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Interview de M. Inoussa Ousseini
Directeur-fondateur du Forum africain du film documentaire de Niamey (Niger)
critique
rédigé par Maman Sani Soulé Manzo
publié le 08/01/2009

Le Forum africain du film documentaire s'est tenu du 8 au 13 décembre 2008 au Centre culturel franco-nigérien Jean Rouch de Niamey.
Le jury de cette 3ème édition - présidé par l'écrivain Adamou Idé - a attribué le Prix Jean Rouch de la 1ère œuvre cinématographique nigérienne projetée à la 3ème édition du Forum - d'un montant de un million de francs CFA - au documentaire de 52 minutes Pour le meilleur et pour l'oignon réalisé par Elhadj Sani Magori. Le jury a en outre décerné le 1er prix Oumarou Ganda du jeune talent nigérien, d'un montant de 500.000 FCFA, au documentaire Le combat d'une femme, la victoire sur le handicap de Amadou Saley ; les 2ème et 3ème prix de cette catégorie (300.000 FCFA et 225.000 F CFA) ont été remportés par Danké Danké de Adamou Saadou et Sorko de Moussa Hamani.
Le ministre nigérien des Arts et de la Culture, chargé de la Promotion de l'Entreprenariat artistique, M. Oumarou Hadary, était aux premières loges pour encourager ce Forum de plus en plus couru par les cinéphiles locaux.
Notons que le Forum africain du film documentaire a été fondé en décembre 2006 par le sociologue et cinéaste nigérien Inoussa Ousseini, actuel Ambassadeur du Niger à l'UNESCO et, surtout, réalisateur de films comme Clitoris, fille de personne - "une œuvre de jeunesse à oublier", regrette-t-il -, Paris, c'est joli ou de documentaires tels Fantasia, Wassan kara et Sharo.
M. Inoussa Ousseini tire - pour le site Africiné - les enseignements de la 3ème édition et se prononce sur la relance du cinéma nigérien en général et les perspectives du Forum africain du film documentaire en particulier.

M. Inoussa Ousseini, veuillez nous rappeler les raisons ayant présidé à la création du Forum africain du film documentaire de Niamey.

L'idée du Forum m'a été inspirée par la nécessité de combler le vide laissé par Jean Rouch et celle de dépasser les complaintes des cinéastes nigériens de la première heure, en mélangeant cinéma et sciences sociales, colloques et expositions, ateliers de formation et spectacles vivants.
Je ne voulais donc pas d'un festival classique de cinéma mais d'un cadre permettant l'initiation et la formation non académique des jeunes en vue de la relance du cinéma. On s'intéresse, pour cela, à des gens qui n'ont jamais touché à une caméra.
La 1ère édition du Forum date de décembre 2006 ; placée sous le thème "Le Niger entre réalités et fantasmes", elle nous a permis de recenser 156 films du Niger et sur le Niger. Elle a aussi permis aux cinéphiles nigériens de voir un film comme Au bout du monde, le pays touareg dans lequel on s'adonne à du ski en plein désert.
L'autre idée m'ayant conduit à la création du Forum est celle de favoriser l'ouverture du "Centre de documentation audiovisuelle Jean Rouch de Niamey" qui est en chantier et qui permettra de numériser et conserver les images nigériennes.

La 3ème édition du Forum africain du film documentaire a été placée sous le thème de "Cinéma, transe et possession" : pourquoi le choix d'un tel thème ?

En fait, le choix de nos thèmes est fonction de la disponibilité des films et des conférenciers car c'est la particularité du Forum ; cette approche nous permet de faire le point de la recherche nigérienne sur les sciences sociales et d'amener les Nigériens à s'approprier ainsi de leur patrimoine. Il y a aussi mon intérêt et ma mission d'intellectuel, celle du sociologue et du cinéaste, de relativiser le phénomène de la possession qui est un trait de civilisation.

À quelles nécessités répond l'organisation de colloques sur le même thème, en marge du Forum ?

Vous savez bien que, chez nous, l'université est souvent tenue en marge de la vie culturelle ; or, le Forum permet de faire la jonction entre sciences sociales et audiovisuel.

Certains reprochent au Forum de faire une fixation sur l'œuvre et l'enseignement du regretté Jean Rouch : qu'y répondez-vous ?

D'une manière générale et quand on veut inscrire son action dans la durée, on s'en tient à ses objectifs. En l'occurrence, ces reproches sont le fruit de l'ignorance ! Comme vous le savez, il n'y a pas de générations spontanées, en cinéma comme ailleurs et Jean Rouch est une référence universelle que le Niger a eu la chance d'intéresser et dont nous nous revendiquons de l'enseignement. Au demeurant, Velasquez disait qu'il n'ya pas de maîtres sans disciples ; or, je suis un des disciples de feu Rouch.

L'estampille ethnographique voire "passéiste" ainsi accolée au Forum est-elle, à la longue, compatible avec l'ouverture sur les préoccupations et réalités africaines actuelles ?

C'est encore un procès d'intention qui ne repose sur rien d'autant qu'un thème comme celui de la 2ème édition du Forum (Hommage à Sembène Ousmane) est loin de l'ethnographie. Quoi qu'il en soit, c'est à dessein que je préfère le film documentaire - qui autorise les décors réalistes et naturels plutôt que les coûteux décors de studio qu'on n'a pas les moyens de re-créer - et, croyez-moi, il n'y a pas ici d'éloge d'un passé révolu comme le prouve le film lauréat de la 3ème édition du Forum (Pour le meilleur et pour l'oignon de Elhadj Sani Magori).

Outre la projection des documentaires sélectionnés, nombre d'ateliers d'écriture et de réalisation cinématographiques se tiennent chaque année en marge du Forum africain du film documentaire : quel engouement suscitent-ils auprès des amateurs et des cinéastes en herbe et, surtout, quels en sont les impacts sur le devenir même du cinéma nigérien ?

Je constate qu'on avait, malgré le froid de décembre, 400 à 5OO cinéphiles par soirée. Mieux, de nombreux jeunes avaient présenté leurs œuvres à la première édition du Forum ; de fait, le forum est un lieu de révélations de talents formés sur le tas, en trois ans. Pour ce faire, nous avons créé cette année le prix Oumarou Ganda pour cinéastes débutants. Du reste, l'un des objectifs du Forum est, non de former des chômeurs, mais d'amener des agronomes, ingénieurs, professeurs, etc. à s'intéresser au cinéma, à devenir cinéastes.
Quant à l'impact du Forum sur le devenir du cinéma nigérien, il va de soi car, dit-on, le capital humain est le capital le plus précieux ; surtout que, grâce aux trois cents millions (300 millions) de francs CFA que l'État s'engage à injecter dans le cinéma, les jeunes formés par le Forum auront fort à faire.

Dans le même ordre d'idée, il a été décidé que les stagiaires de l'atelier de réalisation doivent "accoucher" de dix films à projeter lors de la 4ème édition du Forum : de quels appuis disposeront-ils pour cela ?

Le forum a passé une Convention de formation avec l'État ; dans cette optique, le Ministère nigérien des Arts et de la Culture, chargé de la Promotion de l'Entreprenariat artistique, nous a attribué un local, du matériel et un fonds privé - alimenté par des entreprises comme AREVA, etc. - a été créé pour aider à la production cinématographique nationale. Ça bouge et on ne peut rien faire contre les gens et sans eux non plus mais le cinéma nigérien s'en ressent de notre travail.

Quels enseignements tirez-vous, en définitive, de la 3ème édition du Forum africain du film documentaire ?

L'enseignement principal, sans tomber dans l'autosatisfaction, c'est d'avoir amené l'État du Niger à inscrire une ligne de crédit de trois cents millions de francs CFA dans son budget en faveur du cinéma. L'enseignement principal, c'est donc que notre action convainc notre propre pays et que cette inscription budgétaire va nous permettre de mobiliser davantage l'aide extérieure en faveur du Forum et du cinéma nigériens.

Le cinéma nigérien - dont on dit qu'il est en crise ou en léthargie - est à nouveau l'objet de sollicitudes de l'État : en votre triple qualité de cinéaste, ancien ministre de la Culture du Niger et, aujourd'hui, directeur du Forum, quelle peut être, selon vous, l'articulation aide publique/initiatives privées comme le Forum la mieux à même de relancer le cinéma nigérien ?

Analysons les raisons de la léthargie : les cinéastes étaient pour la plupart autodidactes et les financements étaient publics. Le temps et l'option libérale des années 90 ont fait leur œuvre. C'est pourquoi il faut susciter des vocations, former des gens et trouver les financements. Maintenant, il y a même l'approche Genre qu'il faut encourager.
Je vous révèle par ailleurs que le Chef de l'Etat voulait que les 300 millions de francs CFA inscrits au budget de l'Etat servent à marquer le retour du Niger aux Journées Cinématographiques de Carthage et au Fespaco plutôt qu'à l'achat de matériel ciné. En fait, la balle est à présent dans le camp des réalisateurs et producteurs. On a avancé et j'ai toutes les raisons de croire au succès de l'aventure surtout en voyant que les films de Elhadj Sani Magori et Malan Saguirou sont de plus en plus diffusés hors du Niger. C'est vrai que c'est en forgeant qu'on devient forgeron.

Enfin, quels seront les innovations et le thème de la 4ème édition du Forum prévue en décembre 2009 à Niamey ?

La 4ème édition du Forum aura pour thème le cinquantenaire du cinéma africain qui sera commémoré en décembre 2009, un mois durant. Mais, à cause des élections générales prévues en 2009 au Niger, le 4ème Forum sera plutôt organisé en octobre 2009. Pour ce faire, la Cinémathèque française nous a promis le prêt de copies de 50 films (dont il négociera les droits avec les ayants droit) et Cultures France apportera aussi sa contribution.
La principale innovation sera la projection de films réalisés par des jeunes filles et femmes cinéastes formées ou recyclées dans le cadre même du Forum. Il y aura, éventuellement, la célébration du centenaire du cinéma.

Sani Soulé Manzo

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