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N'Djamena City, de Issa S. Coelo
Ivresses du pouvoir au Tchad
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 23/12/2008
Michel Amarger
Michel Amarger
Issa Serge COELO
Issa Serge COELO

À l'occasion de sa sortie en France, le nouveau film du Tchadien Issa Serge Coelo change de nom. Initialement intitulé Tartina City, ce qui réfère au mélange de pain et de boyaux de moutons crus distribués aux prisonniers, ce long-métrage devient N'Djamena City comme pour mieux pointer directement la situation du Tchad qu'il aborde. Cette manière d'orienter l'attention des spectateurs vers ce pays précis limite la portée plus générale de l'histoire, en ciblant une audience occidentale, curieuse des grands problèmes de l'Afrique. Car Issa Serge Coelo utilise ici la fiction comme un instrument de sensibilisation. Il a ouvert la voie d'un renouveau d'expression du cinéma du Tchad, après son compatriote Mahamat Saleh Haroun, avec son court-métrage Un taxi pour Aouzou, en 1994. Installé en France où il a monté sa société de production, Parenthèse Films, il évoque les combats militaires des années 1960-70 dans Daresalam, 2000, puis les exactions des forces armées au pouvoir avec N'Djamena City, 2007.

"Le film s'adresse à un large public", annonce Issa Serge Coelo. "C'est un devoir de mémoire adressé aux victimes des abus et des dérives totalitaires, aux spectateurs, aux historiens, mais aussi aux simples citoyens." L'action se concentre surtout autour des agissements du Colonel Koulbou, un militaire vêtu de rouge comme le sang qu'il aime faire couler. On le découvre attentionné au lit, mais Koulbou est un jouisseur qui navigue entre ses deux femmes légitimes. Son plus grand plaisir est d'exercer son emprise sur ses troupes, et surtout sur ses prisonniers, enfermés arbitrairement dans une piscine bétonnée. L'intrigue est déclenchée par l'arrestation de Adoum, un journaliste qui voulait partir discuter des droits de l'homme en Europe. Enfermé et torturé, il fait partie d'une "aération", opération qui consiste à désengorger la prison en éliminant les prisonniers. C'est à cette occasion qu'il s'échappe, trouvant un soutien inopiné avec l'intervention de la deuxième épouse de Koulbou qui l'aide à fuir.

Ces péripéties, ponctuées de flash-backs pour limiter le déroulement assez prévisible de l'action, ne constituent pas l'aspect le plus réussi du film. C'est le portrait du tyrannique Colonel Koulbou qui retient l'attention. Il tire satisfaction des souffrances infligées aux prisonniers, régénérant son inspiration en pratiquant le T'aï Chi, vérifiant son ascendant sur ses épouses dont il attise la rivalité, prolongeant ses visons d'épanouissement en se projetant dans des bulles de savon qui l'amusent. Ces scènes sont l'occasion pour Issa Serge Coelo d'esquisser quelques envolées lyriques à coups de petits effets spéciaux inattendus. Il suggère même, tandis que des oiseaux migrateurs viennent conclure le film, que l'exercice du pouvoir peut évoluer pour se perpétuer sous d'autres formes.

L'ambition de témoigner de la répression pousse souvent le cinéaste à montrer les conditions inhumaines de détention, dans des scènes colorées en verdâtre. Il filme quelques tortures de front, en prenant appui sur une réalité bien plus oppressante que le film. Car malgré quelques efforts d'écriture, la réalisation de N'Djamena City paraît bien en deçà du propos annoncé. Comme si le manque de moyens avait lesté son développement. La raideur de la construction, les défauts de qualité de l'image, la déconcentration des acteurs de second plan sont à peine rattrapés par l'efficacité de la musique. La production modeste, enclenchée par l'auteur à partir de la France, soutenue par les participants gabonais, encouragée par le Tchad, finalisée au Maroc, combine des énergies du Sud pour faire résonner la voix révoltée du cinéaste tchadien. Mais cela ne suffit pas à donner à N'Djamena City, la dimension percutante qu'il aurait méritée.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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