs, sur Thiaroye…

Propos recueillis par
Bineta Diagne

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