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Entretien avec Ousmane William Mbaye, Cinéaste, par Charles Malick Sarr
"Les films sénégalais existent mais le cinéma est en panne"
critique
rédigé par Charles Malick Sarr
publié le 26/11/2008
Ousmane William Mbaye
Ousmane William Mbaye

Aujourd'hui, malgré la crise que connaît le cinéma sénégalais avec la fermeture des salles, malgré l'absence de volonté politique, il existe de nos jours, à l'instar de Ousmane William Mbaye, des professionnels du 7e art qui croient en l'avenir de ce secteur. La preuve, Willy comme l'appellent ses proches, vient de réaliser son 9ème film Mere-bi, La Mère, un documentaire de 55 min sur Annette Mbaye d'Erneville, la première femme journaliste au Sénégal. Dans cet entretien qu'il nous a accordé une semaine après la sortie du film, il revient sur le choix de son personnage, son combat pour le retour de certaines archives ainsi que la crise que traverse le cinéma sénégalais malgré l'existence des films.
Entretien.

Africiné : Vous venez de réaliser un documentaire sur la première femme journaliste au Sénégal en la personne de Mme Annette Mbaye d'Erneville. Pourquoi un tel choix ?

William Mbaye : Je voudrais d'abord souligner que la première dame journaliste au Sénégal est ma mère. C'est vrai que les gens me demandent souvent pourquoi ce choix. Je me l'explique tout simplement par une proximité pour avoir vécu avec elle, l'avoir trouvée intéressante, dynamique, et ayant beaucoup contribué à l'émancipation des femmes de ce pays. Autant, j'en dirais que c'est une grande actrice de la culture sénégalaise. Et à ce titre, le personnage en soi me paraissait intéressant, même si c'était ma mère. Il fallait s'y intéresser et aussi apporter un vibrant témoignage sur cette génération de personnes d'une manière générale, mais aussi de femmes parce que nos mères, je pense, ont mené beaucoup de combats que la jeune génération ignore. Il est vrai que les jeunes savent que Annette Mbaye d'Erneville est une grande Dame mais ils ne savent pas pourquoi. Mais aussi comment elle a sacrifié des aspects de sa vie pour s'adonner à la culture, au féminisme. Donc, il y a cet aspect qui est objectif et il y a l'aspect subjectif qui est qu'elle est ma mère et que j'ai un peu d'admiration pour elle. Pour moi, c'est un exemple honorable.

Vous avez évoqué des sacrifices que votre personnage a dû faire pour s'adonner à la culture. Qu'en est il exactement ?

Je pense qu'elle en parle dans le film d'une manière assez biaisée. Je veux dire, quand on sacrifie son ménage pour des convictions professionnelles ou culturelles et non pas pour des convictions politiques, je pense que là c'est un grand sacrifice. Je pense qu'un divorce, c'est toujours un échec. Donc choisir l'échec pour pouvoir s'exprimer et exister, c'est un sacrifice. Je pense que ce n'est pas donné à tout le monde. Je veux dire qu'aujourd'hui, on est dans une société où on apprend aux femmes à accepter n'importe quoi pour rester dans le ménage au risque d'aliéner ses propres convictions. Elle a choisi le journalisme, la culture et le mouvement des femmes. Ce qui fait qu'elle était obligée de voyager, de recevoir énormément. Beaucoup d'associations se sont créées chez elle. L'Association des écrivains Sénégalais (Aes) ainsi que la première Association des journalistes sont créées dans son salon. Donc, il y a aussi un manque à gagner par rapport à l'éducation de ses propres enfants. Cela aussi, ce sont des sacrifices. Je veux dire qu'on ne peut réaliser des choses sans casser des oeufs.

Comment s'est déroulée la réalisation de ce documentaire ?

Elle n'a pas été facile parce que ça m'a pris presque dix ans. Vous verrez même dans le film une image de mon fils qui a quatre ans et qu'on retrouve à la fin à 18 ans. Donc, c'était un peu pour montrer le temps. Du point de vue du temps, ce n'était pas facile mais aussi du point de vue du concept, ça m'a pris du temps parce qu'au début, je savais que je voulais faire son portrait mais je ne savais pas comment on faisait un portrait. Et ce projet est venu avant Xalima, la plume et Fer et verre. Je construisais des images. Du point de vue de la production, le travail abattu n'était pas de tout repos. Dès le début, quand j'envoyais des dossiers dans les commissions, on disait "Mais non! il ne peut pas filmer sa propre mère, il ne sera pas objectif. Donc ce n'est pas la peine de le financer. C'est un truc familial". Je vous assure que j'ai eu plusieurs refus au niveau de la production avant que les gens n'y croient. Là où ça a commencé à marcher, il y a deux ans, j'ai eu une aide à l'écriture du scénario. Avec un expert, j'ai fait le stage de 7 à 10 jours. Et après, j'ai redéposé le dossier et j'ai eu le minimum de la Commission de Fonds Images Afrique du ministère des Affaires Étrangères. Ce qui a déclenché la fabrication finale de ce film.

Lors de la projection destinée à la presse, vous déploriez la difficulté pour vous cinéastes de vous procurer certaines images d'archives. Qu'en est-il exactement ?

En faisant ce film, à un moment donné, j'ai eu besoin d'images d'archives de ma propre mère. Il y a une émission dans le film avec Édouard Maunick sur la Francophonie. J'ai pris contact avec l'Institut National Audiovisuel en France (INA), et à ce niveau précis, ils m'ont d'abord prêté des images pour que je puisse caler dans mon montage en me disant : "Il faut payer les images". Et il faut dire que les images coûtent 3000 euros (Ndlr : 1.950.000 Francs CFA) par minute. Quand je me suis dit : "Ma propre mère, si je dois acheter ses propres images !", j'ai commencé à avoir des problèmes. Après, j'ai cherché les images d'archives de Mamadou Dia et de Senghor parce que ça été une phase importante de la vie de ma mère et je voulais l'insérer dans le film. Là, je me suis dit que c'est impossible, je ne pouvais même pas en acheter. Donc, j'ai intéressé l'INA à la production et il a fallu une version de 1h20 pour convaincre l'INA. De 1h20, on est passé à 55mn et ils ont accepté le produit. Donc l'INA est coproducteur avec ses archives, l'étalonnage et le mixage. Si l'INA n'était pas coproducteur, je n'aurais pas pu mettre ces archives parce qu'il fallait payer. Et je n'avais pas beaucoup d'argent. C'est à partir de ce moment là que j'ai commencé à discuter avec le responsable de l'INA. Je leur ai dit qu'il y a un phénomène très bizarre. Ce sont des archives sénégalaises, logiquement elles devraient exister au Sénégal et que nous cinéastes sénégalais et Africains devons avoir un accès à ces images. Ils m'ont dit : "Il n'y a pas de souci, parce que l'Algérie et le Cambodge ont récupéré leurs images. Donc le Sénégal peut récupérer ses images à la seule condition qu'il y ait un local approprié pour conserver des
archives et qu'il y ait un minimum de deux personnes pour le personnel."
Donc, je me suis dit que je vais en faire mon combat. Je vais convaincre les autorités sénégalaises de léguer un local adéquat pour des archives, de payer deux personnes et que nous professionnels, nous fassions le reste. Je pense que c'est un combat noble. C'est inadmissible d'aller en France ou aux États-Unis pour trouver des archives de 62. Les archives de ma mère dans l'émission francophonie datent de 74. C'est mon prochain combat.

Vu la situation du cinéma, croyez-vous gagner ce combat ?

Oui ! Je crois plus à ce combat qu'au combat des structures. Je crois que c'est faisable parce que ça ne demande pas énormément d'argent. Au mieux, il s'agit juste de faire preuve d'une bonne volonté parce que si on parle de production, à la limite c'est une ligne budgetaire assez énorme d'autant plus que le cinéma coûte cher. Comme je dis, le cinéma sénégalais est en panne mais les films existent. On vit un paradoxe extraordinaire parce que sous le régime du Président Diouf, on s'est battu pendant dix ans pour avoir des textes législatifs. En 2002, sous Wade, l'Assemblée a voté tous les textes et nous, nous croyions que le combat était terminé et qu'enfin, nous allions pouvoir travailler. Mais en fait, nous nous rendons réellement compte que c'est là que le combat commence. Depuis 2002, il n'y a eu aucune application des textes. Il n'y a eu non plus aucune structure cinématographique de production, de distribution ni d'exploitation. Il n'y a jamais rien eu dans ce sens.

Selon vous, où se trouve le problème ?

Je pense qu'il manque une volonté politique parce que les textes législatifs existent. On devrait exiger aux maires de construire des salles dans leurs communes. S'il y avait cette exigence, je pourrais croire qu'il y pût y avoir une volonté politique. La pire des choses, c'est qu'aujourd'hui, quand on a un scénario de long métrage, on n'a aucune structure sénégalaise à qui s'adresser. Et tout le monde sait qu'en allant chercher de l'argent ailleurs pour produire ses films, si on vient avec 20% du budget de son pays, les autres nous prennent au sérieux. Mais si on vient avec 0%, c'est selon leur volonté que le pacte de collaboration va s'établir.

Vous parlez de volonté politique, mais ne pensez-vous pas que c'est à vous les professionnels du 7ème Art de relever le défi ?

Non ! le ministère de la Culture doit organiser le cinéma. Il doit avoir un Centre national qui centralise. Maintenant, les privés peuvent monter des sociétes de production de films mais il faut qu'il y ait la carte professionnelle, il faut qu'il y ait le régistre et il faut qu'il y ait un centre national qui regroupe, qui gère et qui donne des facilités aux maisons de production. Je veux dire que quand le Président Diouf a voulu développer la pêche, il a exhonoré plein de matériels concernant la pêche. Quand on a voulu développer la musique, on a exhonoré le matériel de musique. ça a créé les studios, ça a créé les intruments. Il y a quelques années, il n'y avait pas de studios. Maintenant, il y en a plein. Je veux dire que quand on veut développer un secteur, il est possible de le faire. Mais il faut qu'un ministère organise. Le ministère des finances et celui de la culture doivent se concerter pour organiser le secteur de sorte qu'un privé puisse s'y intéresser.

Pourtant la Direction de la cinématographie existe ?

Oui, il y a la direction de la cinématographie, mais c'est juste un bureau. C'est vrai ! Je connais très bien le Directeur de la cinématographie. Aujourd'hui, où déposer un scénario de long métrage qui coûte 1 milliard de Francs Cfa ? Nulle part ! Une structure qui a un comité de lecture qui a un comité financier, qui étudie le scénario qui étudie le budget, il y en a pas.

Cela ne pouvait-il pas être le rôle de la direction de la cinématographie ?

Ça peut être son rôle si elle est équipée dans ce sens pour ne pas créer de bureaux supplémentaires. Il suffit de la renforcer. Mais il faudrait que la direction eût un compte bancaire ou même dans le meilleur des cas, un lien avec les finances parce qu'elle peut avoir son comité de lecture qui donne un avis favorable, et par ricochet, avalise un montant. Mais qui décaisse? Quelle banque va décaisser ? Quand la Société Nationale de Production Cinématographique (Snpc) était créée, il y avait une banque qui était liée à elle. Je veux dire qu'il y a tout un mécanisme financier à mettre entre la culture et les finances. Maintenant le Ministère de la Culture donne des subventions entre 300 mille et 2 millions. Même si cette subvention qui est peu est là, elle ne profite pas à tout le monde.

Avec toutes ces difficultés, êtes-vous optimiste quant à l'avenir du cinéma sénégalais ?

Aujourd'hui, il y a une vingtaine de jeunes cinéastes qui font des films tous les ans. Ils se débrouillent entre eux, travaillent en collectif. Ils ne connaissent même pas le ministère de la culture. Ils ne savent même pas où ça se trouve. Il n'y vont jamais. N'empêche, ils gagnent des prix, participent à des festivals. C'est vous dire que la relève est là et qu'il y a des films sénégalais mais pas de cinéma sénégalais.

Donc, les cinéastes bougent ?

Oui, les cinéastes bougent, se débrouillent tout seuls. Mais il faut que l'Etat y mette sa main. Pas à cent pour cent, mais il faut qu'il s'implique.

Pourtant il y a des associations des cinéastes qui sont là. Pourquoi ne mènent-elles pas ce combat ?

Je pense qu'on est pas assez nombreux. Je veux dire qu'il y a une association de cinéastes sénégalais. Les jeunes ne veulent pas adhérer à cette association. Nous les anciens qui sommes membres, ne sommes pas nombreux. Or, il s'avère que dans notre pays, les révendications ne sont considérées comme justes que lorsqu'elles mobilisent le plus grand nombre. Je fais aussi un reproche au public car je n'ai pas encore vu de sit-in à Dakar-Plateau pour dire qu'il n'y a plus de salles de cinéma. Les gens râlent dans les salons mais il n'y a aucune manifestation. On a l'impression qu'aussi bien l'État que le public manifeste une indifférence vis à vis du cinéma.

Pensez-vous pas qu'aujourd'hui, l'avènement de la vidéo et d'autres supports font que le public ne réagit pas ?

Non! ça c'est un faux procès. La vidéo permet le contraire. Aller au cinéma, c'est une sortie. C'est comme aller au restaurant. Logiquement quand il y a une salle obscure, tu fais ta sortie en famille ou avec tes copains. Et si le film t'a plu, tu cherches le DVD pour te le repasser chez toi. Donc l'histoire du DVD n'est pas vraie. C'est parce qu'il n'y a pas d'espaces. Aujourd'hui, si vous voulez aller au cinéma avec votre femme, si vous voulez être en sécurité avec vos enfants ou avec un étranger qui vient vous voir, vous n'avez pas de salle. Aujourd'hui, il y a des jeunes âgés de quinze ans et qui ne sont jamais allés au cinéma. C'est un handicap. J'avoue que je ne crois pas à l'histoire de la vidéo.

Propos recueillis par
Charles Malick SARR

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