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Jean-Michel Kibushi, réalisateur de films d'animation
"Il faut combattre les clichés par la production"
critique
rédigé par Fortuné Bationo
publié le 27/01/2009
Fortuné Bationo
Fortuné Bationo
Jean-Michel Kibushi
Jean-Michel Kibushi
Le Crapaud chez ses beaux-parents, 1991
Le Crapaud chez ses beaux-parents, 1991
Prince Loseno, 2004
Prince Loseno, 2004
Ngando
Ngando

Avec Jean-Michel Kibushi Ndjate, le cinéma d'animation agite le drapeau d'un conte au village, où la vertu triomphe au sommet des proverbes. Ses différents films projetés au Festival international du film francophone de Tübingen (du 11 au 19 novembre) ont révélé au public une nouvelle approche du cinéma d'animation. Entretien.

Vous êtes réalisateur de films d'animation. Quels sont les obstacles qui gênent son essor en Afrique ?

Le cinéma d'animation est un genre qui est très peu connu en Afrique. Je dirai que les réalisateurs en activité se comptent sur le bout des doigts. C est un cinéma assez complexe, qui est différent du documentaire et de la fiction. Faire le documentaire et la fiction, c'est travailler avec des êtres humains, des êtres qui bougent, qui ont la vie, tandis que dans l'animation, il faut donner la vie à ce qui n'a pas de vie. Vous comprenez que pour quelque chose qui n'a pas de vie, comme un dessin, une marionnette, il faut une technique particulière, un processus particulier, pour pouvoir donner du mouvement à une ligne qui n'a pas de vie. Donc on filme image par image et cela est compliqué parce qu'il n'y a pas d'écoles de formation sur le cinéma d'animation en Afrique noire. Il n'y a pas de cadre de développement et d'outils mis à la disposition, soit des formateurs, soit de gens qui ont envie de faire du cinéma d'animation.

Malgré toutes ces difficultés, vous avez quand même décidé d'embrasser ce métier. Pourquoi ?

Chacun sa passion. On ne peut pas dire que ceux qui font la fiction ou le documentaire produisent autant. Bien sûr, c'est relatif. Je pense que l'animation, si d'autres pays arrivent à le faire, pourquoi pas nous les Africains ? Donc on ne doit pas reculer devant les difficultés, les obstacles. Il faut arriver à étudier, à maîtriser la technique, et nous exprimer aussi par ce biais au lieu de continuer toujours à consommer des œuvres étrangères. Nous avons des contes, des légendes, des héros, on doit les valoriser, non seulement en prise de vues réelles, par des documentaires et la fiction, mais aussi en animation.

Vous avez évoqué l'absence d'écoles de formation. Comment êtes vous rentré dans ce métier ?

C'est parce que j ai la passion, j ai cherché à travailler pour contourner les obstacles en étudiant à Kinshasa, en faisant l'art dramatique et le cinéma. J'ai pris comme option, comme engagement, de développer ce secteur.

Vous parliez tantôt de légendes, de leçons de sagesse à valoriser. Est-ce que le cinéma d'animation pourrait être le canal idéal pour la sauvegarde de nos traditions ? On note beaucoup cette référence à la tradition dans vos films.

Je crois cela possible mais la production est minable. C'est infime. Il faudrait former les gens pour qu'il y ait diversité de techniques, abondance de productions comme nous en avons avec le documentaire et la fiction. C'est aussi un moyen pour vraiment sauvegarder le patrimoine culturel et raconter, mettre nos histoires, nos légendes et notre sagesse traditionnelle à la disposition non seulement de l'Afrique, mais du monde entier ; de la même manière que nous consommons les mangas japonais, les films d'animation européen et américain. Les Simpson par exemple, c'est une série américaine mais qui marche bien. L'animation n'est pas seulement vouée à la tradition, elle est aussi moderne. Il y a l'exemple de la publicité animée en Afrique. On ne trouve que des fesses et des ventres qui bougent pour les produits consommables. Il faut varier et diversifier.

L'enjeu est d'autant plus important que l'univers du dessin animé africain est investi par des regards extérieurs qui jouent à renforcer des clichés. Prenons le cas de Kirikou….

Là c'est le point de vue d'auteur. Il faudrait que nous arrivions à trier, à faire face à certains clichés. Et les clichés, nous ne pouvons les combattre que dans la production. Je ne voudrais pas me prononcer sur les œuvres des autres parce que mes propres œuvres, j'aimerai encore les améliorer, faire mieux et ce n'est qu'à ce prix là que l'on peut arriver à comparer éventuellement les œuvres. Je ne dirai pas que c'est simple d'émettre un jugement ou de faire une critique. La critique est aisée comme on dit mais l'art est difficile. Il faudrait qu'on arrive à travailler, à produire. Il faut que chacun joue son rôle et c'est ça le vôtre aussi, par les écrits, par les observations, l'analyse. Mais au delà de cette analyse, nous devons arriver à créer. Et tant que nous ne créons pas, on restera faible et démuni. Parce que ceux qui ont les moyens et le pouvoir de créer continueront à prendre la suprématie et à nous imposer ces clichés et à les perdurer dans les esprits des uns et des autres, des nouvelles générations.

En général, quelle est la réaction des enfants africains au cours des projections de vos films ?

Cela ne pose pas de problème parce que naturellement, c'est leur propre image, leurs propres histoires qui sont vues à l'écran et c'est assez rare. Dans le cadre de la caravane du Sankuru, du cinéma mobile, ce que vous appelez le cinéma ambulant en Afrique de l'ouest, on a eu beaucoup de succès parce que ce sont des contes de là-bas, des contes africains. Les gens se retrouvent, se reconnaissent. Donc il faudrait qu'à l'échelle africaine ou internationale, que nous puissions arriver aussi à développer des projets beaucoup plus pertinents, audacieux pour résister et pour donner aussi notre contribution au patrimoine culturel mondial.

Vous êtes l'initiateur justement d'un cinéma mobile en République démocratique du Congo. Quels sont vos sentiments en voyant les populations prendre d'assaut cette plateforme ?

L'idée est partie de l'isolement des populations africaines. Donc les gens qui sont à l'intérieur du pays, "les gens de l'intérieur" comme on dit, il a fallu leur donner une certaine ouverture au monde parce que le cinéma est une grande fenêtre à partir de laquelle on peut voir, apprendre, apprécier les choses. Donc je crois que ce cinéma contribue au désenclavement mental et participe aussi au débat démocratique ainsi qu'à l'épanouissement des populations en milieu rural. Donc l'idée est partie de là. Vous savez que l'Afrique a au moins 70% de ses populations en milieu rural. Donc il ne faudrait pas continuer à laisser ces gens dans l'ignorance. Il faut leur donner une certaine ouverture au monde.

Vous avez dit lors des échanges avec le public que vous allez maintenant faire des films qui respectent les standards internationaux. Pourquoi seulement maintenant et non avant ?

Le cinéma est une industrie. Faire du cinéma, ce n'est pas comme faire la bande dessinée où il faut du talent, un crayon, un papier. Même dans un coin vous pouvez arriver à faire vos dessins et chercher un éditeur bien sûr par la suite. Le cinéma, c'est une industrie et chaque chose a un début. Moi j'ai commencé par un début, c'est-à-dire à apprendre. Il ne faut pas oublier que ces œuvres que vous avez vues ont fait le tour du monde et ont eu beaucoup de succès. Le crapaud chez ses beaux parents, depuis 1990, a bénéficié de plus de 500 projections à travers le monde.
Je parle de standards internationaux dans le sens où, en amont, quand on prépare un projet, il faut impliquer les distributeurs et beaucoup de partenaires. Il faut chercher à vendre le film et non pas seulement pour le plaisir de dire : j'ai fait un film. Parce que tout le monde peut en faire et le film n'a pas de vie. Il y a des films qui se terminent dans de petits salons, dans de petits cercles amicaux. Moi, ce n'est pas ce que je vise. Donc il faut une certaine organisation. Faire un long métrage encore c'est beaucoup plus complexe dans la technique qui est la mienne. Donc, il faut associer beaucoup de partenaires qui ont aussi une renommée, qui ont aussi une assise pour permettre à cette œuvre de faire une bonne carrière.
Mes premières œuvres, je ne peux pas dire qu'elles ont eu cette chance ou cette opportunité parce que quand tu commences comme jeune réalisateur, il faut du temps pour se confirmer, améliorer techniquement le travail……..

Un mot sur votre présence ici ?

Les pays du nord font un effort pour aider ce jeune cinéma. Ce que je peux ajouter, Il faut reconnaître que les pays africains ne sont pas organisés et ne contribuent pas vraiment à l'encadrement des structures culturelles ainsi que des hommes de culture. Ils sont préoccupés par d'autres choses et d autres intérêts mais ils oublient que la culture permet de donner la dignité à une nation, à un peuple, à un pays. C est là tout mon regret. En Afrique noire, du nord au sud, de l'est à l'ouest, la situation est presque la même.

Interview réalisée à Tübingen par Fortuné Bationo

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