AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
24 364 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Abdellatif Khéchiche : La quête d'humanité d'un cinéma quasi-documentaire
critique
rédigé par Ikbal Zalila
publié le 07/10/2008
Abdellatif Kéchiche
Abdellatif Kéchiche
La Faute à Voltaire, de Abdellatif Kéchiche, 2000
La Faute à Voltaire, de Abdellatif Kéchiche, 2000
L'Esquive, de Abdellatif Kéchiche, 2003
L'Esquive, de Abdellatif Kéchiche, 2003
La Graine et le mulet, de Abdellatif Kéchiche, 2007
La Graine et le mulet, de Abdellatif Kéchiche, 2007
Sami Bouajila
Sami Bouajila

La graine et le mulet sorti à Paris le 12 décembre sera programmé à la salle Africart mi Février.
Cette sortie sera accompagnée d'une rétrospective de l'ensemble de l'œuvre de Abdellatif Kéchiche qui compte à ce jour trois longs métrages : La faute à Voltaire, L'esquive et La Graine et le mulet.

Rarement, un cinéaste français dit de " l'émigration" aura autant fait l'unanimité autour de son œuvre. Son premier film a obtenu le Lion d'or pour le premier long-métrage à Venise en 2000. L'esquive a glané 4 césars dont celui du meilleur film français en 2004. La graine et le mulet auréolé de son prix spécial du jury à la dernière Mostra internationale du film de Venise est en train de recueillir en France un succès public et critique qui fait de lui un sérieux candidat pour les Césars.

Abdellatif Kéchiche est un Tunisien pour qui les portes n'ont pas toujours été ouvertes à Tunis mais dont a très vite fait de mettre en avant la "tunisianité" une fois acquis ses quatre Césars. L'esquive a été en effet "recalé" par la commission nationale d'aide à la production qui n'a pas jugé utile de subventionner un film sur une histoire d'amour entre un jeune maghrébin et une adolescente française avec pour toile de fond le théâtre de Marivaux. Sitôt primé, Kéchiche a été encensé par l'ensemble de la presse nationale, pour qui, il faut l'avouer, les occasions de s'enorgueillir des succès d'artistes tunisiens à l'étranger, a fortiori s'ils sont cinéastes, sont plutôt rares.

Le succès de Kéchiche n'est pas imputable à sa tunisianité encore moins à l'étiquette de cinéaste de l'émigration qui s'avère inappropriée dès qu'on prend la peine de s'attarder sur ses films. La faute à Voltaire traite du rêve que constitue la France pour un jeune tunisien qui y débarque illégalement. De foyers en asile psychiatrique, le personnage de Jalel incarné par Sami Bouajila rencontre l'amour et la fraternité. Si la vie est dure pour ces deux marginaux sans ressources qui gravitent autour de Jalel, sans présent ni avenir, Abdellatif Kéchiche préfère mettre l'accent sur l'humanité qui se dégage de ses personnages, leurs stratégies de survie, les liens de solidarité qui se tissent entre eux. La faute à Voltaire célèbre la vie là où s'attend le moins. Ce faisant, le réalisateur échappe à tous les poncifs d'un cinéma de ghetto naïvement réactif. La ligne démarcation ne se situe pas entre Maghrébins et Français. La communauté dans laquelle débarque Sami Bouajila qui finira par l'adopter est cosmopolite : Français, Portugais, Algériens, Tunisiens. Ce qui fait sa force et qui émeut, ce sont ces réserves d'amour et d'humanité que Kéchichce traque au plus profond de ses personnages. Le clivage est à rechercher entre cette communauté et l'adversité du monde extérieur qui finira par avoir raison du rêve de Jalel. Avec L'esquive Kéchiche explore les émois de l'adolescence et choisit de travailler avec des jeunes sans aucune expérience devant la caméra. La trame est simple : Krimo jeune maghrébin est amoureux de Lydia qui aime le théâtre et ne sait rien de l'amour que lui voue Krimo. Pour se rapprocher d'elle, il lui donne la réplique en cours de français dans une pièce de Marivaux. L'exercice est insupportable pour cet adolescent plein de sensibilité néanmoins soumis à la loi du groupe pour qui "le théâtre c'est pour les tapettes". Son excès d'amour se traduit par une impossibilité de dire son amour, encore moins de le jouer. En dépit de leurs différences, les deux premiers films de Kéchiche sont travaillés par des questionnements très proches. Un ancrage dans les "marges" de la société française, ici la banlieue française, la possibilité du bonheur qu'offre une communauté solidaire qui se constitue en dehors des institutions traditionnelles de la famille et de la patrie. Le tout sans pathos ni dénonciation primaire. Point d'angélisme dans le cinéma dans le cinéma de Khéchiche. Ces jeunes sont ce qu'ils sont, ils organisent leur monde comme ils peuvent. Un monde qui n'est pas tendre avec eux, dont ils essaient de contourner la rudesse avec plus au moins de bonheur.

L'esquive est important dans la mesure où il constitue l'affirmation d'un style cinématographique. Le véritable tour de force du film réside dans ses partis-pris de mise en scène qui sont en adéquation presque parfaite avec son fonds. Il y a lieu de souligner l'excellent travail de direction des comédiens qui dégagent une vérité telle qu'on en oublie qu'ils jouent un texte. Cette performance est d'autant plus remarquable que les dialogues sont parfois torrentiels et dits par des comédiens non professionnels mais dans un registre linguistique très proche du leur, auquel ils ont très probablement contribué. Cette parole est saisie d'une manière brute et frontale au plus près des corps. La caméra de Khéchiche (ou plutôt les caméras, il s'agit en fait d'un dispositif de deux ou plusieurs caméras portées) est nerveuse et à l'affût de toute expression, de toute faiblesse, de toute défaillance. Ce sont les visages qui constituent les seuls paysages de cette banlieue dévastée. C'est l'humanité que la mise en scène s'attache à débusquer avec un réalisme quasi documentaire. Ces plans serrés parfois très courts sont sans concession pour le spectateur qui se doit d'être actif et vigilant face à ces images où les coupes sont fréquentes et les points de vue en perpétuelle évolution.

Dans la lignée des meilleurs films des frères Dardenne, Addellatif Khéchiche privilégie une mise en scène aux antipodes de l'esthétisme ambiant travaillée par une quête d'humanité et de vérité.

IKBEL ZALILA

Films liés
Artistes liés
Structures liées