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Censure au pays des Pharaons
Lola ne dansera pas à Alexandrie
critique
rédigé par Mohammed Bakrim
publié le 05/09/2008
Nabil AYOUCH
Nabil AYOUCH
Whatever Lola Wants, 2007, Nabil Ayouch
Whatever Lola Wants, 2007, Nabil Ayouch

Le festival du film d'Alexandrie vient de se terminer ; pas dans la gloire, hélas. C'est un festival égyptien d'envergure régionale qui était né sous le signe de la cinéphilie, lancé par de grands critiques de l'âge d'or du cinéma égyptien ; aujourd'hui il a beaucoup perdu en renommée ; il commence à pâtir de la concurrence forte de festivals dopés par le pétrodollar des pays du golfe.

Ce n'est pas la nouvelle décision de supprimer le film Lola de Nabil Ayouch de la cérémonie d'ouverture qui lui arrangera les choses et rétablira son image de marque. Il est très rare en effet qu'un festival renonce à un film qu'il avait déjà programmé. Le festival d'Alexandrie avait annoncé non seulement la présence du film de Ayouch mais il avait monté toute une opération de communication autour de cette programmation qu'il avait inscrit dans le cadre de l'hommage au cinquantième anniversaire du cinéma marocain (1958 - 2008). On sait que le Maroc par le biais du festival de Marrakech avait rendu un hommage inédit au centenaire du cinéma égyptien (1907-2007) avec notamment une sélection des films marquants de cette riche filmographie et avec la présence d'une délégation réunissant pour la première fois en un seul " plan" tout ce que compte ce cinéma comme têtes d'affiche. Un geste cinéphile en premier lieu et une forme de reconnaissance pour un cinéma qui a marqué l'imaginaire de notre société. C'était aussi un bon point en terme politique. Depuis, la profession égyptienne cherche à rendre la politesse. Le choix du film de Ayouch va dans ce sens ; il a été ainsi choisi pour faire l'ouverture du festival qui se tient traditionnellement au mois de septembre mais ayant été avancé au moins d'août pour raison du mois sacré de ramadan.

Que s'est-il alors passé pour que l'on en arrive à retirer le film Lola non seulement de l'opening night mais de l'ensemble de la manifestation ? "Il porte atteinte à l'image de l'Égypte". C'est donc une censure pure et simple. Un acte extra cinématographique. Si cela était arrivé dans un pays qui vient de découvrir le cinéma on va essayer de comprendre qu'il y ait encore des gens qui ne font pas la distinction entre la réalité et sa représentation cinématographique ; mais cela arrive dans le pays qui se targue d'être le pionnier du cinéma arabe ; on confond réel et fiction dans la ville de Chahine, quel comble ! Dans la ville qui a toujours illustrée dans le cinéma de feu Chahine la diversité culturelle, la liberté et la tolérance. Les décideurs de la chose culturelle donnent ainsi l'impression d'en être encore à l'époque des spectateurs des premiers temps du cinéma qui hurlaient d'effroi en voyant pour la première fois la locomotive du film des frères Lumière qui fonçant sur eux. Mais le plus grave, c'est qu'il instaure une tutelle qui dicte aux citoyens égyptiens et aux professionnels invités du festival ce qui est bon à voir et ce qui ne l'est pas. Mais l'expérience de ce genre d'exercice malheureux montre qu'il se retourne contre ses initiateurs. Le perdant dans l'affaire ce n'est pas le film de Ayouch mais les organisateurs du festival. Le film gagne une nouvelle publicité gratuite (tout le monde en parle) et l'argument utilisé contre lui va aiguiser l'appétit des curieux et va élargir son audience au-delà du public cinéphile. Le film étant déjà sorti avec succès au Maroc ; tous les Égyptiens de passage chez nous n'hésiterons pas à demander à voir une copie. De quoi alimenter tout un commerce parallèle. La censure n'a jamais empêché une œuvre de circuler.

La riposte marocaine maintenant ? Certes, il est de tradition dans la région de déclencher des guerres de cent ans pour une querelle de versification. On ne versera pas dans cette logique. Le communiqué de Nabil Ayouch tranche par sa lucidité et son sang froid ; il exprime son étonnement et attend des explications officielles des organisateurs. Le cinéma marocain continuera à être présent.

Mohammed Bakrim

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