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Entretien de Fortuné Bationo avec Luc Damiba, co-fondateur du Festival Ciné Droit Libre
L. Damiba : "C'est par manque de liberté d'expression que les conflits naissent"
critique
rédigé par Fortuné Bationo
publié le 03/08/2008
Luc DAMIBA
Luc DAMIBA
Borry Bana, de Damiba Luc, Abdoulaye Diallo, 2003
Borry Bana, de Damiba Luc, Abdoulaye Diallo, 2003
Ellen Johnson Sirleaf, Présidente du Liberia depuis janvier 2006, dans Dames de fer du Libéria (Iron Ladies of Liberia), de Siatta Scott-Johnson, Daniel Junge, 2007
Ellen Johnson Sirleaf, Présidente du Liberia depuis janvier 2006, dans Dames de fer du Libéria (Iron Ladies of Liberia), de Siatta Scott-Johnson, Daniel Junge, 2007
Delta, Oil's Dirty Business, Yorgos Avgeropoulos, 2006
Delta, Oil's Dirty Business, Yorgos Avgeropoulos, 2006
J'ai serré la main du diable, Roger Spottiswoode, 2008
J'ai serré la main du diable, Roger Spottiswoode, 2008
Life and debt, Stéphanie Black, 2001
Life and debt, Stéphanie Black, 2001
Marchands de miracles, Gilles Remiche, 2005
Marchands de miracles, Gilles Remiche, 2005
Quelques jours en avril (Sometimes in April), Raoul Peck, 2005
Quelques jours en avril (Sometimes in April), Raoul Peck, 2005
Thomas Sankara, l'homme intègre, Robin Shuffield, 2006
Thomas Sankara, l'homme intègre, Robin Shuffield, 2006
Une affaire de nègres (Les disparus de Douala), Osvalde Lewat-Hallade, 2006
Une affaire de nègres (Les disparus de Douala), Osvalde Lewat-Hallade, 2006
We feed the World (Le marché de la faim), Erwin Wagenhofer, 2005
We feed the World (Le marché de la faim), Erwin Wagenhofer, 2005
Luc DAMIBA, en 2004
Luc DAMIBA, en 2004
Fortuné BATIONO
Fortuné BATIONO

Après avoir bouclé sa valise à Ouaga au Burkina Faso, pour la quatrième fois, Ciné Droit Libre a mis le cap sur Abidjan, où a eu lieu, du 10 au 13 juillet, la première édition de ce Festival de film sur les droits humains et la liberté d'expression. Vingt films y étaient à l'honneur, pour épingler ce qui ne tourne pas rond dans le monde, dans la droite ligne du combat pour la dignité humaine. Une escale repartie sur trois sites (Goethe-Institut, Université d'Abidjan et Palais de la culture), une incursion meublée de débats houleux, qui ont le mérite de mettre chacun d'accord sur l'importance d'une telle tribune. Luc Damiba, président de Semsfilms, structure initiatrice de ce grand rendez -vous, aborde ici cette question. Entretien.

Ciné Droit Libre existe déjà à Ouaga. Pourquoi l'avoir déplacé à Abidjan ?

On s'est dit qu'après trois années d'expériences réussies au Burkina Faso, avec un festival atypique, exclusivement consacrés aux films sur les droits de l'homme et la liberté d'expression, qu'il était important de ne pas garder ce beau bijou seulement pour les Burkinabés. On s'est dit que les jeunes Africains, les Africains en général, ont besoin de voir d'autres films qu'on ne montre pas d'habitude. Donc, notre premier réflexe a été de décentraliser et de régionaliser le festival dans l'Afrique de l'ouest. Compte tenu des connections entre la Côte d'ivoire et le Burkina Faso, régionaliser Ciné Droit libre en commençant par Abidjan a été un réflexe automatique. Tous les grands projets naissent par des liens d'amitié. Nous avons rencontré des jeunes très ouverts qui ont dit : " nous allons aussi porter ce rêve avec nous et nous allons accueillir Ciné Droit Libre". Il s'agit des animateurs de la structure Cineconnexion.

Quelles sont les remarques que vous faites après cette première édition de Ciné Droit Libre à Abidjan ?

Moi, j'ai d'abord trouvé qu'il n'y a aucun pouvoir en Afrique qui veut se faire taper sur les doigts parce qu'il est contre les droits de l'homme. Un festival de cette nature est rarement interdit ou censuré même si les films qui sont projetés dérangent. En Côte d'ivoire, nous avons le cas de Guy André Kieffer. L'actualité aidant, ça tombe à un moment où cette affaire ressurgit et voila un festival qui apporte un film de cette nature, cela pourrait être dérangeant. Mais le festival n'a pas été interdit. Au Burkina Faso, c'est pareil, le festival ouvre avec Thomas Sankara, Norbert Zongo, et bien d'autres sujets qui dérangent le pouvoir politique. Mais comme je l'ai dit tantôt, aucun pouvoir africain n'a envie d'être un obstacle dès qu'on parle des droits de l'homme. Donc pour nous, c'est un contexte favorable. Pour revenir à votre question, première ouverture, les citoyens ivoiriens ont accueilli un festival, ils ont dit : " voila ce qu'il nous fallait." Après avoir vécu une crise profonde, ils ont dit : "nous avons envie de voir des films qui nous montrent aussi une autre facette de la violation des droits humains ; parce que je crois, souvent on l'oublie, c'est par manque de liberté d'expression que les conflits naissent. Quand un groupe n'arrive pas s'exprimer que par les armes, il va de soi, des coups d'État, des viols, des assassinats, tous ces actes deviennent des moyens d'expression. Lorsque la parole, lorsque l'expression artistique n'a plus droit de cité, on prend d'autres moyens comme des armes pour s'exprimer. Je crois qu'emmener un festival de la liberté d'expression, ça décante la situation. Ça permet aux gens de dire : " on peut s'exprimer aussi par d'autres moyens que par les armes, que par la violence."

On constate que la majeure partie des films tournés le sont Afrique. Choix ou simple hasard ?

C'est un choix. Parmi 100 films sur les droits humains, il faut savoir ce qui peut intéresser le public africain. Donc, c'est un choix d'abord de ceux qui sélectionnent les films, c'est aussi une ligne éditoriale. Nous avons choisi des questions qui préoccupent le quotidien des africains. Prenons le droit de manger, le droit d'être nourri, le droit à la souveraineté alimentaire, le droit d'être soigné, ce sont des fondamentaux. Sans oublier le premier droit de l'homme, le droit à la vie. Pour revendiquer son droit d'expression libre, il faut d'abord vivre. Et c'est fondamental. Le festival essaie de poser cette question : les africains ont-ils le droit à la vie ? Oui nous le répondons tout de suite. Ont-ils le droit de s'exprimer librement ? oui et le festival crée un espace d'expression. Mais le festival apprend surtout aux Africains non seulement à défendre leur propre droit, mais aussi à défendre le droit des autres. On se trompe toujours en pensant que,quand mon propre droit est violé c'est en moment que je peux sortir pour crier Même quand les droits des autres sont violés, il faut sortir pour crier. Parce que le jour où ton droit est violé, tu n'as plus de possibilité de défendre ton droit puisqu'il est déjà violé.On peut te mettre en prison. Qui va te défendre ? C'est quelqu'un d'autre, qui est dehors. Le réflexe qui doit être crée au niveau du public africain, c'est de dire que quand un droit est violé, en Irak, en Afrique du Sud, en Amérique, en Asie, je dois être prêt pour me lever et me battre pour défendre. Les droits des Palestiniens sont violés depuis près de 60 ans. Qu'est-ce qui est fait par les Africains pour défendre ces Palestiniens ? On ne dit rien. Alors que ce sont des citoyens, ce sont des êtres humains. Quand le droit de certaines populations africaines est violé, vous avez vu le réflexe de certains Occidentaux. C'est tout de suite qu'ils se constituent partie civile et sortent pour manifester contre de cet état de fait. C'est ce réflexe là que le festival veut créer chez les africains. Comment aiguiser le réflexe et la culture de défendre ses propres droits et celui des autres dès qu'ils sont violés et dès qu'on est au courant qu'ils sont violés, voila notre combat.

Vous avez souligné que le festival privilégie les réalisations africaines. Paradoxalement, les films sont tournés par des non Africains essentiellement. Est-ce que ce regard venu d'ailleurs ne va pas contribuer à renforcer des clichés sur l'Afrique ?

C'est vrai, c'est tout à fait juste, mais il faut faire attention sur ce sujet. Combien de réalisateurs africains osent prendre la caméra pour montrer les sujets très sensibles ? Même quand ils le font, est-ce que leur regard est objectif ? Ce sont autant de questions qu'il faut se poser. Il ne faut pas tout de suite jeter l'anathème pour dire qu'on a des réalisateurs extérieurs à l'Afrique qui viennent regarder avec leurs lunettes l'Afrique. Ils regardent avec leurs lunettes, un regard toujours subjectif, il est évident ; mais c'est une matière première qu'ils nous offrent. C'est aux africains de prendre le relais, c'est aux réalisateurs africains de dire oui, on nous a assez regardés avec des lunettes extérieures, nous voulons prendre nos propres lunettes pour nous regarder nous mêmes. Plus que des lunettes, nous voulons prendre le miroir pour nous regarder nous-mêmes. Pour nous, on n'a pas trouvé beaucoup de films de réalisateurs africains portant sur les droits humains pour les projeter. Il y a en quelques uns, c'est déjà un pas, et notre combat à coté de ce qui se passe avec les réalisateurs européens ou d'ailleurs qui font des films sur l'Afrique, notre combat dis-je, c'est de former des jeunes afin qu'ils puissent aussi faire des films sur les droits humains en Afrique. D'où l'atelier organisé au cours de cette première édition qui a été un grand succès. Nous pensons que dans 10 ou 15 ans, les Africains auront le courage de réaliser les films qui fâchent sur les droits humains, sur la liberté d'expression. Nous pensons que des jeunes Africains auront le courage de se regarder, de documenter l'histoire africaine. Vous prenez des grands hommes tel que Kourouma. Quel film sur Kourouma existe et qui peut raconter ce qui s'est passé avec ses engagements ? Rien. C'est maintenant, 20 ans après la mort de Thomas Sankara, qu'on voit des films sur lui. Mais encore avec des "lunettes" venues d'ailleurs. On ne désespère pas que les Africains auront le courage, sur le feu de l'action, comme en Côte d'Ivoire, de dire : " je veux sortir un film sur la crise ivoirienne." Pour montrer une facette, deux facettes, trois facettes. Il y a beaucoup de facettes qui vont sortir. Mais vous verrez encore que ce sont des cinéastes extérieurs qui vont venir documenter l'histoire sur la crise ivoirienne dans 5 ans, 10 ans, 15 ans. C'est dommage.

Quels sont les soutiens du festival pour assurer sa pérennité ?

C'est vrai, ce festival est nourri par un rêve mais comme on dit, le rêve prend corps lorsque ceux qui le portent sont courageux, sont persévérants et endurants. Ce projet de festival est né, il va grandir. Nous avons des soutiens extérieurs, ce n'est pas toujours très négligeable, il faut le souligner. On a Moviesthatmatter qui est prêt à continuer, on a Semfilms Burkina qui est prêt à continuer, parce que son rôle est de collecter le maximum d'informations sur les films portant sur les droits de l'homme ; on a Cineconnexion qui est prêt à continuer ; on a Prince Klaus. Et c'est le train du cinéma engagé, du cinéma militant qui fera le tour du Burkina, le tour de la Côte d'Ivoire, le tour du Sénégal, le tour du Mali, le tour du Bénin, le tour du Niger, et ainsi de suite jusqu' à devenir un festival ouest africain d'abord et panafricain ensuite qui promeut les droits de l'homme à travers le cinéma.

Quels sont les autres pays qui pourraient abriter le festival ?

Pour le moment en 2009, nous avons le Sénégal. Donc on aura déjà trois pays certainement de façon alternative qui vont avoir le label ciné Droit Libre.

Entretien réalisé par
Fortuné Bationo

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