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Entretien avec Missa Hébié sur son premier long métrage, Le Fauteuil
Le Fauteuil, premier long métrage du "Commissaire de Tampy"
critique
rédigé par Emmanuel Sama
publié le 18/02/2009
Missa Hébié
Missa Hébié
Naraogo Sawadogo
Naraogo Sawadogo

Bien connu pour sa série Commissariat de Tampy Missa Hébié vient de boucler péniblement le tournage de son premier long métrage : Le Fauteuil. Il nous parle du film et des difficultés de sa production.

Africiné : Le titre de votre premier long métrage laisse songeur : Le Fauteuil. De quel fauteuil s'agit-il?

M.H. : Le fauteuil est le symbole de la responsabilité, du poste de direction qu'on attribue à quelqu'un pour administrer, pour gouverner la chose publique.
Nous savons tous que les fauteuils - qu'ils soient présidentiels, ministériels, ou de direction - sont des enjeux pour lesquels les gens se bousculent, se font des crocs-en-jambes, consultent les marabouts…
Qu'est ce qu'on ne fait pas pour occuper un poste et quand on finit par l'avoir ce qu'on en fait est souvent contraire aux missions de responsabilité que ce poste assigne à son titulaire et même contrairement à ce qu'il a déclaré en faire si on le lui attribuait.

Africiné : C'est-à-dire que votre film traite de la gouvernance, des dirigeants de nos États et de nos sociétés ?

M.H. : Le Fauteuil traite en effet de la bonne gouvernance qui est aujourd'hui un thème d'actualité dont les gouvernants en ont fait une chanson. Ils clament partout qu'ils veulent lutter contre la corruption et contre tous les maux qui minent nos sociétés.
Nous, nous avons essayé de faire un film autour de la gestion d'une grande société minière sous la houlette d'un directeur général qui fait ce qu'il veut.
Il incarne la mauvaise gouvernance. Le gouvernement décide donc de se séparer de ce directeur et le remplace par sa directrice des études et de la planification jusque là brimée par ce directeur et ses hommes de main dans la société. Elle a pour mission de redresser la maison.

Africiné : La dame réussira-t-elle sa mission ?

M.H. : Je ne vais pas résumer tout le film, il faudra que les gens aillent le voir pour connaître la fin. Je peux vous dire néanmoins qu'elle prend sa mission de redressement de la société très au sérieux. Sa famille, mari et enfants en prennent un coup ; les problèmes s'enchaînent au niveau de la famille et du service. Il y a aussi ceux qui sont réfractaires aux changements, ces gens qui ne veulent pas être dirigés par une femme.

Africiné : L'une des causes des tentations au détournement c'est l'extrême précarité que vit l'entourage avec les nombreuses sollicitudes les gestionnaires de biens publics sont l'objet : ils sont harcelées. Abordez-vous ces aspects ?

M.H. : Bien sûr ! On ne peut pas faire un film pareil sans montrer les différentes sollicitudes. L'ancien D.G tente de noyer son amertume dans l'alcool et là il dit lui-même : on commence à prendre un peu, après un peu encore et finalement ou creuse des trous dans les caisses et bonjour les dégâts. Or, avec un peu de bon sens on peut arriver à juguler les nombreuses sollicitudes quand on est au pouvoir.

Africiné : Quel regard posez-vous sur la jeunesse et ses problèmes dans ce film ?

M.H. : On ne peut traiter entièrement des problèmes de jeunesse dans un film de ce genre. Nous avons abordé la jeunesse à travers les enfants de la nouvelle directrice générale. Son fils aîné va se retrouver à un moment enrôlé dans une bande de jeunes qui se disent fils de bourgeois. La mère, gérant sa famille d'une poigne de fer, ne donne pas d'argent à la volée à ses enfants. Son fils va donc lui en voler et voler de surcroît sa voiture de fonction rien que pour taper dans l'œil des autres, poussé par sa copine, une enfant gâtée. Un accident va survenir et c'est la catastrophe. Le reste vous le verrez dans les salles.

Africiné : Au plan de la production de votre film Le Fauteuil, de quels soutiens financiers vous avez bénéficiés ?

M.H. : J'ai fait ce film sans de vrais moyens financiers. C'est un film que j'ai fait avec le cœur et mes propres moyens. Nous avons écrit le scénario, Noraogo Sawadogo et moi. Nous écrivons toujours ensemble que ce soit la série Commissariat de Tampy ou L'AS du Lycée qui n'est pas encore diffusée. Le thème était bon et l'histoire nous a paru très bien emballée.
N'ayant aucun moyen, j'ai pris le risque d'hypothéquer ma maison auprès d'une banque de la place. Avec cet argent (10 millions) plus mes petites économies je me suis lancé dans la production du film. Cet argent s'est vite volatilisé. À ce stade, à deux jours de fin de tournage (NDLR 1er déc.), je m'interroge à savoir comment je vais payer la deuxième tranche des cachets de mes techniciens et comédiens. C'est ma lutte actuelle. J'ai passé pratiquement ma journée à la banque pour obtenir une rallonge sur le prêt. C'est pour dire que je n'ai reçu aucun radis de qui que ce soit.

Africiné : Qu'est ce qui selon vous peut véritablement soutenir la production de notre pays ?

M.H. : Je ne sais pas. À mon niveau, j'ai fait tout ce qu'il fallait pour obtenir de l'argent. J'ai envoyé une cinquantaine de lettres aux institutions, aux ministères, aux ambassades mais je n'ai reçu aucune réponse positive. Donc je ne sais plus à quel saint il faut se vouer pour produire des films au Burkina Faso.
Nous avons d'énormes problèmes. Il est vrai que je n'ai pas pris le temps de chercher les financements extérieurs.

Africiné : Croyez-vous que les financements extérieurs vont perdurer avec la crise financière internationale qui va certainement accentuer la tendance à la baisse qu'on constate depuis un certains temps ?

M.H. : Les financements extérieurs deviennent de plus en plus difficiles à obtenir, ils sont d'ailleurs de plus en plus rares et même que le fonds Image Afrique a suspendu ses financements. Il reste l'OIF qui a aussi de très longues procédures. Si nous voulons faire des films régulièrement au Burkina Faso, il nous faut trouver d'autres moyens. Malheureusement sur la place il n'y en a pas. Cela revient à dire qu'il faut se débrouiller avec ses propres moyens en espérant qu'au niveau des guichets le film marche un peu pour rembourser ses dettes. Dans mon cas si le film ne marche pas, je peux me retrouver sans logement et ce n'est pas grave si je vais aller en location comme bon nombre de gens.

Africiné : Avec tous ces problèmes financiers, les moyens techniques réunis pour ce film sont-ils acceptables quand bien même vous tournez en numérique (Haute Définition ou numérique "générique") ?

M.H. : (Rires) Vous savez avec tous ces problèmes, on ne peut pas tourner en 35mm ou en super 16mm qui coûtent très cher. Nous sommes obligés de nous rabattre sur le numérique. Je ne peux même pas tourner en haute définition numérique qui coûte cher par rapport à mes maigres moyens. Je devais louer la caméra, trouver la table de montage en H.D. Je me suis rabattu sur la DVCAM 500 de Jovial Production et tout son matériel de lumière. Le film ne sera pas de la super grande qualité dont je rêvais, mais la qualité sera très acceptable car je disposais de bons techniciens.

Africiné : Les techniciens et les comédiens qui tournent pour Le Fauteuil sont-ils les mêmes que sur tes précédentes productions ?

M.H. : J'ai travaillé avec des techniciens de la TNB [Télévision Nationale du Burkina]. J'ai avec moi Gomina Charles Baba qui fait le cadre et la direction photo. Il est plein d'expérience. J'ai Léonard Soubeiga, plein d'expérience, deux assistants réalisateurs et un ingénieur de son, tous des techniciens compétents.

Africiné : Quels sont les autres appuis dont vous avez bénéficié de la part de la TNB ?

M.H. : Si je dis que la TNB ne m'a pas aidé, ce ne sera pas vrai. J'ai quand même bénéficié des techniciens que j'ai cités, même s'ils sont rémunérés. Même si c'est minime, c'est un soutien. Néanmoins j'aurais souhaité plus.

Africiné : Vous n'avez pas eu de soutien en matériels et …

M.H. : Non pas vraiment ; juste quelques trois lampes qu'ils sont venus chercher et que j'ai été reprendre après et qu'ils sont revenus chercher. Bref ! La TNB c'est comme cela, le matériel est très sollicité et est insuffisant. J'aurais souhaité un soutien matériel plus consistant mais les réalités de la TNB sont ce qu'elles sont.

Africiné : En ce qui concerne la distribution artistique, avez-vous repris les mêmes comédiens que sur vos séries ?

M.H. : J'aime toujours travailler avec de nouvelles têtes, que ce soit pour Commissariat de Tampy ou L'As de Lycée. Au niveau du Fauteuil, j'ai essayé avec un maximum de nouvelles têtes. Bien sûr qu'on rencontre des anciens, mais ils n'ont pas les grands rôles qui reviennent à des nouvelles têtes. C'est ma façon de voir les choses, je sais qu'au Burkina Faso, il y a plein de talents cachés, il faut savoir chercher, les découvrir, et les mettre en scène.

Africiné : J'ai lu le scénario (je vais être un peu indiscret). il me semble qu'il y a un parallèle entre les anciens discours militants d'un passé assez récent et les pratiques actuelles avec en filigrane le souci des instances internationales, des sociétés civiles autour de la bonne gouvernance. Parlez-nous de ce traitement dans le film.

M.H. : La bonne gouvernance a toujours été d'actualité, hier comme aujourd'hui. Nous traitons le thème sous l'angle des actualités. Nous partons de la corruption actuelle que nous vivons au niveau de tous les services pas seulement de notre pays mais de l'Afrique toute entière qui est gangrénée par la corruption.
Nous mettons en scène une dame qui est investie de la mission de redresser une société minière qui a été mal gérée. Elle s'investit comme elle le peut, en se battant contre la corruption, contre les hommes qui refusent de changement, contre tous les maux que nous connaissons dans nos institutions d'État et nos services publics. Je pense que c'est un thème d'actualité et non de du passé.

Africiné : Un dernier mot en l'endroit des sponsors et tous ceux qui peuvent aider le cinéma national.

M.H. : Ce sera encore de lancer un appel fort. C'est peut-être crier dans le désert. On se répète toujours, on ne le répétera pas assez, qu'il faut que les gens pensent à sponsoriser le cinéma burkinabè. C'est à travers le cinéma que le Burkina est connu à travers le monde entier. Quand vous parlez du Burkina, on voit le FESPACO et nos grands cinéastes. C'est-à-dire que la culture cinématographique burkinabè est un reflet, un miroir de notre pays. Il faut que les gens comprennent qu'il faut encourager le cinéma et qu'on ne leur demande de délaisser les grandes préoccupations. Le cinéma est un produit qui s'exporte bien et se vend bien, même si pour l'instant ce n'est pas très rentable pour les cinéastes.
Il faut que les autorités comprennent qu'investir dans le cinéma ce n'est pas jeter l'argent en l'air.

Propos recueillis par Emmanuel SAMA
(Collaborateur DGCN)

Entretien réalisé le Lundi 1er décembre 2008 à Ciné-Neerwaya
Article paru dans S.M.P. (Ouagadougou), janvier 2009.

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