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Khamsa, de Karim Dridi
Dans le camp Mirabeau coulent misère et poésie
critique
rédigé par Meriam Azizi
publié le 04/11/2008
Mériam AZIZI
Mériam AZIZI

Les coups durs reçus à la sortie de Fureur (2003), drame inspiré du récit archétype Roméo et Juliette n'ont pas laissé Karim Dridi donner sa langue au chat. Tout en demeurant fidèle à la thématique de la fureur, cependant, véhiculée cette fois par des enfants qui campent les rôles principaux de sa dernière œuvre Khamsa, le réalisateur franco-tunisien passe d'une sauce méditerranéo-asiatique à un environnement partagé entre deux communautés arabe et gitane. L'engouement pour cette tranche âge n'est pas né d'aujourd'hui. Il suffit de se remémorer de Los Olvidados de Bunuel ou des 400 coups de Truffaut pour réaliser que la légitimité du rapprochement tient à ce choix de mettre en scène le quotidien d'un trio d'enfants d'apparence délinquants mais dont l'âme est encore pétrie de joie de vie et de pureté. Forme et contenu se partagent l'originalité du film relevant à la fois du documentaire et de la fiction. Marco, coyote et Rachitique (surnom de Rachid) s'embarquent dans une aventure où ils se retrouvent en train de jouer leur propre vie. En suivant Khamsa, surnom de Marco le personnage principal la caméra s'enfonce dans un univers d'injustice et d'impitoyabilité.

L'idée de l'histoire est comme souvent dans le cinéma de Karim Dridi, inédite. Du jamais vu à l'écran mais ô combien ancré dans une réalité sous-jacente. On pourrait croire à une invention fantaisiste, à une envie de provoquer en poussant le réel vers le surréel. Cependant tout est fondé sur des éléments préexistants que l'implantation de la caméra et la présence de Karim Dridi suffit à transformer en fiction. D'où ce souffle de militantisme et de sympathie pour les laisser pour compte qu'on pourrait accorder au réalisateur et une sorte de reconnaissance méritoire juste pour la valeur informative que porte le film. Né d'une mère algérienne et d'un père gitan, Marco, fuit sa famille d'accueil pour rendre visite à sa grand-mère agonisante. C'est ce retour à la grande famille gitane qui marque le déclenchement de l'action. Le film démarre menant Marco, enfant souffrant d'absence de repères, d'une péripétie à une autre au cours desquelles mieux vaut se battre pour survivre et rester digne.

In media res, le plan d'ouverture place nous projette d'emblée dans la sempiternelle symbolique du départ à la quête de soi. Marco, enfant de 12 ans, avance du fond de l'image vers le spectateur, chantonnant un air mélancolique gitan espagnol empreint de souffrance comme on réussit à le lire sur les contractions des muscles de son visage dès qu'il est pris en gros plan. Suit un plan général en panoramique du point de vue de Marco, balayant tout un territoire gitan parsemé de caravanes. C'est dans cette unité d'espace, un camp au nom de Mirabeau à Marseille, où sévit la loi du plus fort, que les événements vont se succéder une fois que l'intrus aura fait son apparition. D'un côté délaissé par un père travailleur dans la ferraille, de l'autre accueilli dans une ambiance de retrouvailles par son cousin,Tony, le plus aîné, toujours prodigue en conseils à l'adresse de Marco et au ton paternel à son égard et son ami Coyote. Risques et dangers guettent l'enfant errant, déchiré entre l'incapacité d'obéir à son cousin et l'attirance par les actes de vols qui passent du scooter au cambriolage des maisons sous l'instigation de Rachitique, jeune arabe habitant la cité voisine.

Marco croit dans le rêve de partir en Espagne avec Tony grâce au combat de coqs. Le rêve s'écroule à la perte du combat. Summum du tragique, quand à cet incident s'ajoute l'incarcération de ses deux complices. La mort de la grand-mère compte parmi les événements cruciaux dans le film. A fortiori si l'on considère les scènes où Marco esseulé de ses parents, se refuge auprès de ce corps cadavérique, dernière source d'affection avant l'éteinte.

Il existe un élément naturel nodal dans le film. Le feu, synonyme de rage et de colère revient à deux reprises pour nourrir toute l'imagerie de l'instinct de défense chez l'homme et son refus de l'injustice. Aussi signale-t-on l'image de la caravane brûlée que la belle mère de Marco refuse de jeter pour lui rappeler à chaque fois qu'il débarque ce souvenir ineffable de la violence de sa réaction. Ou encore, la scène bouleversante parce que quasiment imprévisible de Marco versant à grandes quantités, dans un accès de furie, de l'essence sur le serpent de Tony qu'il garde entouré de souris blanches dans un bocal. Déçu par ce reptile, il n'accepte pas la docilité et la co-existence paisible qu'il mène avec des créatures plus faibles que lui. La scène en dit long sur l'écart entre un idéal de vie représenté par la tolérance bestiaire au sein de ce bocal entre deux animaux censés s'entretuer, et l'extérieur des humains où vit Marco. En somme, par le feu, l'enfant n'y croyant pas tellement endurci, commet ce à quoi il est potentiellement exposé : l'éradication.

Référence à la main de Fatma, Khamsa, amulette grosse de mythes et symboles universaux Si Marco, malgré la malchance d'ouvrir les yeux sur un milieu social précaire et férocement hostile, subsiste à l'Immondice humaine et matérielle, c'est grâce à la vertu de protection que possède cette main dont on retrouve la trace dans les cavernes des premiers hommes. Loin de rattacher sa fiction aux conflits raciaux entre arabes et gitans, Karim Dridi semble soulever une question universelle celle du combat d'un enfant abandonné pour la survie.

Meriam Azizi

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