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Teuss Teuss, de Hubert Laba NDAO
Les beaux quartiers, sous l'air du sida
critique
rédigé par Thierno Ibrahima Dia
publié le 14/01/2009
Thierno I. Dia
Thierno I. Dia
Hubert Laba NDAO
Hubert Laba NDAO
Karmen Geï de Jo GAÏ Ramaka (2001)
Karmen Geï de Jo GAÏ Ramaka (2001)
Ramaka
Ramaka
Teranga Blues de Moussa SÈNE Absa (2007)
Teranga Blues de Moussa SÈNE Absa (2007)
Moussa SENE Absa
Moussa SENE Absa
L'appel des arènes de Cheikh Amadou Ndiaye (2006)
L'appel des arènes de Cheikh Amadou Ndiaye (2006)
Cheikh A. Ndiaye
Cheikh A. Ndiaye
Charles Foster dans Moytuleen ! de Ben Diogaye Bèye, 1996
Charles Foster dans Moytuleen ! de Ben Diogaye Bèye, 1996
Ben Diogaye BEYE
Ben Diogaye BEYE

Après des études de droit à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, plusieurs formations, dont une de 6 mois dans l'école de Pape Badara Seck et une autre au Média Centre de Dakar, Hubert Laba NDAO signe ici son premier long métrage. Présenté au FESPACO 2007 à Ouagadougou, ensuite en sélection officielle au Festival International du Film de quartier de Dakar 2007, Teuss Teuss a été financé et produit pour être un téléfilm ; cela se voit dans sa forme.



Le héros c'est Pape Sy, sémillant patron d'une société de communication qui tombe amoureux de son mannequin phare, la belle et rebelle Absa. La farouche a beau éviter de foncer dans le filet, elle n'en finit pas moins par tomber dans l'escarcelle du frétillant Pape qui accumule les conquêtes.

À l'époque du Sida, un tel comportement sexuel (la logique de tableau de chasse) comporte un risque. Le réalisateur réussit à entretenir un subtil suspens autour de la séropositivité ou non du héros, joué par le talentueux Ibrahima MBAYE. Cette intrigue secondaire parasite néanmoins le film car elle vient prendre le pas sur la psychologie de la relation amoureuse de Absa qui est ballottée au sein de son couple et dans sa cellule familiale. Fille unique, ses parents entretiennent une curieuse relation sado-masochiste au milieu de laquelle sa meilleure amie, Mintou, joue le rôle de maîtresse de chant. En effet, Mintou fait jouer les violons à Dakar et non pas à Johannesbourg, car pour elle le mariage (quelle qu'en soit le prix) est une obligation pour une femme, qu'importe le prix à (faire) payer.

Des dialogues en cristal

Beaux décors, belles gueules, portrait d'une génération et film très urbain, Teuss Teuss fait la part belle à de jeunes acteurs dont certains se sont déjà imposés. Ainsi, Ibrahima Ismaïla Mbaye a joué entre autres dans Karmen de Jo GAÏ Ramaka (2001), Teranga Blues de Moussa SÈNE Absa (2007), L'appel des arènes de Cheikh Amadou Ndiaye (2006). Parmi le casting, d'autres acteurs arrivent lisses au cinéma comme le rappeur Xuman (du groupe Pee Froiss). Parmi les vétérans Charles Foster qui a fait les beaux jours de la télévision, du théâtre et qui demeure assez rare au cinéma : Moytuleen ! (de Ben Diogaye Bèye, 1996), Teranga Blues (2007), entre autres. Mame Ndoumbé DIOP, qui joue sa femme, interprétait déjà les rôles d'épouses et mères dans Guelwaar de Sembène (1992) et Faat Kiné (1999) de Sembène aussi.
Néanmoins, les acteurs ont parfois du mal à se dépêtrer de situations où l'émotion visuelle est gâchée par un excès de dialogues. Pourtant les dialogues sont par moments finement ciselés, bourrés d'humour, mordants et efficaces. Hubert Laba Ndao (qui signe le scénario et les dialogues, en complicité avec Alain Léandre Baker) a des qualités indéniables d'écriture.

Comme pour le film Teranga Blues (Moussa SÈNE Absa), le choix de tourner en langue française est cependant regrettable, nonobstant la qualité de diction des acteurs. Dans le contexte sénégalais, cela est quelque peu anachronique (le français n'est pas une langue vernaculaire au Sénégal, comparé à des pays comme le Burkina ou le Cameroun), même si Hubert L. Ndao place son action dans un milieu très occidentalisé. Si la langue du film est en français, le titre est en wolof et signifie "problème", "tracas", "turpitude".

Un grand soin cinématographique

À trop vouloir prétendre à l'universel, Teuss Teuss, (tourné en vidéo Haute Définition, avec une belle photographie), cède à un certain maniérisme et des clins d'œil trop appuyés à une esthétique de télénovelas dont la moindre des manifestations est une musique de fond - entêtante comme dans les téléfilms et séries télévisées - qui vient ruiner tout le grand soin cinématographique mis dans Teuss Teuss. Au lieu de souligner les jolis moments du film, la musique est présente presque tout le temps. Elle se conjugue ici avec un mauvais son d'ambiance qui happe tout : la conversation de Absa avec le chauffeur de son père, dans la voiture en train de rouler, est difficilement audible.

Reflet d'une volonté de cinéma qui veut s'affranchir des carcans solides mis autour des cinémas africains (qui se limiteraient aux thèmes : tradition/modernité, la vie au village), Teuss Teuss s'arrête cependant au milieu du gué. Tout en adoptant des modèles improbables (téléfilms, histoire à l'eau de rose bourgeoise), le rythme est parfois injustement lent et l'histoire principale (un amour contrarié) un peu trop mince. Le thème des infections sexuellement transmissibles infléchit la romance et prend le réalisateur au piège d'une banale campagne publicitaire contre le sida. La coopération française (qui a soutenu cette production) a mis ces dernières années l'accent sur des films qui partent en croisade contre le sida.

Un auteur à surveiller

Pourtant, le film laisse poindre une vraie âme d'auteur, avec un réalisateur qui a des choses à dire et de fort jolie manière, sans encore arriver à se construire une identité propre et entière pour ce premier long métrage.

Le public de Quintessence - Festival de Ouidah 2009 (Bénin) a décerné son Python Children à Teuss Teuss. Au 9ème FIFQ (Festival International du Film de Quartier de Dakar, 12-17décembre 2007), il avait aussi décroché le meilleur des prix : celui des spectateurs, l'Ébène du Public. Un public qui, il est vrai, n'a plus vraiment de salles où se construire une vision critique des images. Un public qui se nourrit des productions télévisuelles brésiliennes, américaines et mexicaines (l'Afrique et l'Europe se partageant des strapontins). À l'image de Sembène Ousmane avec Faat Kiné ou Youssef Chahine avec Le chaos (2007), Hubert Laba NDAO vient nous rappeler avec ce film que les réalisateurs peuvent aussi être sous le charme de cette esthétique télé. Il fait néanmoins partie des cinéastes avec qui il faudra compter.

Thierno I. DIA

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