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Le cinéma marocain : De l'opacité à la transparence
critique
rédigé par Ahmed El Ftouh
publié le 07/10/2008

La Journée nationale du cinéma marocain tiendra ses assises, après quelques années de suspension, le jeudi 18 octobre 2008 à Rabat. Le thème retenu pour cette journée de réflexion et que les professionnels du cinéma auront à débattre tourne autour de l'assistance, le fonds d'aide, l'avance sur recettes… ou autre formule pour améliorer, renforcer et assainir la production et la promotion cinématographiques au Maroc. L'article suivant est une modeste contribution à cette réflexion qui nous concerne tous : professionnels du cinéma, critiques, publics ou simples citoyens contribuables.

Depuis la première version de l'aide à la production cinématographique (1980), octroyée par les pouvoirs publics et gérée par le Centre cinématographique marocain, cette aide va être sujette à des critiques, à des remises en questions et à des amendements et révisions. Elle va faire l'objet, à quatre reprises, d'améliorations en l'espace de deux décennies.

Sous ses différentes appellations et formes, prime, fonds de soutien, fonds d'aide, avance sur recettes, cette assistance étatique allouée aux sociétés marocaines de production et d'exploitation cinématographiques va être le promoteur (parfois unique), le catalyseur, le moteur et la source de survie et d'émergence du cinéma marocain et de son dynamisme en progression constante. Et comme la production et la distribution sont liées, cette aide permettra à certaines salles de cinéma (dont le nombre est en chute libre), de rester ouvertes, de se rénover, d'offrir des séances de cinéma dans de bonnes conditions de réception et d'accueillir, pour un petit nombre, des festivals de cinéma nationaux et internationaux.

Mais cette aide bénéfique et aussi un mal (nécessaire peut-être). Mal qui va causer certains torts à l'image de marque de la production cinématographique dans notre pays. Une image de marque ternie par trop d'opacité. Une opacité qui rappelle celle cultivée par les magiciens qui gardaient jalousement les secrets de leur art ou de leur sorcellerie. Si la relation entre image et magie est reconnue au niveau historique et linguistique (l'anagramme de magie n'est autre que image, les deux termes sont composés des mêmes lettres), elle ne peut exister entre cinéaste (passeur d'images) et magicien (trompe l'œil) que par l'existence de cette opacité déjà signalée.

Cette opacité va engendrer un grands nombre de reproches, de critiques (écrites, verbales, colportées, chuchotées…), de rumeurs circulant parmi la sphère des uns et des autres (professionnels, cinéastes, techniciens, acteurs, journalistes, critiques, cinéphiles, fonctionnaires et public tout court) et allant jusqu'à accuser nos cinéastes d'être des "chasseurs de prime", de "mauvais payeurs", de "profiteurs et d'opportunistes" qui s'enrichissent sur les deniers publics…
Opacité qui n'est certainement pas seulement due à une mauvaise gestion de la production ni à l'absence de contrôle de cette gestion, contrôle qui a toujours existé et qui reste toujours possible. Mais elle est due aussi et surtout à la forme de gestion (moderne ou traditionnelle) de l'entreprise de production cinématographique et aux types de relations professionnelles instaurées entre les différents intervenants et durant les différentes étapes de la réalisation d'un film.

Il est tout à fait admis, et c'est le cas au Maroc, que chaque réalisateur possède sa propre société de production. Ce qui est tout à fait légitime. Certains en possèdent plus d'une. Ce qui est encore tout à fait légitime. Mais, que le réalisateur puisse encore et jusqu'à présent jouer l'homme orchestre, omniprésent et détenteur de toutes les connaissances et de tous les pouvoirs, relève des temps révolus et du travail artisanal et non de la production ni de la création qui s'ouvrent sur la modernité, sur les avatars de la mondialisation, et sur l'apport de capitaux marocains et étrangers qui tardent à investir dans le cinéma marocain. Se charger de toutes les tâches que nécessite le circuit de production d'un film, depuis l'écriture du scénario, à la réalisation, au montage, à la musique, au bruitage… en plus de la gestion de la production et de la distribution du film, nous rappelle la gestion de ces entreprises familiales, archaïques et traditionalistes.

Le débat suscité par la note circulaire relative à l'utilisation de l'avance sur recettes imposant aux sociétés de production ayant bénéficié de l'avance sur recettes d'ouvrir un seul compte bancaire au nom du film ayant bénéficié de l'avance et dans lequel devront être déposées toutes les sommes destinées à la production dudit film tourne autour de la dichotomie opacité et transparence. Entre une gestion traditionnelle, passéiste et révolue de l'entreprise de production cinématographique (et de toutes formes d'entreprises dans notre pays) et une gestion moderne, structurée, avec un organigramme, des tâches bien définies et des responsabilités bien assumées. Et avec un capital de confiance et une crédibilité assurés.
Car refuser la transparence, c'est refuser le changement, le progrès et l'évolution du cinéma marocain. C'est aussi participer à entretenir cette image ternie d'une entreprise de cinéma qui colle à la mentalité d'assistés et aux pratiques de la gestion archaïque et opaque.

Un cinéaste n'est pas forcément un gestionnaire d'entreprise. Il pourrait, bien sûr, le devenir. Il serait donc pertinent que des stages soient organisés pour former ceux de nos cinéastes et leurs assistants qui veulent s'initier, approfondir ou maîtriser la gestion d'une entreprise de production cinématographique. Un programme pourrait être initié dans ce sens, à l'instar de la formation qualification et mise à niveau des entreprises dont un pourcentage non négligeable des frais est remboursé par un fonds spécial géré par l'OFPPT (Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail). Nos entreprises de production cinématographique en tireront un grand profit et notre cinéma national évoluera encore et de mieux en mieux.

Ahmed EL FTOUH
Critique d'art et de cinéma