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Entretien avec Monique Phoba, réalisatrice de Sorcière, la vie !, par Fortuné Bationo
"Il ne faut pas que notre foi nous divise"
critique
rédigé par Fortuné Bationo
publié le 20/12/2008
Fortuné Bationo
Fortuné Bationo
Monique Phoba et un témoin dans Sorcière, la vie !, 2006
Monique Phoba et un témoin dans Sorcière, la vie !, 2006
Monique Phoba
Monique Phoba

Pour certains esprits en Afrique, les griffes de la sorcellerie adorent se mettre au service des enfants. Qui sont devenus, par la force de cette trouvaille absurde, des dangers publics. Sorcière, la vie ! de Monique Phoba, projeté au Festival International du film francophone de Tübingen en Allemagne (11 au 19 novembre) dénonce ce phénomène en République démocratique du Congo, en jetant un éclairage sur les ressorts qui tendent la sorcellerie vers mille frayeurs infondées. Dans cet entretien, la réalisatrice revient sur les causes possibles de ce drame qui déchire des familles.

Qu'est qui vous a poussé à faire un film sur la sorcellerie ?

Je pensais que c'est un sujet trop important pour les Africains. C'est quelque chose qui les préoccupe presque au jour le jour dans le sens où, dès qu'ils ont quelque chose qui va mal dans leur vie, au niveau santé, au niveau profession, au niveau amour, ils pensent que c'est la sorcellerie. Moi j'estime que les cinéastes sont un peu là pour se préoccuper de ce que les gens ont en tête. Ils sont là pour leur montrer que le cinéma est quelque chose qui leur appartient, pour témoigner de leur vie, qui est fait même pour leur montrer des choses qu'ils vivent. Dans une autre perspective, il permet, je ne dis pas des solutions, parfois d'avoir moins la pression de tout ce qu'ils vivent au jour le jour, un peu comme les chansons le font d'ailleurs. Une chanson ne guérit pas mais quand tu as une chanson qui te plaît, quelque chose se transforme en toi. Je voudrais que le rôle soit le même pour le cinéma parce que beaucoup d'Africains pensent que c'est un luxe inutile d'avoir un cinéma africain alors qu'on peut considérer que les chansons, les danses sont un luxe inutile or en fait, c'est primordial.

À la présentation du film ici à Tübingen, vous avez dénoncé cette appropriation extérieure du sujet qui a tendance à le ramener sur un terrain qui vous déplaît. Pouvez-vous revenir sur ces griefs ?

Oui tout à fait. Si vous ne mettez pas vos propres images sur des sujets, la nature a horreur du vide et on verra d'autres venir faire des films là dessus et dans une perspective qui n'est pas toujours nécessairement ni la bonne ni la plus fiable. Donc c'est vrai que c'est un sujet tabou ; mais à partir du moment où c'est dans notre vie de tous les jours, c'est mieux d'en parler, c'est mieux de commencer à en parler parce que je n'ai pas trop de prétentions là dedans. C'est quelque chose de très important dans la vie de tous les jours, on ne peut pas rester continuellement dans l'ombre et le secret. Et il vaut mieux en parler que de laisser d'autres arriver avec d'autres références et d'autres critères que les nôtres. En quelque sorte, la sorcellerie ou plutôt (on va dire) la foi dans l'esprit des ancêtres, c'est notre religion depuis belle lurette et toute une culture a été faite dans cet environnement là. On doit en parler honnêtement. Ceux qui viennent de l'extérieur de toute façon ont souvent de bonnes intentions, mais parfois l'enfer est pavé de bonnes intentions.

Qu'est-ce que faire ce film vous a appris sur la sorcellerie ?

Moi je ne crois pas que j'ai fait ce film pour apprendre quelque chose sur la sorcellerie. J'ai fait ce film pour apprendre des choses sur la façon dont en Afrique nous concevons notre rapport au monde et le rapport au monde passe par la croyance. Donc la foi, la croyance, est toujours une question personnelle. Je crois qu'on ne peut pas dire aux gens qui croient en la sorcellerie qu'ils sont sous développés, qu'ils sont à coté de la plaque et entendre ici en Europe que l'eau est changée en vin, Jésus a marché sur la mer et tout ça ne provoquent pas de ricanements. Je veux dire, franchement, à tous égards c'est pareil. La foi, c'est la foi. Maintenant c'est que cette foi nous permet de vivre, de régler des problèmes mais il ne faut pas que ce soit une foi qui nous divise, qui nous sépare du monde, qui nous enferme. Je crois qu'on y met ce qu'on est et l'espoir qu'on a dans la vie. Quand je vois que cette foi se transforme de façon meurtrière pour tuer nos enfants, pour remplir de peurs et d'angoisses. Aucune foi n'est faite pour pourrir la vie des gens. C'est pourquoi il faut s'en préoccuper. Maintenant elle devient quelque chose de délétère et c'est à cause de certaines raisons un peu comme l'islam qui est devenu quelque chose qui tue ses enfants. Notre foi devient quelque chose qui tue ses enfants. Donc à partir de là (sans dire que la foi est mauvaise), on doit essayer de faire nous-mêmes notre propre ménage pour que ça redevienne une foi de confiance en la vie, une foi de bonheur de vivre. On ne nous a pas mis au monde pour ensuite nous détruire. Or ce sont les parents qui détruisent les enfants. Il y a quelque chose qui ne va pas. Il faut en parler parce que l'affaire a atteint des sommets. Évidemment le cas des enfants sorciers, on le connaît au Congo mais il y a plein d'autres phénomènes aussi qui montrent que la société se dérègle en Afrique. Il faut appeler tous les gens qui ont la sagesse, et on doit en parler.

Vous mettez en exergue dans votre film le fait que les intellectuels ne sont pas épargnés par des accusations de sorcellerie. Comment expliquez-vous cela ? Le cas de l'ex docteur…..

L'ex docteur justement c'est quelqu'un qui, à un moment donné, dans un environnement donné, a été le premier à aller à l'école. Il doit être né dans les années 1920. Ces gens qui ont été les premiers sont toujours les gens qui sont hors du commun. De par son histoire familiale, il était lié au fondateur de village, de chefferie coutumière. On s'attend aussi quelque part à ce que ça lui arrive à lui. Donc il a ces deux poids là. Historiquement parlant, d'avoir été un des premiers à être allé à l'école et de s'être battu pour ça parce qu'en ce moment là, on ne savait pas ce qu'était l'école. On imaginait que quand vous allez chez le Blanc, il vous transforme en quelque chose, il vous mange. Quand les missionnaires venaient chercher les enfants pour aller à l'école, les gens fuyaient, allaient se cacher dans la brousse. C'était cette période là, on oublie tout ça. Donc il a réussi - malgré tout ce qu'on disait de l'école - à faire l'école. Et puis après ça, on a estimé qu'il était quelqu'un d'important. Mais tout ce qui était un peu les peurs qu'on avait de cette modernité qui arrivait, tout ça s'est focalisé sur lui parce qu'il était quelqu'un de spécial dans cet environnement là. À l'époque traditionnelle, les gens spéciaux étaient les autorités, les féticheurs … Aujourd'hui, ce sont les intellectuels et ceux qui sont proches du pouvoir. Je pense que beaucoup de présidents se sont présentés comme de grands chefs coutumiers. Ils ont dit qu'ils tenaient leur légitimité aussi de cela. À partir de ce moment là, eux aussi se désignent comme des sorciers quelque part parce que chefs coutumiers, détenteurs de pouvoirs, tu dois avoir affaire aux ancêtres, aux esprits… tout ça est lié mais la personne détentrice de pouvoir change de période en période.

Dans votre enquête, vous tombez sur une vérité implacable : les accusations de sorcellerie débouchent sur des drames, et les enfants semblent en être les premières victimes. Comment avez-vous vécu cela ?

Je vous ai expliqué. Je pense réellement que les sociétés qui sont à fortes perturbations, qui perdent leur cohérence, ces sociétés là deviennent dangereuses pour leurs propres enfants. Ça s'est passé partout dans l'histoire de toutes sortes de pays. Vous savez bien qu'ils ont brûlé des scientifiques qui trouvaient que la terre est ronde et que la terre tourne. Ils l'ont fait parce que les temps changeaient en Europe, du moyen âge à l'époque moderne, et chaque fois la société a réagi on va dire, mais je crois que petit à petit, ça passe. À partir du moment où on fait un travail de communication, avec la société, on essaie de calmer ces angoisses. On ne peut pas faire comme s'il n'y a rien, que ce soit au niveau des autorités ou des forces sociales. Il y a des ONG qui se préoccupent de cela ; mais j'ai l'impression qu'il faut un sursaut national pour ne pas laisser les gens dans leurs angoisses. Nous avons cette responsabilité par rapport à nos enfants de les protéger. Mais vous savez quand on dit protégeons un enfant, on l'enlève de son milieu familial. Parfois, on le perturbe encore plus. Il faut vraiment qu'il puisse revenir dans ce milieu familial qui aura été assaini. Ça c'est prioritaire.

Si je m'en tiens à votre chute, vous ne croyez pas en la sorcellerie ?

Moi, j'estime qu'il y a énormément de choses en l'homme qu'on ne connaît pas.

Donc vous y croyez un tout peu quand même ?

Oui bien sûr. Je dis que les potentialités de l'homme sont infinies et on sait très bien l'être humain n'utilise même pas 15% des capacités qu'il a. J'imagine quelqu'un qui utilise 50%, 60% de ses capacités, peut-être c'est celui là qu'on appelle sorcier. Honnêtement, il y a des phénomènes dans la vie de chacun. Vous avez des trucs prémonitoires qui arrivent, vous rêvez d'un truc, vous savez que vous devez faire un truc alors que tout le monde vous dit de ne pas le faire. Si quelqu'un décide d'entrer en lui-même, d'étudier tout ça, arrive à avoir certains pouvoirs que les autres pensent être magiques. À mon avis, un jour, dans x années, on ne communiquera pas par GSM mais en se parlant de cerveau à cerveau. Celui qui le fait maintenant on dit qu'il est sorcier. Plus tard, on dira que c'est normal. Il y a trop de choses qu'on ignore sur les capacités humaines. Quand quelqu'un dit que dans ses mains il a de quoi guérir quelqu'un, je pense que ce n'est pas faux. Vous pouvez guérir quelqu'un en l'aimant (…). Dans les choses qui ne sont pas physiques, matérielles, qu'on n'exploite pas assez, il y a énormément de trucs possibles Et l'Africain est en avance plus que d'autres (les Asiatiques aussi d'ailleurs) plus que l'Européen qui s'éloigne de tout ça par le cartésianisme et qui un jour, sera content de revenir vers nous qui avons gardé ces liens là, ce respect là pour ces choses. Peut-être que ça pourra sauver le monde. Le cartésianisme nous mène à tuer la terre. Le cartésianisme, c'est que tout est commerce, tout est profit. Nous avons ce respect pour cette terre qui nous porte et qu'ils sont en train de détruire. Nous avons des possibilités et des capacités qu'il faudrait gérer ; il faudrait des recherches. Là où nous en sommes, nous négligeons tout cela et un jour on viendra au niveau de cela peut-être.

Interview réalisée à Tübingen
par Fortuné Bationo

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