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Diola Tigi, de Fatou Kandé SENGHOR
La logique de la déconstruction
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 11/08/2008
Fatou Kandé Senghor
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Le guide des ignorants
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Patriarche
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The clan
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Les initiés
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Vers la forêt sacrée (Going into the sacred forest)
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Fatou KANDÉ SENGHOR
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Bassirou NIANG
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Ni l'ethnologue rieur ni "ses" poncifs "consanguins" n'ont suivi les traces de la réalisatrice de Diola Tigi, Fatou Kandé Senghor. Dans un rapport de distance assez sage vis-à-vis des "devanciers" (de l'Hexagone) qui ont animé depuis des décennies le désir de faire des ethnies africaines quelque objet de délectation, celle-ci s'est inscrite dans un processus de "revalorisation"… par la déconstruction. Dans ce film documentaire de 35 min, réalisé en 2007 - et projeté ce 11 août au Restaurant Good Rade à Dakar - l'image supporte assez librement, et de manière dépassionnée, la marche socio-culturelle d'un peuple qui produit sa propre modernité grâce à ses valeurs intrinsèques.

L'entreprise déconstruction-construction commence dans la localité de Baïla (en Casamance, au sud du Sénégal) par le prétexte d'une cérémonie d'initiation appelée communément "Bukut". Elle consacre l'entrée des jeunes gens dans le cercle des Hommes. La scène d'ouverture nous met en face du symbolisme de la geste guerrière avec ces hommes fortement liés au surnaturel par des décoctions, des libations, des gris-gris, domptés donc par le savoir ancestral, prouvant leur invincibilité ; les armes blanches traversent leur corps mais ne peuvent le pénétrer.

Lieu d'unité et noyau de la société, le "Bukut" dont il s'agit, permet de dépoussiérer le rétroviseur pour retrouver la légende des diolas. Les reflets commencent par ces définitions du diola considéré comme un être "fier", "robuste" et "au tempérament impulsif", "un guerrier qui n'aime pas être offensé dans sa culture". Un jeu de définition que Fatou Kandé Senghor a résolument choisi d'abandonner aux membres de l'ethnie. Puisqu'aucun historien, aucun anthropologue encore moins un sociologue n'ont eu le désir caché face à la caméra de jouer les "savants". "J'ai voulu montrer quelque chose de dynamique, de représentatif", a-t-elle confié. Faire voir cette dynamique au sein d'une société instaurant la sacralité de ses liens comme une condition de la construction du devenir et de l'accomplissement de soi. Les initiés subissent des épreuves, partagent les mêmes secrets, souffrent… pour enfin guérir de l'innocence et affronter avec courage et maturité le monde. Ils porteront la dynamique évolutive de leur propre société en ce qu'ils en acceptent volontairement les codes et principes. "C'est la survie de ce que nous sommes ; c'est le secret de notre masculinité. Notre ciment. La porte de notre monde", dira l'un des hommes interrogés par la réalisatrice qui, par ailleurs, use de plans rapprochés et de gros plans alliés aux plans d'ensemble qui font découvrir par-delà les actes de courage, un riche kaléidoscope, une belle symbiose de couleur dans le milieu bercé par les avantages de la nature. Le tout dans un canal musical aidant au décodage des images… "Synthèse pour une humanité meilleure".

Seulement, comme le montre le film - faisant suite d'ailleurs à un autre de la réalisatrice Vos enfants sont-ils des combattants de la liberté ?, lauréat catégorie Afrique du Festival One minute d'Amsterdan en novembre 2006 - les réalités contemporaines du monde en bousculent les plus anciennes. Les Diolas voient leur univers se nourrir d'apports extérieurs : la modernité et la technologie touchent aux fondements séculaires de celui-ci. Le "Bukut" connaît aujourd'hui une sorte de "dévaluation". Dans un passé assez lointain (1945), les initiés s'abandonnaient à la forêt pendant trois mois, mais aujourd'hui, les obligations de la vie font qu'ils ne peuvent consacrer à cette cérémonie qui revient tous les trente ans, qu'une à deux semaines. Mais ils se sentent bien obligés de ramener le "Bukut" aux exigences du monde moderne. Mais ce trait culturel assez prenant pourra-t-il survivre lorsque, de surcroît, les sonorités américaines, antillaises et de bien d'autres horizons s'invitent en son milieu pour entamer sa sacralité et son utilité sociale ?

Dans ce film documentaire, Fatou Kandé prend sa liberté. Les canaux esthétiques définis n'orientent pas nécessairement sa manière de procéder. Elle s'est choisie un autre chemin : "Moi, je veux déconstruire, amener quelque chose de nouveau. Je suis une voltigeuse". Une voltigeuse qui dit vouloir pousser à "réfléchir à ce qu'on va préserver", parce Diola Tigi n'est pas sa propriété; "c'est le film de nos enfants, des enfants des autres".

Bassirou NIANG
(SENEGAL)

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