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Moustapha Alassane, cinéaste du possible, de Silvia Bazzoli et Christian Lelong
L'homme à la caméra de bois
critique
rédigé par Maman Sani Soulé Manzo
publié le 21/03/2009
Maman Sani Soulé Manzo
Maman Sani Soulé Manzo
Mustapha Alassane
Mustapha Alassane
Maria Silvia Bazzoli
Maria Silvia Bazzoli
Christian Lelong
Christian Lelong

Moustapha Alassane, cinéaste du possible, un documentaire de 1 h 30 mn réalisé et présenté en 2009 au 21ème FESPACO par l'Italienne Silvia Bazzoli et le Français Christian Lelong, a été projeté le mardi 17 mars 2009 au Centre culturel franco-nigérien Jean Rouch de Niamey (Niger).
Produit par Cinédoc, société d'Annecy en France travaillant surtout sur des projets de films au Niger et au Burkina, Moustapha Alassane, cinéaste du possible sera bientôt projeté au Bénin, au Burkina, au Ghana, au Mali et au Togo dans le cadre d'une tournée régionale appelée "Interdoc".
Et c'est tant mieux pour les cinéphiles de ces pays car les férus du 7ème art africain y verront l'évolution de ce cinéma, des années 1960 à ce jour.

"L'ouverture" du film est une "boîte magique" dont la lumière éclaire la silhouette d'un jeune homme bricolant des ombres chinoises. Puis suit un "pano" sur l'arc de triomphe de Tahoua, ville du Niger située à 650 kilomètres au nord-est de Niamey, où entre Moustapha Alassane à bord d'une Mercédès blanche pour se diriger vers son logis où une ribambelle d'enfants l'accueille et qui est jonchée de bric et de broc…
De fait, le triomphe est partout présent dans Moustapha Alassane, cinéaste du possible. Triomphe de l'homme, triomphe du cinéma !
En effet, le film conte par le menu - à travers la vie et l'œuvre de ce réalisateur nigérien comme à travers les témoignages de feu Jean Rouch, des réalisateurs Serge Moati, Inoussa Ousseini, Mariama Hima, du cameraman Boubacar Sounna dit James Kelly, de certains producteurs et distributeurs de films ainsi que de critiques de cinéma - la petite et la grande histoire du cinéma nigérien en particulier et du cinéma africain en général.

Ce documentaire devait s'appeler "l'homme à la caméra de bois" : c'est tout dire !
Le fait est que Moustapha Alassane, mécanicien au départ, a commencé sa carrière cinématographique en jouant… des ombres chinoises aux enfants de son quartier ! Engagé comme dessinateur au Musée national du Niger, il rejoint l'unité Cinéma fondée au début des années 1960 par Jean Rouch au sein de l'actuel Institut de Recherches en Sciences Humaines de Niamey. Il y trône bientôt sur un important parc de caméras et magnétophones, de perches et micros, de bandes et pellicules et même d'une table de montage offerts par la Coopération française et, ceci expliquant sans doute cela, devient très vite incontournable pour quiconque s'intéresse au cinéma au Niger.

En plus des (déjà) "petits protégés" de Jean Rouch comme Oumarou Ganda, d'autres jeunes tels Inoussa Ousseini ou Guingarey Alhassane Maïga accourent à l'IRSH où Moustapha Alassane joue au formateur aux côtés de son propre mentor.
Malgré quelques longueurs, l'intérêt du film est tout entier dans le visionnage de séquences oubliées et dans les conditions de création des œuvres ! Je m'en voudrais de ne pas indiquer ce vrai-faux traveling réalisé grâce à une voiture 2CV prise en sandwich par des chevaux montés et n'ayant rien à envier aux effets produits par un western hollywoodien !

Ainsi donc, Moustapha Alassane réalise dès 1962 Aouré, le premier film nigérien, si non africain d'importance, qui lui valut aussitôt une récompense. Après un détour par le Canada où il alla à l'école de son ami Jutra et du célèbre Norman MacLaren, Moustapha Alassane s'adonna au cinéma d'animation en réalisant La Mort de Gandji, qui est aussi le tout premier dessin animé africain.
Ce touche-à-tout, que Serge Moati compare à Georges Méliès himself, inspire Les Cow-boys sont noirs de Serge Moati quand il s'exerce au western avec la réalisation, en 1966, du moyen métrage Le Retour d'un aventurier, premier du genre en Afrique !

"J'ai tout fait dans le cinéma, sauf voler les autres"

Si on dut attendre 1972 pour voir FVVA : Femme, Voiture, Villa, Argent, le premier long métrage de Moustapha Alhassane, on n'en est pas moins au bout de nos surprises !
Après Toula ou le génie de l'eau, coréalisé en 1973 avec l'Allemande Anna Shöering, Moustapha Alassane revient aux films d'animation, furieux que son propre pays ne l'aide point à produire des films plus ambitieux et, donc, plus coûteux.
On aura alors la série de Bon voyage, Sim, Kokoa, etc. Jusqu'à ce jour où le réalisateur se fit distributeur et projectionniste itinérant de films puis propriétaire de salles obscures à Tahoua où, last but not least, il travaille, à l'âge pratiquement canonique de 67 ans, à … un logiciel d'animation en 3D "pour aider les jeunes générations du monde entier à réaliser leurs propres films" !
Comme pour encore donner l'exemple, l'inventif et prolixe Moustapha Alassane - qui a vécu les problèmes de financement du cinéma et les petites jalousies des années 1980 et 1990 comme un drame personnel - vient d'ailleurs de terminer la réalisation d'une série de films d'animation en 3D que Delphine Boudon, la directrice du Centre culturel franco-nigérien Jean Rouch de Niamey, promet de projeter très bientôt aux cinéphiles nigériens.

Ainsi qu'on le voit, le fil conducteur d'une telle vie et d'une telle œuvre sont le cinéma dans tous ses états mais aussi, en filigrane, la volonté d'un homme de dire l'Afrique, ses espoirs et ses tourments, au reste du monde.
Moustapha Alassane peut donc aussi dire, à juste titre, comme il l'a dit le 17 mars 2009 devant ses fans : "J'ai tout fait dans le cinéma, sauf voler les autres".
Et, comme en écho à Amadou Hampaté Bâ - qui estimait que, "en Afrique, tout vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle" - Moustapha Alassane veille à transmettre l'exemple d'une vie bien remplie qui est le sien : son fils Razak termine un stage de cinéma d'animation à Annecy (France) pour pouvoir, avec l'aide de ses nombreux frères et cousins, poursuivre l'œuvre du pionnier du cinéma nigérien et africain.

par Sani Soulé Manzo

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