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HOMMAGE À DJBRIL DIOP MAMBETY
critique
rédigé par El Hadji Massiga Faye
publié le 12/08/2008
El Hadji Massiga FAYE
El Hadji Massiga FAYE

Le monde du cinéma africain rend à partir d'aujourd'hui et ce jusqu'au 30 juillet, un hommage au cinéaste sénégalais Djibril Diop Mambéty, décédé le 23 juillet 1998, à travers une série de manifestations marquant le 10ème anniversaire de son décès. À cette occasion, collègues réalisateurs, comédiens, ont apporté quelques témoignages sur sa personne et sa démarche cinématographique.

L'hommage des cinéastes sénégalais

Les Cinéastes Sénégalais Associés (CINESEAS), en partenariat avec le ministère de la Culture, du Patrimoine Historique Classé, des Langues Nationales et de la Francophonie et la Fondation Yaadikone pour l'Enfance et la Nature, se souviennent de Djibril Diop Mambéty décédé le 23 juillet 1998 à Paris, nous apprend un communiqué des CINESEAS que dirige Cheikh Ngaïdo Bâ. Cette journée du mercredi 23 juillet 2008 sera marquée par des prières, une lecture du Saint Coran à Ngor (chez Alassane Samb, neveu du défunt et responsable moral de la Fondation Yaadikone), une visite au cimetière musulman de Yoff pour se recueillir sur la tombe de Mambéty, une projection de films pour l'enfance à Ngor et diverses autres projections des oeuvres du cinéaste.
Un cocktail dînatoire sera organisé par les CINESEAS à partir de 21h à la Maison de la Culture Douta Seck. Rappelons que la Mutuelle d'assurance santé de cette structure porte le nom de Djibril Diop Mambéty très tôt disparu à l'âge de cinquante trois ans.

Séries d'hommages dans le monde entier

Pour rendre hommage à Djibril Diop Mambety, une programmation itinérante est prévue à cet effet. C'est ainsi que Radio France Internationale (RFI), les Rencontres cinématographiques de Hergla en Tunisie, le Ministère de la Culture du Sénégal, en partenariat avec le Cinéma de Nuit et 24 heures, programment un voyage en images qui sera suivi de nombreuses autres cérémonies dans le monde entier. Dans cette perspective Cinéma de nuit, pour sa 18ème séance, organise ce 23 juillet à 21h 30 à l'Institut français Léopold Sédar Senghor une série de projection sur les films cultes qui ont rythmé la vie et l'œuvre du cinéaste. Au programme, des films du cinéaste disparu comme Le Franc et Hyènes.

Auparavant l'Association sénégalaise de la critique cinématographique rendra hommage à Mambety. L'évènement est prévu ce mercredi 23 juillet à partir de 9 heures 30 au Média Centre de Dakar (en face de l'Ecole Manguier). La cérémonie sera l'occasion d'une réflexion sur l'œuvre du "Prince de Colobane" après la projection de deux de ses films. D'éminents intellectuels sénégalais et des cinéastes comme Moussa Touré, Ben Diogaye Bèye et Mansour Sora Wade seront de la partie. Est également attendu le couple Lucien et Jacqueline Lemoine qui ont côtoyé Mambety du temps où ce dernier était pensionnaire du Théâtre national Daniel Sorano.

MOUSSA TOURÉ, REALISATEUR
"Mambety était un visionnaire"


"J'entretenais deux types de rapports avec le réalisateur Djibril Diop Mambéty. En dehors du cinéma en tant que frère, mais également en tant que chef électro (lumière). Il y avait beaucoup d'affinité entre nous. La preuve, quand il a été sélectionné à Cannes avec son film Hyènes, je lui avais conseillé de ne pas rester en France et de retourner au Sénégal. Il n'avait rien à faire en Europe. Six mois après, il est rentré au bercail et nous nous sommes retrouvés au restaurant du Centre culturel français, actuel Institut Léopold Sédar Senghor.
Sur le plan cinématographique, la sortie de Hyènes avait coïncidé avec mes débuts dans le cinéma. À l'époque il voulait me prendre comme technicien, mais cela n'était pas possible car je devais commencer le tournage de mon premier long-métrage Toubab Bi. Et Djibril avait respecté mon choix. En fait, avant d'être réalisateur, il était un bon comédien doublé d'un excellent monteur. C'est ce qui faisait sa force. Ce qui m'a le plus marqué chez lui est qu'il ne parlait pas beaucoup. Djibril Diop Mambety était un visionnaire".

MANSOUR SORA WADE, REALISATEUR
"Un grand humaniste"


"En dehors du cinéma, j'ai toujours considéré Djibril Diop Mambety comme un grand frère. Et j'étais très proche de lui de par sa mère qui m'aimait beaucoup. À l'époque où je vivais entre la France et le Sénégal, c'est moi qui faisais les commissions pour elle. Il était très proche de sa mère. Djibril aidait beaucoup sa famille. Il avait un grand cœur. J'entretiens aussi de très bons rapports avec son frère Wasis Diop qui a fait la musique de deux de mes films, Picc mi et Le prix du pardon.
Sur le plan cinématographique, Djibril est le réalisateur avec qui je me sens le plus proche. En regardant son cinéma, on apprend à être beaucoup plus proche des gens que l'on appelait les "rejetés". Lorsque l'on regarde son cinéma, notamment dans son casting, les marginalisés sont toujours présents. De même, la manière dont il filme - gros plans - était toujours empreinte d'humanisme. Ce n'est pas pour rien qu'il a crée la Fondation Yaadikone pour les enfants. Preuve de cet humanisme, après le film La petite vendeuse de Soleil il avait entrepris le projet d'emmener en Europe la petite handicapée (Lissa Baléra qui interprète le rôle de Sili, ndlr) pour qu'on lui fasse son appareillage. Il était comédien avant d'être réalisateur et savait être dans ses personnages. Après un film, il n'utilisait jamais les mêmes acteurs. Il n'a jamais appris le cinéma. Par contre, j'ai beaucoup appris de son cinéma, notamment comment filmer.

BEN DIOGAYE BEYE, REALISATEUR
"Il nourrissait un très grand amour pour sa mère"


"Djibril Diop Mambéty était un homme très fidèle en amitié avec, comme trait principal, sa très grande générosité, sa gentillesse et sa bonté. Il nourrissait un très grand amour pour sa famille, singulièrement pour sa mère. Nous étions très proches et nous entretenions une affection profonde. Sur le plan professionnel, il a ouvert de nouvelles perspectives pour le cinéma africain avec une capacité de dire les choses de manière juste et efficace. Il est venu à un moment où le septième art africain suivait la voie "sembènienne" du socialisme-réalisme. Loin d'être un suiviste, Djibril Diop Mambéty a plutôt opté pour la fiction avec une indépendance totale d'esprit. Une démarche qui transparaît dans le choix esthétique de ses réalisations qui sont d'une rare originalité. Sur ce plan, il était un précurseur qui a su bousculer beaucoup d'idées préconçues".


LUCIEN LEMOINE, ECRIVAIN ET POETE
"C'était un poète de l'image et du son"


"Quand à Dakar se sont croisées nos destinées, c'était un garçon de 23 ans, un peu fou. Moi j'en avais bien quarante-trois. J'étais donc son aîné de vingt ans, que je crois. Et ce beau garçon de haut de près de deux mètres qui s'en allait traînant le pas, j'aurais pu être son père après tout. Et, dame ! Je l'ai été. Je l'ai été automne, hiver, printemps, été, cinq ans durant. Nous étions quatre, Jacqueline, Michel, Djibril et moi, sans idée libertine, libres de tout, et faisant fi des préjugés imbéciles, des interprétations bêtes, à faire le tour des maquis de Dakar et à rêver d'un Touki Bouki, d'un Badou Boy plutôt, son deuxième court-métrage. Combien y en eut-il, en fait, de ce Badou Boy ? Oui, combien… ? Deux ? Trois ? Je m'y perds. Si je calcule bien, quatre, je crois. Oui, quatre. La pellicule s'en allait chaque fois en morceaux. Et Djibril recommençait.


Ce grand fou de Djibril ! Ah ! ça, c'était le titre d'un roman que je voulais écrire ou Le Pitre, l'un ou l'autre. Mais je préférais le premier. Et maintenant Djibril est mort, reste Hyènes, Touki Bouki, Badou boy et notre peine. Ah si tout était vrai des choses que l'on dit, celui-là, il irait tout droit au Paradis. Oui, son cœur était pur. Il a vécu sans pacte, libre dans sa pensée autant que dans ses actes, tout comme Cyrano : avec ses passions et n'a jamais péché que par omission.

Djibril Diop Mambety était un cinéaste inspiré, poète de l'image et du son. Lui-même marginal - et c'est là sa leçon - capable de tirer des choses de la vie des marginalisées toute leur poésie : un gosse des quartiers pauvres, un malformé dont on apprend, petit à petit, à aimer la malformation…, la misère elle-même et son cadre, rendus sympathiques… On aime ou non - question de goût, ou d'appétit - c'était ça mon ami Djibril Diop Mambety".

El H. Massiga Faye

Articles parus dans Le Soleil (Dakar) du 23 et 24 juillet 2008

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