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Entretien de Hassouna Mansouri avec Haïlé Gerima
Haïlé Gerima, cinéaste de la désillusion
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 26/02/2009
avec Tahar Cheriaa aux Journées cinématographiques de Carthage, nov. 2008
avec Tahar Cheriaa aux Journées cinématographiques de Carthage, nov. 2008
Haïle Gerima reçoit le Tanit d'or aux Journées cinématographiques de Carthage, nov. 2008
Haïle Gerima reçoit le Tanit d'or aux Journées cinématographiques de Carthage, nov. 2008
Salome Gerima reçoit l'Etalon d'or au Fespaco, mars 2009
Salome Gerima reçoit l'Etalon d'or au Fespaco, mars 2009

Haile Gerima se définit lui-même comme un "cinéaste indépendant du tiers-monde". Emigré aux Etats-Unis depuis 1968, il a fait des études d'art dramatique (Goodman School of Drama in Chicago, Illinois) puis un master en Beaux-arts à l'Université de Californie. Cinéaste, il est professeur à la Howard University de Washington et membre de la Los Angeles School of Black Film Makers. Ses films travaillent la mémoire de l'esclavage (Sankofa, Bush Mama, Mirt Sost Shi Amit / Harvest 3000 Years) et du colonialisme (Adwa, an African victory). Dans son nouveau film, Teza, il revient sur cette génération d'intellectuels qui a failli à son rêve de construire l'Ethiopie moderne, son pays natal. Primé au festival de Venise et Tanit d'or aux 22èmes Journées Cinématographiques de Carthage, il a ensuite aligné les prix dans les festivals internationaux. Entretien à Tunis avec le critique tunisien Hassouna Mansouri sur sa conception du cinéma et le sens qu'il donne à son engagement.

Les gens pensent que les JCC sont de moins en moins africaines. Êtes-vous d'accord ?
Les cinéastes sont généralement conscients du panafricanisme, et la Tunisie est une partie de l'Afrique. Lorsque vous rencontrez des gens comme Tahar Cheriaa vous rencontrez des gens qui sont les antidotes de l'arabicité confuse des Nord-Africains. Il ne s'agit pas seulement de la Tunisie, mais de l'Afrique du Nord où la plupart sont schizophrènes par rapport aux Africains. Alors, les gens comme Tahar Cheriaa, qui ont été très panafricains, ce que l'on voit dans le film de Ferid Boughedir sur le cinéma africain, montrent que nous avons à décider d'être unis. Dans le climat culturel présent dans toute l'Afrique, même en Afrique du Sud, aucun n'est conscient du lien qu'il a avec les autres. Bien sûr, le problème de l'Afrique du Nord est un peu plus difficile à surmonter. Pour moi, l'Afrique est maintenant dans une confusion totale et continentale. Quand je vois, par exemple, la presse dans ce festival, les journalistes ne sont pas intéressés par l'Afrique, ils sont intéressés par les stars arabes, égyptiennes. Donc, c'est comme si vous veniez du monde des stars d'Hollywood à celui des stars hollywoodiennes arabes. Les cinéastes de l'Afrique subsaharienne sont exclus. Vous vous sentez exclu, parfois même indésirable, en particulier parce que la presse est ignorante. Les journalistes ne se soucient que des cinéastes arabes, des acteurs arabes. Ceci crée un grand fossé entre les gens. Et ce n'est pas sain. Les cinéastes panafricains d'antan connaissaient le contexte et les relations des uns aux autres. Je ne sais pas ce qu'il en est des jeunes générations de cinéastes, notamment tunisiens. C'est l'espoir que vous pouvez avoir. C'est là que vous devez commencer.

Il y a de plus en plus de festivals en Afrique et dans le monde. Pensez-vous que des festivals comme Carthage ou le Fespaco ont toujours la vocation pour laquelle ils ont été créés ?
Mais il n'est pas nécessairement bon d'avoir beaucoup de festivals parce que les films africains sont montrés partout dans le monde. Montrer le film est facile, mais le distribuer, c'est une autre paire de manches, c'est vraiment difficile. Pour moi, la question principale c'est l'absence de distribution du cinéma africain. Vous pouvez aller à des festivals de cinéma, avoir un prix, toute sorte de consécration, mais vous partez sans contrat de vente. Pour moi, ce qui est en train de tuer le cinéma africain c'est l'absence de distribution. Le reste est facile. Tous ces événements cinématographiques en Europe, en Afrique, en Amérique... ne sont que des palabres. Nous ne traitons pas de problèmes sérieux. Le problème c'est la distribution et beaucoup de festivals cela tue la distribution du cinéma africain. Je suis avec Med Hondo à ce sujet : ne pas montrer votre film sans transaction commerciale. Vous ne présentez pas votre film gratuitement en Europe. Nous avons besoin que notre film nous aide à faire un autre film. Donc, pour moi, la prochaine révolution est pour le cinéma africain la distribution, et les infrastructures nécessaires. Donc, pour moi, les festivals ne sont pas une nécessité ; un ou deux où il y a une bonne distribution, mais pas plus. Nous ne sommes pas des missionnaires culturels pour prendre nos films et aller d'un festival à l'autre. Nous avons besoin de savoir comment construire une infrastructure pour chacun des films que nous faisons. Donc, pour moi, c'est une perte de temps de faire tous ces festivals. Je ne veux pas aller à beaucoup d'entre eux, je vais aller à un ou deux, mais après c'est fini.

Teza a été primé à Venise. C'est une satisfaction pour vous, n'est-ce pas ?
En Italie, j'ai pleuré parce que les gens m'ont enfin donné raison quand ils ont applaudi. Certaines personnes de l'équipe de la coproduction sont venues me voir pour me féliciter alors qu'ils n'avaient cessé de s'opposer à moi ! Mais quand vous avez fini un film comme celui-ci, avec toutes ses difficultés, vous êtes guéri lorsque les gens viennent vous dire merci. À Venise, qui se préoccupait de ce qu'on doit lutter ? Les gens ne le savent pas. Je suis trop vieux. Lorsque j'avais vingt-cinq ans ou trente ans, j'aimais courir les festivals pour obtenir des prix, peut-être. Maintenant, je suis vieux, je suis "nam". Ce que je veux, c'est de l'argent pour mon prochain film. Vous voulez me donner un prix, donnez-moi l'argent ! Mais lorsque les gens se sont levés pour applaudir, lorsque les journalistes russes, polonais, chinois, japonais, sont venus me dire merci pour le courage, pour le film, cela signifie tant de choses ! Certaines auraient voulu pour moi le premier prix. Mais la chose importe peu. Que les gens soient venus à moi dans la paix, non pas un mais plusieurs, me dire merci, c'est ma récompense.

La production de Teza a été donc une expérience très dure. Était-ce à cause de la coproduction ou parce vous avez tourné dans deux pays différents ?
Pour faire un film comme Teza, vous ne pouvez pas imaginer ce que j'ai vécu. Les gens vous font passer par tant de choses inutiles, en dépit de votre talent. Dans un monde pareil, c'est difficile. Mais lorsque vous vous engagez dans un film vous y croyez, mais vous passez par tant d'hostilité. L'ingénieur du son, en Allemagne, a été stupide. Il m'a rendu la vie difficile parce que je suis africain, parce que je suis noir et il ignorait tout des rapports humains. Deux Allemands étaient de mon côté. Ces six ans ont été un enfer. Après avoir tourné en Ethiopie, pourquoi n'ai-je pas continué directement en Allemagne ? Pourquoi m'a-t-il fallu attendre deux ans pour tourner six jours ? Pourquoi un de mes coproducteurs ne pouvait pas trouver soixante mille euros ? Il m'a fallu attendre deux ans pour le tournage de six jours !
Je ne suis pas content de mon tournage en Allemagne. J'avais beaucoup d'idées pour exprimer la métaphore de l'Europe. J'avais beaucoup d'idées pour chaque lieu de tournage que vous voyez dans mon film, sauf la partie allemande. Parce que, en Allemagne, deux ans plus tard, il n'y avait pas d'argent et que j'ai dû changer de lieu. J'avais passé plus de trois ans à repérer les lieux. Tout ceci s'est révélé inutile à cause du manque d'argent. Mais dans la partie éthiopienne fondamentalement, j'ai tourné là où j'ai voulu.
C'est la raison pour laquelle il m'a fallu si longtemps. Parce que je ne laisse pas un producteur décider, ne serait-ce que d'une image. Sinon ce ne serait plus mon film. L'accord avec les gens avec qui j'ai travaillé en Europe, c'était qu'ils acceptent que je maîtrise mes droits de propriété intellectuelle. Je suis propriétaire à 40 pour cent. Ils sont seulement copropriétaires et n'ont rien à me dire sur les choix esthétiques de mon film.

Vous avez pris aussi beaucoup de temps pour le montage qui est une phase très importante dans votre conception du cinéma.
J'ai ma démarche. Je monte l'ensemble de ce que je filme sans rien rejeter Et je reste pendant plusieurs jours à visionner. Il y a tellement de gens qui ne peuvent voir un film de six heures. Moi, je visionne, j'étudie. Puis je commencer à travailler sur la structure. Les Américains ont changé l'idée du cinéma quand ils ont baptisé le montage "editing", contrairement aux Russes ou aux Français. Dans "montage", il y a l'idée d'assembler. C'est différent de l'"editing" ou vous réassemblez. C'est comme de tirer sur le gars qui vous énerve. Les gangsters américains veulent faire un cinéma accessible à ce qu'ils appellent les gens stupides. Pour moi, la première rencontre avec la structure c'est quand vous prenez chacun des segments et que vous jouez avec. Ensuite, vous regroupez l'ensemble des segments et vous les regardez, vous les regardez. Je regarde mon film plus que je ne le monte. Je voudrais y consacrer même plus de temps encore. Une fois par mois par exemple, je m'oblige à regarder tout ce que j'ai rejeté. Je veux revoir quand je suis sobre ce que j'ai rejeté quand je ne l'étais pas ! Quand on travaille, on rejette des éléments. Vous avez 30 heures devant vous, et vous avez besoin d'une cavité. Le plan qui fait le lien entre une scène et la suivante, je l'appelle cavité. Quand il manque, je suis prêt à revenir en arrière. C'est difficile. Mes étudiants ne reviendraient pas à ce que, des heures auparavant, ils ont rejeté. Mais moi, je regarde toutes les chutes. Surtout maintenant. J'avais l'habitude de regarder cela sur un "moviola", maintenant j'utilise Avid. Je passe deux semaines à regarder les chutes seules, celles que je rejette de mon film. Je ne m'occupe pas de ce qu'ils appellent les plans de beauté : lever du soleil, paysage,... jusqu'à ce que je vienne avec la musique plus tard, je reste avec les plans essentiels de l'histoire sans les transitions. Et plus tard je vais à la recherche des plans de coupe pour l'embellissement du récit
Tout ce que vous voyez est organiquement en provenance de la salle de montage. Je ne suis pas le cinéaste qui veut adapter un scénario. Le film se développe en moi et c'est au cours du montage qu'il se développe le plus : c'est là que le film naît parce que le scénario devient film et quand il devient un film, il donne au cinéaste une nouvelle vie. La plupart des cinéastes en Amérique, en Europe ou en Afrique essayent de faire rentrer le film dans la forme du scénario. Je ne suis loyal envers rien. Mon scénario meurt lorsque mon texte devient un film. Dans la salle de montage, pour modifier mon film, je le regarde et le regarde encore. Je l'étudie et je ne coupe jamais rapidement. Je suis très conscient quand je vais couper. Pendant longtemps, je regarde, je regarde et je suis la logique des choses en ce moment précis de ma rencontre avec mon histoire. La structure du film est née comme ça.

Vous utilisez un double mouvement d'aller et retour du présent vers le passé et vice-versa. Quelle est l'importance de cette stratégie en ce qui concerne la narration, ou quel en est l'objectif ?
Dans un film, l'histoire est racontée en deux temps ou disons qu'il y a deux phases dans la fabrication. La première est l'écriture du scénario, la seconde est la postproduction et le montage. L'évolution de la structure, je l'appelle "mise en relation" plutôt que flash-back parce que je ne veux pas paraître film-schoolish, scolaire. Donc, ce que j'ai fait, c'était de chercher le rapport entre le contenu et la forme cinématographique. Je voulais une structure qui reflète la façon dont je pensais au moment où je préparais le film, où je faisais les repérages. Au mont Mussolini par exemple, je n'ai tourné peut-être qu'une matinée, mais j'ai fait au moins quatre essais d'y tourner et j'y ai été un bon nombre de fois. L'ascension est pénible et prend 40 minutes. J'ai été voir un caméraman, mais j'ai pensé qu'il ne conviendrait pas si bien que suis allé en voir un autre et nous y sommes allés ensemble, sans caméra. Les lieux de tournage sont extrêmement importants pour moi car chaque fois que je fais l'ascension de ce mont par exemple, je pense à ma propre évolution personnelle. Je suis dans une certaine réalité et soudain, je suis transporté dans une autre réalité. Je me dis comment puis-je mettre cela dans Teza ? Comment le monde d'Anberber change-t-il en lui ? Comment puis-je faire de l'abruption une forme. La structure logique qui s'est imposée, le montage finalement terminé, vient à au moins 30 ou 40 % de la salle de montage. Mais vous avez les mêmes problèmes de structure qu'au début lorsque vous écrivez le scénario.
Ce partage est lié à ma réalité d'Ethiopien en exil qui revient à la maison et est incapable de faire face à des choses fondamentales que les gens prennent comme normales et puis je veux voir comment créer, organiser mes idées chaque fois que je me rends en Éthiopie. Même maintenant je suis là, dans deux semaines je voudrais partir. Je suis dans une sorte de rencontre avec mes contradictions, dirais-je.
Parce que l'Éthiopie est un pays très difficile. Je dois accepter la pauvreté de ma propre famille, ce qui est difficile. Échapper est une solution de rechange. Anberber vient maintenant et il ne peut pas échapper. Il ne peut pas revenir en Europe d'aujourd'hui et il ne va pas être en mesure de revenir en arrière. Il ne peut pas être ici, il ne peut pas être là-bas. Chaque réalité dans laquelle il est projeté détermine la forme de mon film presque mécaniquement.
Fondamentalement, cette structure que vous voyez n'est pas fluide. Je pourrais la rendre fluide mais je ne veux pas, je cherche le conflit. Quand Anberber est perdu quand il veut échapper, le soldat se dresse en face de lui comme dans un drame shakespearien. Il ne cherche jamais la lutte, la lutte vient à lui. Chaque fois qu'il échappe à lui-même, il est rattrapé. Les Ethiopiens guérissent les gens avec l'eau, comme purification. La purification par l'eau est supposée protéger du démon. J'ai transformé la connotation négative de cette tradition en une psychothérapie, qui lui fait rechercher sa jambe. Il se demande quand il a perdu sa jambe. Il y a sa jambe, l'eau, le bruit du travail des femmes… tous les sons marquent sa réflexion. La forme doit obéir à cela. Les cinéastes, les décideurs, et surtout les monteurs, viennent me dire : vous devriez le laisser fluide. Mais non, la coupe... la disharmonie... C'est très difficile.
Même lorsque j'étais étudiant, pour ce qui concerne le montage, j'ai toujours cherché un nouveau contact avec mon histoire. La forme que vous avez je l'appelle la relation interprétable entre la forme et le contenu. Quand le contenu est brutal votre forme est brutale. Ils sont liés. C'est la raison pour laquelle vous avez ce type de déplacement : en amont, en aval. Il ne s'agit pas seulement de flashbacks comme ce que vous pouvez trouver dans les écoles de cinéma. La structure est en harmonie avec le contenu. L'histoire est celle d'un homme qui revient. On ne sait pas pourquoi, il est venu de l'Europe à son village et il est à la recherche de son enfance.

Vous ne vous souciez pas du confort du spectateur ?
Oh non. Ils sont tous mes ennemis maintenant. Les gens ne savent pas. Le capitalisme a fait des consommateurs des gens stupides. Je n'accepte pas le public. Si le public veut échapper à la réalité, pour moi, il est fou. Si vous cherchez à vous échapper, vous fuyez quelque chose de réel. Je ne veux pas vous donner de médicament. Je ne veux pas être celui qui vous donne la pilule pour vous échapper davantage. Je suis l'ennemi des hommes colonisés. Je suis en lutte permanente contre ma situation coloniale. Mon film ne tient pas compte du public, il ne cherche pas le profit, il n'envisage pas de rendre les producteurs heureux. J'ai passé ma vie à contrer la culture hollywoodienne de l'évasion, à me battre contre le public éthiopien ou africain quand il ne cherche que l'évasion. Alors, automatiquement, ils sont constamment en conflit avec moi. Je ne choisis pas la voie habituelle pour les apaiser. Je ne sais pas comment dire : Laissez-moi vous divertir, permettez-moi d'être drôle ici, permettez-moi de vous donner.... Ainsi, vous ne quitterez pas la salle. Il y a tant de films qui font cela !

Beaucoup de temps à l'écriture, au montage : est-ce votre rythme ou est-ce que vous avez besoin de tout ce temps pour être sûr des choix que vous faites ?
En fait, c'est par respect des personnes qui vont aller voir mon film. Si vous respectez les personnes qui vont voir votre film alors vous devez vraiment travailler dur sur vous-même. Par exemple, j'aime réécrire. Je ne suis jamais satisfait. Je tiens à passer du temps dans la salle de montage par respect des gens. Je ne vais pas monter un film en trois mois et vous montrer. Je respecte trop mon métier. Mais je vais rester au moins un an, afin de vraiment aller au bout. Même si c'est votre propre histoire, le cinéma est si complexe qu'il vous faut accepter un nouveau combat. Dès que vous voyez le film, un nouveau combat commence. Le cinéma est là à vous dire : non, non, non... sur le papier cela a l'air d'aller mais au cinéma, il ne marche pas. C'est une chose difficile à avaler. Mais vous devez être prêt.
C'est vraiment par respect envers ces personnes qui viendront voir mon film. Je ne veux pas les insulter par manque de préparation. Je suis aussi conscient de mon imperfection, j'aime l'imperfection. Mon film est le film le plus imparfait de tout le festival, je le sais. Mais c'est dans l'imperfection que je trouve le Haïlé primitif qui est une part unique en moi. Qui est Haile ? Ce gars qui est né dans ce village, c'est moi. Et finalement, je viendrai dire : maintenant je suis prêt à vous montrer mon film parce que je ne peux pas faire plus. Il est imparfait, mais j'ai fini maintenant, parce que je veux passer au film suivant.

Teza oscille entre l'illusion de l'espoir et la désillusion du gâchis. Est-ce votre propre vécu ?
Je suis très lâche comme personne. Je suis incapable de tuer. Je ne crois pas à l'idéologie, je ne peux pas prendre les armes. Je crois dans les films. La seule chose que je manipule c'est la caméra. Je connais beaucoup de gens qui ont cru dans les différents dogmes. Les gens de ma génération n'ont même pas pensé. Ils ont mal interprété l'expérience des révolutions humaines. Ils ont raté le temps et le lieu. Che était un héros. Mais Che ne peut pas avoir de sens maintenant. Son courage n'a de sens que dans son moment. Maintenant, essayer d'être Che serait une mauvaise plaisanterie ridicule. Che est Che, c'est fini. Vous ne pouvez pas le cloner. Vous devez forger un sens nouveau pour votre propre révolution, dans une nouvelle société, dans votre contexte sans perdre le passé.
Je vois les Éthiopiens avec qui je suis allé à l'école, ils ne réalisent pas les grandes choses qu'ils pensaient pouvoir faire, mais des choses humbles comme l'enseignement des jeunes enfants. Vous savez, parfois de petites choses sont suffisantes. Je n'ai pas été atteint par cette illusion. Mais Anberber pense comme cette génération dont je parle. Je parle d'une génération qui a été très déçue, désabusée sans justification. Nous sommes déçus car nous n'avons pas encore compris notre rôle en tant qu'être humain plein d'erreurs, mais comme envoyés par une Divine Providence pour faire quelques changements pour le pauvre peuple éthiopien. C'est là où nous nous sommes égarés.
J'ai fait ce film pour donner aux gens et à moi-même la chance de se repentir. Nous avons été mal guidés. La réponse a toujours été au nez du peuple. Nous avons pensé le convertir à une religion, une doctrine, une structure socialiste. Cela n'a pas marché. Cela n'a apporté que chaos et catastrophes. La désillusion, je dirais, est d'amener l'autocritique. C'est ce que veut dire Anberber lorsqu'il dit : les enfants ne sont pas encore nés, les enfants du dragon viendront. Cela signifie d'accepter que la réponse absolue n'existe pas. Vous ne pouvez que fertiliser votre temps. Lorsque vous chaussez des chaussures plus grandes que vos pieds vous tuez beaucoup de gens. Ce que je veux dire, c'est : soyons humbles. Il y aura des gens qui vont venir. Ne croyez pas que vous êtes la fin. Le peuple éthiopien aura toujours engendré des faiseurs d'Histoire. Mais quand une génération croit avoir une mission dogmatique, religieuse et des valeurs absolues, elle est confrontée à ce genre de désillusion.
Vous n'avez pas le droit d'être déçus. Parce que vous n'êtes pas Dieu. Vous n'êtes pas en mesure de créer. Vous êtes censé travailler pour vos idées. Oui, mais être désabusé c'est vous prendre trop au sérieux. J'ai été déçu, mais je peux me demander : Quel miracle ai-je apporté, quels changements ? Le film est comme la confession d'une génération, une sorte d'exorcisme. Parce que je suis chrétien catholique, pour moi il est exorcisme. Le film exorcise le manque de connaissances, le savoir arrogant, exorcise une génération qui a manqué d'éducation. Nous pensions savoir mais nous ne savions pas. Nous ne savions même pas que nous nous ne savions pas.
C'est incroyable. J'espère que les jeunes Ethiopiens verront dans le film cette génération qui croyait avoir les réponses. Parce que maintenant il y a une confusion, il y a une génération désabusée. Chaque société chaotique crée un peuple désabusé. La désillusion c'est aussi celle des nouvelles générations. Ont-ils le droit d'être déçus ? Non.

Au-delà de l'Éthiopie, votre film semble se référer à un espace-temps plus fondamental.
On ne peut imiter'Europe et la transplanter. C'est le problème de ma génération. Nous devons retourner aux sources de notre identité. Mon film est un retour aux sources. Regardez la première partie avec le gitan éthiopien, il pourrait mourir en Europe après son accident. Mais vous ne pouvez pas le laisser partir. Et le prêtre vient le feu à la main. C'est comme si l'enfance disait : courage, viens, viens... Le prêtre avec le feu lui dit de se lever. C'est de cette façon que le film commence. Cela se réfère à la mythologie éthiopienne. Ce feu vient de l'origine,... l'Éthiopie, l'Afrique.... En Europe, l'Allemagne de l'Est, où il fait froid, le feu dit que vous ne pouvez pas mourir.
Mais en réalité, à ce moment précis, nous ne savons pas ce que tout cela signifie. Je ne dis pas au public : regarde public, c'est ce qui se passe pour lui. Non, je suis intéressé à ce qu'était mon enfance. Même si je vis en Amérique, je sens l'odeur du poulet de ma mère. Il y a un jour férié que nous célébrons en faisant du poulet. J'ai toujours senti ce poulet ce jour-là en Amérique ce jour-là, celui que ma mère faisait ! Tous mes sens sont en Amérique, mais je rêve d'ici. Je suis ici, je suis là-bas. Ce genre de choses modèlent Anberber.
Qui sont ces gitans éthiopiens qui viennent le matin vous terroriser lorsque vous êtes enfant ? Ils chantent la lutte contre le matérialisme, comme s'ils étaient envoyés par Dieu. Ils disent que Dieu les a condamnés à rappeler aux Ethiopiens pécheurs que Dieu leur a commandé de protéger l'Éthiopie contre le matérialisme. Ils viennent dans l'obscurité avant que le soleil ne se lève et chantent. Anberber est terrorisé mais revitalisé. L'enfance, le feu, etc. signifient que l'Europe ne vous possède pas. Le docteur dit de le regarder. J'ai moi-même été en soins intensifs en Allemagne. J'ai eu un paludisme depuis que j'ai tourné Sankofa et j'ai failli mourir. Mon enfant avait l'habitude de venir me réveiller. Je voulais faire ça pour Anberber : que son enfance lui dise : Non, ne meure pas, va dans le coin rouge dans la maison de ta mère. Le coin rouge est la capacité de sa mère à lui donner la seule transfusion qui le ressuscitera. L'autre endroit où il obtient son feu est avec son maître spirituel. Quand il va le voir, il y a toujours un feu allumé. Il y va pour le feu, pour la lumière. Tout est connecté. L'eau également. La femme qu'il aime est sortie de l'eau la première fois qu'il l'a vue. Elle est femme-eau. Tous ces éléments sont fondamentaux. Moi qui ait grandi dans ce monde, ce sont des choses qui m'ont gardé en vie.

Aller ainsi à la source vous conduit-il à l'universel ?
Nous touchons l'universel dans le particulier. Nous pensions que nous pourrions devenir universel en imitant l'Europe ou l'Amérique. Nous ne savons pas qu'en étant particulier, vous êtes universel. Lorsque le public a applaudi pendant quinze, vingt minutes après la première projection à Venise, les gens sont venus me dire : jamais la presse n'applaudit ainsi les films. Les journalistes courent pour voir un autre film. Pour quatre ou cinq cent personnes dans la salle, il en reste dix ou quinze personnes à la fin. Wim Wenders est venu me voir, je ne le connais pas, et me dit : J'espère que le monde va voir votre film. Cela signifie beaucoup parce que je suis vengé. Certaines personnes ont que j'étais un puriste de la culture. Je ne le suis pas. Je veux que le film parle de moi. Je ne veux pas faire de film pour l'Europe. Je ne fais même pas de film pour les Éthiopiens. Mon cinéma dément les attentes inventées par Hollywood. Je fais un film qui est une thérapie de moi-même, pour me retrouver moi-même après avoir été désorienté au sujet de ma culture, de mon espoir. Et tout ce que je suis en train de faire est de combler les lacunes pour moi-même. Quand vous cherchez à toucher les gens, vous êtes vindicatif.

La mère a un pouvoir très étrange. Elle a protégé Asanu avant même qu'Anberber ne revienne. C'est comme si elle l'avait conservée pour son fils. Elle a déjà décidé.
Asanu est un don de la vie. La mère est celle qui peut lui donner une nouvelle vie. La transfusion sanguine ne peut venir que d'elle. Sa vie en Allemagne était terminée. La nouvelle vie lui vient de sa mère. La mère est à l'origine de la vie, mais elle est surtout celle qui ne le juge pas. Son frère a rejoint le village pour le juger. Mais elle dit : tout ce qui m'intéresse est qu'il est de retour. Elle a fait un vœu : s'il revient, elle ira à l'église sur les genoux. C'est le premier conflit. Elle lui dit : ne dis rien sur mes convictions, je vais mettre en pratique mes croyances et ne cherche pas à me décourager. Vous ne pouvez pas m'éloigner de ma foi. Dès le début du film vous le savez, elle a une position culturelle. Mais pour lui, voir sa propre mère à genoux est inacceptable.
Elle est heureuse de son retour. Ses valeurs la pousse également à protéger la femme. La métaphore de la mère est le don de la vie. Elle est le siège de sa nouvelle vie. Il est maintenant régénéré grâce à sa mère. Si elle n'était pas là, il se serait tué. Elle est la transfusion sanguine, c'est le mot qui me vient à l'esprit. Ayant perdu sa vie dans l'accident, c'est elle l'a ramené à la vie par le fait qu'elle ne le juge pas, l'accepte, le nourrit. Il ne croit pas à la purification de l'eau, mais le maître lui dit : faites le pour ta mère. Il le fait et ça marche.

Anberber a toujours l'idée d'avoir un enfant. D'abord avec Cassandra puis avec cette fille étrange dans le village qui a tué son propre bébé par jalousie. C'est avec elle qu'il en aura un, contre tout le système.
Cassandra est un outsider. La plupart des Ethiopiens à l'époque avaient des femmes blanches. En Allemagne de l'Est, le problème n'est pas abordé. J'ai connu cela dans années 70. Une femme noire m'a demandé : Pourquoi est-ce que les hommes noirs ne dansent qu'avec les femmes blanches ? C'est ma propre expérience que j'ai mis dans le film. Anberber est attiré en particulier par les outsiders, par la marge. C'est la raison pour laquelle il a rejoint les marxistes. Il veut faire quelque chose pour les gens de la marge, les personnes qui ne sont pas au pouvoir.
Il a eu un bébé avec Cassandra mais il était humainement correct et lui a demandé d'avorter. Elle lui a dit : tu vas quitter un fils et aller à la révolution. Son ami lui dit : tu la fait avorter et tu me parle de la façon d'être un bon père. C'est la grande question pour les émigrés en Europe ou en Amérique. Nous essayons d'utiliser les femmes puis les quittons sans garder aucun lien avec la progéniture à venir. Nous faisons des enfants puis nous retournons. Un Africain aime une femme, mais il la quitte et retourne chez lui pour épouser une femme de son pays et avoir un mariage traditionnel : ghanéenne, nigériane, tunisienne,... Nous faisons beaucoup cela.
Cassandra est consciente de ce problème et elle critique son petit ami : qu'est-ce que je fais là, résultat d'un homme noir qui m'a laissée. Si tu as des enfants, tu dois les élever. Même quand elle lui pose la question : es-tu prêt à avoir un enfant ? Le gars répond : demande-lui. Il ne dit pas : oui ou non,. et la petite amie dit : Je suis marxiste, et nous avons une relation socialiste.
Quand il revient au village, il va automatiquement vers fille marginale parce qu'elle est la Cassandre de ce village. Asanu a eu un bébé d'un homme respectable qui va épouser une femme crédible. Elle devient violente. Sa violence provient de l'humiliation d'une classe. Asanu est humiliée parce que cet homme se marie avec une autre femme. Et elle tue le bébé par tribalisme, discrimination ethnique... Je me défie moi-même : comment parler des marginaux en Ethiopie ?
Je crois que les Tunisiens noirs constituent le chapitre manquant du cinéma tunisien. Comment les Noirs trouvent-ils leur place en Tunisie ou en Algérie ? Nous devons nous repenser nous-mêmes. Les gens me demandent pourquoi je suis avec les Noirs Américains. Parce que ce sont des outsiders. J'étais un étranger quand je suis arrivé en Amérique et j'ai automatiquement eu des affinités avec la population noire. Je m'identifie par affinité aux marginaux. Si vous regardez les enfants métis allemands, ils suivent la culture noire-américaine. Cela leur donne la liberté de dire : je suis quelqu'un, par affinité. Asanu est génétiquement liée, sa nature, sa chaire, sa substance sont liées à Cassandra. Elle est aussi celle qui va donner vie à Anberber.
De l'Allemagne il est venu après avoir perdu la vie. Quand il a vu Asanu, elle était dans la cuisine de sa mère qui est rouge. En Éthiopie, la cuisine de la mère est toujours là où la vie commence. Vous rentrez à la maison, votre nourriture est dans la cuisine. Quand il l'a vue dans le coin rouge de la cuisine sa mère, il a pensé à la transfusion sanguine, il a pensé à Cassandra et puis il se tourne et elle lui dit : Je suis ici aussi. Elle le regarde, mais il regarde au loin. Cassandra est vraiment loin. Lorsqu'elle l'emmène sur l'eau, elle lui dit : je te remercie d'être revenu. Elle veut dire : votre mère et moi, je te remercie de revenir pour nous.
Le fait est que Cassandra est vraiment Asanu et vice-versa. Elle est partout. Les marginaux sont partout. Sauf si vous choisissez de ne voir que la société dominante et oubliez les gens de la marge. Je viens d'une maison où nous nous sommes toujours identifiés avec les marginaux. Nous ne sommes pas d'un club, d'une tribu.

Les bonnes choses viennent toujours de là où on s'attend le moins. La bicyclette que les paysans amènent à Anberber de façon inattendue. Tout à coup, quelque chose a changé complètement dans son esprit, soudain il voit son chemin devant son lui.
Au moment où il embrassait le ventre de Asano et quand il faisait un cauchemar, son enfant était en train de venir. Il sait à ce moment précis que c'est son village. Il a finalement décidé que c'est son village. La bicyclette est là pour matérialiser son rôle dans le village. Je ne voulais pas d'une grande action à la hollywoodienne où tout à coup, les méchants sont tués par les innocents. Je voulais me poser. Les changements humbles sont réels. Quand un héros fait quelque chose d'extraordinaire, il le fait au détriment de la population. La population pense : il peut le faire mais je ne peux pas. J'aime les films qui font que le public dise : je peux le faire. Il ne s'agit pas de grandes choses. Quand j'étais étudiant, j'ai écrit un article sur John Wayne et Charlie Chaplin. John Wayne est trop fort. Avec une balle, il tue un millier d'Indiens. Charlie Chaplin est un personnage plus civilisé. Mais les Américains n'aiment pas imiter Charlie Chaplin. Ils aiment Charlie Chaplin. Ils ont pitié de lui, ils se sentent désolés pour lui. Mais ils aiment être comme John Wayne. L'Amérique ne sera jamais humanisée de la façon dont Charlie Chaplin conçoit la civilisation. Charlie Chaplin ne vous frappe jamais lui-même. Ce qu'il fait c'est qu'il vous pousse à vous frapper. Il s'enfuit, il vous tourne autour et vous pousse à vous frapper. Il vous fait battre par votre propre démon. Je ne suis pas comme John Wayne qui tue les méchants de la société et part sur son cheval. Charlie Chaplin dit : Je ne vais pas vous battre les gars. Vous battre n'est pas la réponse. J'ai sauté afin de ne pas être frappé. Mais dans ce processus, vous vous frappez vous-mêmes au lieu de me frapper.
Pour moi, cette proposition ne s'est jamais matérialisée culturellement en Amérique. En Afrique, nous ne devrions pas parler de héros. Ne faites pas des choses extraordinaires. Vous vous montrez extraordinaire, vous décourager la population. Si vous voulez que les gens se transforment, proposez-leur des changements possibles. J'aime Anberber dans le village parce qu'il s'est dit : Je n'ai pas besoin de grandes choses comme on en a rêvé, je peux commencer avec de l'eau chaude et un morceau de tissu. Avant que l'homme ne vienne et lui dise : tu es un docteur, guéris ma fille. Mais il n'est pas un médecin. Pour l'Éthiopien, il est un docteur, il veut faire la révolution donc il lui dit : ma fille est malade, soigne-la. Ce qu'il dit est : je n'ai pas besoin d'un grand hôpital comme nous l'avions prévu avec nos idées socialistes. Je peux utiliser la logique. La même chose avec les enfants à l'école. Vous voyez les enfants le regarder comme pour dire : nourris-moi de savoir. C'est-ce qu'il fait, en commençant avec les mathématiques.

Vous multipliez les plans de respiration poétique, avec des paysages…
Cela dépend de la situation. Quand vous voyez le gitan, c'est lié à la chanson traditionnelle. Cela veut dire que le danger s'approche et que les soldats viennent au village. Mais le paysage est toujours connecté à la tentation d'échapper à la beauté. Vous avez vu que la beauté du plan est soudainement interrompue avant la fin. Au Canada, quelqu'un m'a demandé : pourquoi n'avez-vous pas laissé la scène durer plus longtemps ? Je lui ai dit qu'il perdrait le fil de mon histoire. Mon histoire traite de ces personnes, mais vous ne pouvez pas les empêcher d'avoir une relation avec la montagne. Parce que la nouvelle violence ne leur donne pas la liberté de le faire. Ce que les Éthiopiens ne comprennent pas, en particulier ceux qui n'ont pas vécu ces circonstances historiques, et Les Européens non plus ne comprennent pas que nous n'ayons pas la liberté de romancer notre enfance. Comme dans 1900 de Bertolucci.
Quand je suis retourné en Éthiopie, assis sur le divan, repensant mon enfance, j'ai vu venir le soldat et tuer quelqu'un en face de moi. Oui, je voudrais voir cette montagne. Mais je ne peux pas omettre cette réalité. Anberber n'a pas la liberté de se rappeler romantiquement son enfance. Il voit d'autres enfants tués. Mais il imagine sa propre enfance en train de mourir. Pour moi, c'est très égoïste lorsque vous vous penchez sentimentalement sur votre passé. Le gamin n'est pas en train de mourir, comme ce fut le cas dans l'Ethiopie où j'ai grandi. Ce que je veux dire, c'est : Haïlé, tu n'as pas droit au souvenir romantique.
Un grand nombre d'Africains reviennent pour ça. Beaucoup diront : emmenez-moi visiter cette montagne. Je reviens d'Amérique. Le genre de gars que je suis, c'est quand je reviens et que je vois une femme qui est pauvre comme ma famille, je suis pris au piège. Le fascisme pour moi est dans cette civilisation de grands mariages romantiques. Lorsque vous avez à marcher sur des milliers de mendiants pour venir ici, c'est du fascisme. Je ne veux pas juger les Éthiopiens qui me disent : nous sommes ici, nous ne sommes pas comme vous en Amérique. Un gars m'a dit : vous n'êtes pas ici pour me donner un emploi, ne me jugez pas. Nous avons différentes visions romantiques de l'Éthiopie. Et maintenant, nous sommes le nouveau clan. Je pense qu'il n'a pas tort.
Mais je ne vais pas cesser de faire des films sur comment je me sens : ce serait trop irresponsable de ma part en tant que cinéaste. En tant que conteur, je dois vous parler en dépit de mes contradictions. Ils ont le droit de ne pas m'accepter dans ma sensibilité. La liberté d'être engagé avec votre enfance n'est pas possible dans ce tiers-monde, en Amérique latine, Afrique, Asie,.. où il y aurait les meilleurs soldats d'Al-Quaida, le gamin marqué par la pauvreté que vous êtes à sept, à trois, à quatre, la pauvreté, tout devient violence. La pauvreté est l'ennemie de l'humanité, et grâce à l'empire américain, elle a créé une classe aveugle sur l'origine de la violence. On crée la violence en reléguant l'être humain à la condition inacceptable de classe de la honte. Les psychologues, s'ils le pouvaient, écriraient une dissertation du genre : vous humiliez un peuple, vous humiliez un portier, vous l'humiliez devant ses enfants, vous créez un type violent. Au cours de la junte, tous les meurtriers venaient de la classe des humiliés. Tous ceux qui ont honte de la façon dont le gouvernement précédent les avait traités. Un gars de la Californie m'a dit : Haïlé, comment les gens, les gens que je connais, devenir à leur tour des monstres ? Je lui ai dit : vous ne les connaissez pas. Vous les avez programmés à être des monstres. Lorsque vous humiliez le portier qui vous ouvre la porte à quatre heures du matin, vous avez créé un monstre, parce qu'il doit se lever pour vous ouvrir, puis à cinq heures pour ouvrir à vos enfants qui étaient également dans une boîte de nuit. Et quand son enfant est venu et vous a vu commander son père, vous l'avez "marqué". Donc, lorsqu'un peuple est humilié, vous ne pouvez pas éviter sa violence. Vous ne pouvez pas dire : Oh, d'où est-ce qu'ils viennent ? Vous les avez créés. Le nouvel Empire romain, pour moi, c'est les États-Unis d'Amérique. Ils ont créé ce capitalisme mondial obscène. Ils sont maintenant aussi violents que les personnes qu'ils dénoncent. Ils vont faire de notre vie un enfer.

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