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Mame Birame Diouf : "Nous allons expérimenter les écrans géants pour faire face au manque de salles"
Entretien de Fatou Kiné Sène avec monsieur Mame Birame Diouf, Ministre sénégalais de la Culture et du Patrimoine historique classé, des Langues Nationales et de la Francophonie
critique
rédigé par Fatou Kiné Sène
publié le 01/08/2008
Mame Birame DIOUF, ministre de la Culture (Sénégal)
Mame Birame DIOUF, ministre de la Culture (Sénégal)
Sembène Ousmane © Abdou Fary Faye
Sembène Ousmane © Abdou Fary Faye
Djibril DIOP Mambéty
Djibril DIOP Mambéty
Fatou Kiné SENE
Fatou Kiné SENE

L'hommage récemment rendu à Ousmane Sembène remet sur le tapis la question brûlante du cinéma sénégalais. Sous le pouvoir de l'Alternance, les tentatives de relance d'un secteur moribond n'ont pas manqué. Entre lois inopérantes et projets grandioses, le septième art sénégalais cherche toujours la bonne formule pour voir la lumière. Dans cet entretien que nous a accordé le ministre sénégalais de la Culture, Mame Birame DIOUF - après avoir reçu en audience le bureau de l'Association Sénégalaise de la critique cinématographique représenté par son président et sa chargée de communication - souligne au marqueur les points saillants de sa feuille de route.

Le paradoxe du cinéma sénégalais

"Pour apprécier un phénomène, il faut le faire à partir de plusieurs angles. Pour le cas du cinéma, le fait qu'il n'y ait pas de projections et que l'on ne voit plus les films dans les salles peut justifier qu'on parle de crise. Mais lorsqu'on voit la production cinématographique du Sénégal, l'on se rend compte que, paradoxalement, nous sommes dans la période la plus féconde. Si vous faites la comparaison entre les années 1960, 1980 et 2000, vous verrez que la production est beaucoup plus importante entre 2000 et 2007. Donc on ne peut pas parler de crise de production. Mais il y a effectivement une crise, dans la mesure où ces produits rencontrent des problèmes de diffusion. Ceci, du fait qu'il y a eu l'ajustement structurel : le gouvernement a été obligé de vendre les salles. Résultat : aujourd'hui, on se retrouve, sur le plan national, sans salles de cinéma pour permettre de porter cette production à l'appréciation du public. C'est cela qui fait que, lorsqu'on regarde sur le plan général, l'on peut dire effectivement qu'il y a une crise, puisque les cinéphiles ne peuvent plus accéder à leurs produits."

La formule de relance

"Face à ce constat, nous avons envisagé un certain nombre de mesures. D'abord, nous allons faire l'évaluation de la situation en matière de salles fonctionnelles et non fonctionnelles. J'ai convoqué très prochainement l'ensemble des exploitants sénégalais, et nous allons voir ensemble ce dont on peut disposer dans les meilleurs délais. Il y a des salles qui pourraient fonctionner après réfection. Nous allons aussi installer des écrans géants à des lieux publics et proposer des produits de qualité : ce sont des expériences qui ont été tentées dans certains pays, comme le Burkina Faso où le cinéma a repris de l'allant. Nous allons donc utiliser un ensemble de formules. Le président de la République [monsieur Abdoulaye Wade] nous poussait tout le temps à aller de l'avant pour sortir ce secteur de l'ornière. Nous avons visité, il y a une semaine, les anciens bâtiments du Service d'hygiène de Dakar qui vont abriter le centre cinématographique. Cet espace constitue un complexe très riche en matière de salles. L'association des cinéastes s'est rendue sur le site. Nous allons commettre un architecte qui va essayer de remodeler les bâtiments en fonction des préoccupations des acteurs. Il y a donc un ensemble de mesures urgentes que nous allons prendre en matière de cinéma pour relancer le secteur."

"Institut ou centre cinématographique"

"L'institut, c'est pour la formation. Il vient se connecter au centre cinématographique. Ce sont trois volets, le tout forme un ensemble. Il y a les salles de montage à Dakar, les studios de tournage à Sébikotane. Et il y a en plus l'institut de formation qui devrait permettre aux jeunes réalisateurs et à tous ceux qui s'intéressent au cinéma de renforcer leurs capacités. Le centre cinématographique devrait comporter deux volets : des salles de montage qui sont prévus à l'ancien Service d'Hygiène de Dakar et des studios de tournage qui vont être construits en plein air, un peu dans la brousse, vers Sébikotane.
Je voudrais aussi indiquer que c'est sur fonds propre que le ministère de la Culture a pu acquérir du matériel cinématographique d'une valeur de 900 millions de francs Cfa. Ce qu'on a déjà en stock pourrait aider les cinéastes sénégalais ou qui viennent ici faire des tournages. C'est un équipement haut de gamme. Tout ce qu'on est en train de connaître en transformation dans le domaine du numérique pourrait aider les jeunes réalisateurs à montrer des films de qualité pour la production nationale.".

Appui de 3 milliards pour le film Samory de Sembène

"Lors de l'hommage national rendu le 9 juin dernier à Ousmane Sembène, à la place du souvenir, le président de la république, pour montrer sa volonté politique, a prévu de prendre de l'argent de sa propre Fondation pour appuyer la création du film Samory de Sembène - qui a fait l'objet d'une grande attention de la part des pouvoirs publics. Il a fait appel aussi aux hommes d'affaires africains et aux bonnes volontés d'en faire autant.
Je dois dire, pour l'histoire, que quand Sembène a présenté ce scénario j'étais conseiller au niveau du présidence de la République. Le président Diouf l'avait, en son temps, mis en relation avec certains chefs d'État qui devaient pouvoir l'aider : je pense à la Guinée. Je crois aussi que le Fonds européen avait été consulté. Mais Sembène n'a pas eu, malheureusement, les possibilités financières pour pouvoir réaliser ce film. C'est bien que le président ait pris la responsabilité de continuer l'œuvre de Sembène. Je pense que c'est que Sembène pouvait attendre de nous : que cette foi ne disparaisse. (…)"

Lois sur le statut des acteurs du cinéma…

"Nous avons voulu organiser le secteur du cinéma et il y a eu des décrets d'application pour organiser les différents corps de métier. Mais il faut dire que, du côté des intéressés, c'est moins leur souci pour le moment. Il faut reconnaître les choses. Chacun s'assume. Depuis que je suis là - je rentre dans la troisième année - aucun cinéaste n'a présenté un dossier dans ce sens. Je pense qu'ils ont des soucis de production et dans ce cadre ils bénéficient de soutien de la part du gouvernement. Il y a un fonds au niveau de la culture, qui n'est pas assez substantiel, mais qui permet au moins de régler certains problèmes. Ce sont des aides ponctuelles pour matérialiser les scénarios, faire de petits tournages, etc. Les cinéastes sont au courant parce qu'ils l'utilisent à fond. Maintenant nous sommes en train de nous revoir pour asseoir une véritable politique cinématographique, voir ce qu'il faut mettre en avant : les différents décrets d'application sur la billetterie, etc. Nous allons vers des conclusions importantes que l'on va proposer en application au gouvernement. La loi est votée, les décrets d'application sont pris. Il faudra simplement que moi, ministre de la Culture, je puisse veiller, avec les différents ministres, à l'applicabilité de ces décisions."

Loi sur le mécénat

"L'État ne peut pas tout faire en matière de politique culturelle. Il a besoin de s'appuyer sur des opérateurs économiques. Dans tous les pays du monde, le cinéma est une industrie. Les gens y mettent de l'argent pour avoir plus. Si vous allez aux Usa, les industries culturelles représentent 60 % du Produit intérieur brut, mais ce n'est pas l'État qui porte cette industrie ; il crée des lois, met en œuvre des textes pour permettre aux opérateurs d'investir dans la culture. C'est ce que nous allons faire. Nous avons essayé ce format avec la Biennale (Dak'art) : tous les opérateurs économiques sont spontanément venus aider les plasticiens en organisant des Off. Ce que l'on cherche maintenant c'est de faire un pas de plus, que des opérateurs puissent apporter leur soutien. C'est l'État qui va créer cette possibilité, par exemple de faire une contribution dans l'action culturelle au lieu de payer certaines taxes et impôts. Cela sera l'équivalent des Fondations, à l'image de ce qui se passe aux Usa. Car c'est l'argent qui aide à contenir et à renforcer les différentes actions culturelles. L'Etat n'a jamais suffisamment de ressources pour faire face à toutes les sollicitations"

Hommage à Djibril Diop Mambéty

"Nous avons, après l'hommage rendu à Sembène, voulu aller encore vers la célébration des pionniers. Djibril Diop Mambéty (décédé le 23 juillet 1998, Ndlr) a été aussi un grand du cinéma. Il faudrait lui consacrer une page de l'histoire. Les hommages sont très utiles, parce qu'au-delà des faits, ils nous permettent de nous rappeler certains grands hommes qui ont marqué notre histoire. Ici c'est le cinéma, il y a l'histoire, nous essayons de le faire même au niveau du patrimoine en essayant d'exhumer des mémoires et ériger des mausolées : tout cela participe à la création de cette conscience."
Nous allons réfléchir pour voir quel format donner à l'hommage à Djibril DIOP Mambéty. Dans tous les cas, il s'agira de célébrer un autre homme qui a apporté aussi du sien dans cet héritage culturel que nous voulons fructifier et offrir à la jeunesse de notre pays et de l'Afrique."

propos recueillis par Fatou Kiné Sène

Entretien paru dans le quotidien WAL FADJIRI du samedi 21 juin 2008.

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