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La vocation du documentaire
Entretien avec Katy Lena Ndiaye
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 06/12/2008
Hassouna Mansouri
Hassouna Mansouri
Katy Léna Ndiaye
Katy Léna Ndiaye
Traces, empreintes de femmes, 2003
Traces, empreintes de femmes, 2003
Awaiting for Men (En attendant les hommes), 2007
Awaiting for Men (En attendant les hommes), 2007

Elle est venue progressivement au cinéma. Après des études de lettres modernes à Paris, elle suit une formation en journalisme audiovisuel. Sa vocation elle la trouve dans un fort désir de dire l'Afrique. Tout en travaillant pour la télévision, elle continue discrètement son rêve cinèmatographique. C'est même la façon dont les Afriques sont montrées à la télévision qui l'arme à prendre la caméra et travailler à corriger cette image. La ligne de démarcation est très nettement marquée. Sans prendre le temps de passer par le court-métrage, le documentaire est sa vocation.

Ce film est le second, il vient donc après un premier qui traitait du même thème. Qu'est-ce qu'il y a comme différence entre les deux ?

Oui en effet, pourquoi un film similaire au premier, entre guillemet parce que ce n'est pas du tout similaire, en fait il s'agit d'une trilogie. L'idée de départ c'était : "Murs de femmes, paroles de femmes" à partir d'un livre de photographies qui s'intitulait "Africa paintings". Margaret Costinklark, une femme du Zimbabwe qui avait fait le tour de l'Afrique des murs peints. Et alors, il y avait pour moi cette frustration : c'était beau, c'était très esthétique. Mais il y a quoi de la parole et de la culture qu'il y a derrière. C'est ainsi que j'ai initié ce grand projet. Mais aussi je dirai qu'il y avait cette volonté d'aller vers une pratique artistique "traditionnelle", montrer toute la modernité à travers les paroles de femmes.

Mais quand tu dis trilogie, c'est qu'il y a certainement une évolution. Non ?

Oui bien sûr. Ce ne sont pas les même pays, ce ne sont pas les mêmes communautés, et forcément ce ne sont pas les mêmes femmes. Je dirai que des peintures et des rencontres ont initié une histoire, celle des gens que j'ai rencontrés à Tibilè : Aminata et ses trois grand-mères. À Walata, ce sont Khadi Cheicha et Masouda. Ce sont des femmes d'un âge mûr, pas du même âge que moi. Donc d'office, cela génère des conversations tout à fait autres que celles que j'ai pu avoir avec Aminata : une femme entre deux âges qui cherchait son chemin. Donc c'était toute la question de la transmission, de trouver sa voie de femme, outre la thématique de l'acculturation en Afrique. Et ces grands-mères qui, elles, ont vu le temps passer, et cette fille qui n'avait pas encore trouvé son chemin. Alors qu'ici ce sont des femmes entre les deux, des femmes d'âge mûr. Et évidemment il y a d'autres thématiques qui surgissent.



Donc le choix de ces trois femmes n'a pas été arbitraire. Il y avait une réflexion derrière. Tu as fait ton casting. Comment as-tu choisi ces trois femmes-là précisément ?

Disons que c'était un double casting. Elles m'ont choisie et je les ai choisies. Au moment du repérage, je m'étais perdue et je commençais à tourner en rond à la recherche d'interlocutrices. Il y avait la barrière de la langue forcément. Et puis il y a eu une question comme un coup de poing de l'une des femmes du départ : bon finalement, toi là qu'est-ce que tu viens faire ? Qu'est-ce que tu cherches ? Tu es qui ? Alors que j'essayais de me faire accepter cette question m'a réveillée. Et j'ai commencé à me demander : qu'est-ce que je venais faire ici ? Pourquoi la Femme ? Pourquoi la Mauritanie ? Et je questionnais le projet lui-même. En faisant cela, j'ai trouvé le pourquoi. Je me sentais proche de ces femmes. Elles ont questionné la Femme en moi, et donc j'ai été questionner la Femme en elle. Une sorte de dialogue entre femmes s'est installé. Comment on peut être femme chez toi, et puis chez moi (qui est un entre deux). Je suis née au Sénégal, donc Africaine et musulmane et j'ai grandi en Europe. J'ai un peu été fabriquée pour fonctionner ici. C'est donc tout cela qui a nourri le film.

À un certain moment l'une des femmes te retourne complètement la question en te disant : "et alors…" au sujet de la propriété. Il y a un rapport d'intimité très fort qui s'est installé entre toi et ces femmes.

Une fois que j'ai eu un coup de poing, je me suis dit "voila alors on ne va pas se la jouer. On va mettre les cartes sur table et on va instaurer un dialogue, une discussion". De quel droit je venais les questionner et elles ont eu la gentillesse et la générosité de me répondre, et bien alors là on fait moitié moitié. Je pose les questions et vous me poser des questions et ainsi de suite : on discute. Donc je mettais de côté la position de réalisatrice.

Quand on pose des questions on attend des réponses. Mais il y a des cas de personnes récalcitrantes de personnes qui refusent de répondre. À un certain moment, une femme te répond : "Non, je n'ai pas compris ta question" ou : "Non je ne peux pas répondre à ta question". Tu as gardé cela dans le film. Ce n'était donc pas une frustration ?

Non ce n'est pas du tout une frustration, parce qu'en refusant de répondre on répond quelque part, de toute façon. Et puis c'était justement de quoi je me mêle et pourquoi je viens poser toutes ces questions. Et puis c'était comme si c'était avec une copine, lorsqu'il y a une question délicate, on l'évacue. Non vraiment, ce n'était pas une frustration. Au contraire, je ne voulais pas de choses tout à fait lisses. J'ai autant aimé qu'on me dise non et que l'on m'envoie sur les roses que de me donner des réponses qui n'auraient pas été justes ou authentiques par rapport à mes questions.

Ces femmes sont sans hommes. On ne voit qu'elles. Les hommes sont complètement absents, exception faite de quelques apparitions brèves, sinon ils sont évoqués, ils se trouvent dans la parole. C'est donc un choix d'écriture ?

Bien sûr, c'est un choix. L'homme est présent dans les pensées ou dans les paroles mais pas physiquement.

As-tu comme objectif de détruire des clichés concernant les femmes dans ce type de sociétés. La femme qu'on voit dans le film n'est pas faible, ni soumise, … Les femmes que tu montres sont fortes de personnalité. Elles se sont élevées contre des hommes : mari, père, etc.

Honnêtement c'était du hasard. Je n'ai pas fait mon casting en fonction d'une image des femmes que je voulais. Non vraiment c'était le hasard que je les ai découvertes. Beaucoup de choses se sont révélées à moi au moment du montage. Il y a des paroles fortes que j'ai demandé à traduire 15 fois parce que je me disais : "non, ce n'est pas vrai, elle n'a pas dit ça". C'était le hasard dès le début qui a fait que je suis tombée sur ces femmes. Elle m'ont choisie et je les ai choisies. En fonction de quoi ? Il y avait une affinité, un thème, celui de la peinture murale, … En fait, c'était uniquement en fonction du comment elles avaient envie de participer à ce travail. Parce que je leur avais dit qu'on allait faire un film ensemble. Ce n'était pas gagné du tout. Je ne pensais pas du tout aux clichés ou quoi que ce soit. Tout simplement j'allais voir. Et en fait en pensant au départ, avant d'être sur le terrain, lorsque je me demandais pourquoi la Mauritanie, c'est que les peintures murales (les Tarkhas) évoquent les femmes et d'une manière tout à fait sensuelle. C'est de ce point de vue que j'ai été interpellée : des femmes avec une culture musulmane, ces desseins explicites ou implicites peu importe. C'est ce qui m'a emmenée vers Oualata et vers ces femmes.

Ces peintures sont des œuvres d'art, art naif, art spontanné, tout ce qu'on veut… Ce sujet a donné un aspect plastique à l'image du film lui-même qui met en valeur ce travail-là et qui garde l'atmosphère plastique de ces peintures.

Oualata est importante pour l'histoire de la région. C'est beau, c'est classé au patrimoine de l'UNESCO. Dans ma frustration lorsque je tournais en rond, avant de rencontrer les personnes adéquates, je me suis perdue dans Oualata. Et pour moi, Oualata était une immense Tarkha, un immense tableau mural. Chaque détail respirait la Tarkha. Dès l'instant où ces peintures renvoyaient aux femmes, pour moi, les moments où les femmes ne sont pas à l'écran, où l'on est dans les natures mortes, et bien ce sont encore des Tarkhas. C'est la prolongement des paroles des femmes. On a encore en t tête ce qu'elle viennent de dire ou ce qu'elles ont dit dix minutes avant. Tous les détails renvoient vraiment à des Tarkhas, et à son esthétique si l'on veut.

propos recueillis par Hassouna Mansouri

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