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Entretien avec Sotigui Kouyaté, acteur
"Les hommes d'affaires africains doivent investir dans le cinéma"
critique
rédigé par Fatou Kiné Sène
publié le 21/01/2009
F. Kiné Sène
F. Kiné Sène
Sotigui Kouyaté
Sotigui Kouyaté
Little Senegal, de Rachid Bouchareb, 2001
Little Senegal, de Rachid Bouchareb, 2001
Rachid Bouchareb
Rachid Bouchareb
Little Senegal
Little Senegal
Little Senegal
Little Senegal
Little Senegal
Little Senegal
Little Senegal
Little Senegal
Little Senegal
Little Senegal
Little Senegal
Little Senegal
Sembène Ousmane (1923-2007)
Sembène Ousmane (1923-2007)
Mamadou Konté (1948-2007)
Mamadou Konté (1948-2007)

Aujourd'hui ce qui manque pour que le cinéma africain devienne une industrie, ce ne sont ni les hommes, ni les thèmes, ni l'humour. Pour l'acteur burkinabé d'origine malienne et héros du film Little Sénégal, Soutigui Kouyaté, qui a fait ce constat lors des Rencontres cinématographiques de Gorée (15 au 18 novembre 2007), les hommes d'affaires africains doivent prendre conscience que le cinéma est une grande industrie.

Africiné : Quelle est la place du réel dans le film Little Sénégal de Rachid Bouchareb ?

Sotigui KOUYATÉ : Ce que l'on recherche dans un travail artistique, c'est la crédibilité. Cela va nous emmener vers un autre débat : celui du rôle de l'acteur, de son devoir, etc. Mais, le personnage ne peut pas être un artifice. Le personnage ne doit pas être superficiel, encore moins irréel. Lorsque je ne me retrouve pas dans un rôle, je ne peux pas l'accepter. Donc, je dois me sentir proche profondément de mon personnage. Et surtout pour ce qui est de ce thème. Je crois que tout Africain est conscient et soucieux de ce que nous avons été, de ce que nous sommes et de ce que nous serons. Un Africain ne peut pas être insensible devant un thème pareil. Parce que nous vivons cette réalité jusqu'à nos jours et nous la vivrons longtemps.

Peut-on dire que c'est votre histoire que vous avez interprétée dans ce film ?

Mais oui, parce que nous vivons cette histoire d'une manière ou d'une autre. Parce que nous continuons à appeler certains des Afro-américains ou Américains-noirs. Qu'est-ce-que cela veut dire ? Ce sont des Noirs. Ce sont des Africains. Pourquoi le terme "Afro-américains" ? Est-ce qu'il y a des Américains noirs qui existent ? Les Américains qui sont-ils ? Ils viennent d'où ? Nos ancêtres ont été emmenés contre leur gré (…). Ils ont perdu leur identité, leurs enfants sont déracinés. Et ces gens, je les côtoie. Et je vois qu'ils ne cherchent pas à se comprendre. Ils sont des victimes. Et d'une certaine manière, ils nous rendent responsables en partie (et en collaboration avec le colonisateur) de cet état de fait. Ils ne savent pas où ils vont.

Donc, c'est péjoratif selon vous de parler d'Afro-américains ?

C'est injuste. C'est une dénomination qu'on leur donne mais ils sont des Africains déracinés. Il y a quelque chose à faire. Parce qu'ils n'ont plus de repères. Là où ils sont, ils sont acceptés sans être aimés. Et nous autres Africains les considérons comme des étrangers. Ce n'est que par l'amour, l'humanité que l'on connaît en Afrique, que l'on peut les aider. En tant que homme de tradition, griot, je défendrais toujours nos racines.

La volonté de défendre les racines africaines ne pourrait-elle pas davantage s'affirmer dans un cinéma africain, envahi par des productions étrangères ?

Vous avez touché quelque chose de très épineux. Qu'est ce qu'on montre de l'Afrique : une Afrique malade, affamée, mendiante. Qui arme les Africains ? C'est l'Occident. Les armes ne sont pas fabriquées chez nous. Qui endette les Africains ? C'est l'Occident. Qui affame les Africains ? C'est l'Occident qui n'aime pas le poisson et qui ne quitte pas le bord du fleuve. Une indépendance avec la dépendance économique est-elle une indépendance ?
Il ne faut pas se limiter seulement au cinéma sénégalais. Cela va au-delà même du Sénégal qui a fait ses preuves. Les Sénégalais font partie des pionniers du cinéma africain avec le Niger et quelques Burkinabés. C'est pourquoi, on ne peut passer sous silence la perte douloureuse de notre cher Ousmane Sembène qui certes est mort mais il restera gravé dans nos mémoires, pour toutes ses luttes engagées à la recherche de cette identité africaine. Sembène ne travaillait pas en tant que cinéaste sénégalais mais africain. Il s'activait pour l'Afrique. Qu'il repose en paix. Est-ce qu'il existe un cinéma africain, je dirais oui, parce qu'il y a des hommes pour le secteur. Lorsqu'il y a des hommes pour, il y a la matière pour cela.

Et à votre avis, la matière est concrètement liée à quelles questions ?

Ce ne sont pas les thèmes qui nous manquent, ni les œuvres, ou les hommes courageux, intelligents, encore moins l'humour. Nous avons tout cela. Qu'est ce qui nous manque ? C'est le fer qui coupe le fer. Il faut admettre que ces films que l'on nous fait consommer de l'Amérique ou d'ailleurs, ce sont des divertissements qui sont des industries aujourd'hui. Et le cinéma est une industrie ; sauf si l'on veut parler de films ethnologiques ou des documentaires ou reportages. On ne peut pas compter sur l'extérieur pour faire exister ce que l'on veut appeler une véritable industrie du cinéma africain. Ce qui manque pour établir une industrie cinématographique africaine, c'est la production. Lorsqu'on parle de la distribution, elle n'est qu'une seconde étape. Quand une nourriture est bonne, on la mange, c'est ainsi que marche le cinéma. Les distributeurs prennent les meilleures productions. Mais pour cela, il faut que le cinéma en Afrique soit considéré comme une industrie. Nous n'avons pas que des pauvres chez nous. Les Africains font des investissements dans les usines et autres. Il faut que nos hommes d'affaires prennent conscience que le cinéma est une grande industrie. Et que nous avons beaucoup à apprendre à l'Europe. Il faut que ces hommes d'affaires africains nous aident à nous faire consommer par l'Occident.


Le travail de Sembène dans le cinéma africain semble marquer nombre de ses compatriotes…

Sembène est quelqu'un que j'ai aimé, que j'aime et que j'aimerai pour toujours. Parce qu'il a toujours agi et parlé pour toute l'Afrique. Il m'a beaucoup honoré. Parce que pour le film Samory, qu'il avait l'intention de tourner, il était venu chez moi au Burkina Faso pour me proposer le rôle principal. C'est lui le doyen comme je l'appelle. Et en Afrique, le droit d'aînesse est sacré… Malheureusement, je venais tout juste de donner ma parole au metteur en scène Peter Brook pour le tournage d'une autre pièce de théâtre. Donc je ne pouvais pas trahir ma parole pour accepter l'offre de Sembène, car pour moi la parole est plus importante que ma signature. Sembène a compris cela. Et il l'a respecté. Cela a été un grand honneur pour moi (…). Lorsqu'il était venu en France pour présenter son dernier film Moolaadé à l'Unesco, il m'a fait parvenir des documents de son film dans ma loge. Et à ma grande surprise, il est venu par la suite me saluer, en compagnie de l'Ambassadeur du Burkina Faso, qu'il a forcé à l'accompagner. Je ne peux jamais oublier cela.
Sembène est immortel. Dans notre silence, nous lui rendons toujours hommage. Ousmane Sembène est un homme qui m'a beaucoup marqué et qui a marqué la vie de tous les Africains conscients du devenir de l'Afrique. Il reste un porte-drapeau de l'Afrique. Il le restera pour toujours. Parce qu'il est immortalisé par ses écrits, ses images et par la mémoire. Je lui dis merci. J'espère qu'il y aura des Africains qui se montreront dignes de lui.

D'aucuns vous prennent pour un Malien, alors que vous dites que vous êtes Burkinabé. Cette confusion a-t-il toujours prévalu ?

Mes parents sont des Maliens émigrés au Burkina. Je suis né à Bamako. J'ai grandi au Burkina. J'ai des origines au Sénégal avec des frères qui vivent ici. Je suis citoyen de tous les pays d'Afrique. Je suis simplement Africain.

Certains observateurs sont allés jusqu'à vous confondre avec le promoteur du Festival Africa fête, feu Mamadou Konté…

Souvent dans les avions, des gens viennent me saluer en me disant "Monsieur Konté". Même mon propre fils a un jour appelé "Papa" Monsieur Konté qui se trouvait de dos, croyant être en face de son père. Un des collaborateurs de Konté a voulu que je le rencontre, mais Dieu en a décidé autrement. Qu'il repose en paix, amen !

Propos reccueillis par
Fatou Kiné SENE

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