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Le Chant des mariées
Guerre des sens en Tunisie
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 22/12/2008
Michel Amarger (Africiné)
Michel Amarger (Africiné)

LM Fiction de Karin Albou, France / Tunisie, 2008
Sortie France : 17 décembre 2008

Karin Albou explore volontiers les rites et les cultures orientales. Sa démarche vise à questionner la société par le biais des sentiments, de la sensualité qui circule parmi les femmes. Formée au théâtre, à la littérature française et arabe, Karin Albou étudie le cinéma à Paris. Elle se fait remarquer en abordant l'Algérie dans son court-métrage Aïd el Kébir, 1999. Pendant qu'une famille y prépare la fête de l'Aïd, s'esquisse la chronique d'un enfant illégitime. Les rapports de la femme au sein de la famille et de la religion sont développés dans La Petite Jérusalem, 2006. Ce long-métrage permet à Karin Albou de valoriser la sensualité et les scènes intimistes. Une approche confirmée par Le Chant des mariées, 2008.



La réalisatrice observe les variations de l'amitié entre deux jeunes filles qui vivent à Tunis, en 1942. Nour est Arabe, de milieu modeste. Myriam, issue d'une famille juive, est élevée par sa mère. Celle-ci pousse Myriam à épouser un riche médecin pour élever leur niveau de vie. Myriam se rebelle puis se laisse gagner par l'obstination du prétendant. De son côté, Nour est amoureuse d'un jeune Arabe qui n'a besoin que d'un travail pour être accepté par sa famille. L'arrivée des Allemands à Tunis lui en fournit. Il les accompagne dans les rafles et défend avec ferveur leurs idées sur la responsabilité des Juifs dans la spoliation des biens dont sont victimes les Arabes depuis le protectorat français.

Sous la pression des brutalités des Nazis qui accentuent le clivage entre Arabes et Juifs, l'amitié de Nour et Myriam se dilue. Myriam rejoint son mari dans sa luxueuse villa pendant que Nour fréquente son amoureux. Il la sensibilise à la haine des Juifs tout en affirmant son ascendant d'homme arabe après le mariage traditionnel. Mais les bombardements américains touchent toute la ville. Myriam dont le mari est déporté, regagne la maison maternelle, près de chez Nour. Les deux amies, poussées par l'entourage à ne plus se considérer, trouvent dans les épreuves de la guerre, une nouvelle manière de se rapprocher.

En racontant comment la guerre et l'appartenance religieuse peuvent malmener une amitié, Karin Albou reconstitue avec application une période sombre de la Tunisie. "Beaucoup de films parlent de la Seconde Guerre mondiale, mais tous les récits sont situés en Europe", déclare t-elle. "Aucun n'a témoigné de la manière dont cette guerre a été vécue dans les colonies et protectorats." Le film pourrait combler ce manque si la réalisatrice élargissait le cadre. Mais Tunis reste souvent hors champ, seulement visible par quelques ruelles et cours intérieures. La caméra se concentre surtout sur les personnages principaux, s'approchant au plus près des jeunes filles pour capter leurs émois.

Le Chant des mariées s'offre alors comme une caresse qui frôle la peau féminine pour en respirer l'éclat et la sensualité. C'est dans les tête-à-tête des deux amies où leurs corps proches se parlent et se délient, que le charme du film opère. C'est dans ces scènes intimes que la réalisatrice inscrit le mieux l'empreinte des traditions religieuses, la force oppressante des rites qui transforment les jeunes filles insouciantes et rebelles, en femmes formatées par la société qui les absorbe. Au-delà des tourments des héroïnes, sont évoquées en arrière-plan des questions qui circulent aujourd'hui en Orient.

La coproduction avec la Tunisie permet aux techniciens français d'être secondés par une solide équipe. Elle marque l'une des dernières initiatives du producteur Ahmed Attia, décédé avant le tournage. Malgré le soin apporté à l'utilisation des décors, aux mouvements de caméra, c'est surtout la qualité de l'interprétation qui permet de faire fonctionner le récit. Lizzie Brocheré et Olympe Borval incarnent avec justesse les amies, Simon Abkarian le mari juif, Najib Oudghiri le fiancé arabe. La réalisatrice se glisse efficacement dans le casting en jouant la mère juive. Une manière de souligner que Le Chant des mariées puise son inspiration dans son vécu familial.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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