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Les feux de Mansaré, de Mansour Sora Wade
Un cinéma monde
critique
rédigé par Saïdou Alceny Barry
publié le 27/04/2009
Saïdou Alceny BARRY
Saïdou Alceny BARRY
Les Feux de Mansaré, 2009
Les Feux de Mansaré, 2009
Ibrahima Mbaye dans Les Feux de Mansaré de Mansour Sora Wade
Ibrahima Mbaye dans Les Feux de Mansaré de Mansour Sora Wade
Mansour Sora Wade sur le tournage des Feux de Mansaré
Mansour Sora Wade sur le tournage des Feux de Mansaré
Mansour Sora WADE et son actrice principale, Khady NDIAYE Bijou, au FESPACO 2009
Mansour Sora WADE et son actrice principale, Khady NDIAYE Bijou, au FESPACO 2009
Mansour Sora Wade en 2005 à Dakar
Mansour Sora Wade en 2005 à Dakar
Baba Hama, Mansour Sora Wade et Baba Diop, critique (Cannes 2004)
Baba Hama, Mansour Sora Wade et Baba Diop, critique (Cannes 2004)
Djibril DIOP Mambéty
Djibril DIOP Mambéty

Les feux de Mansaré est un tissu de citations, de parodie et de clins d'oeil au cinéma mondial de sorte qu'il est une promenade dans les rayons de la cinémathèque mondiale en même temps qu'un métaphore sur l'Afrique en proie à ses multiples démons.

Les feux de Mansaré a pour fil conducteur une histoire d'amour entre Lamine, un jeune instit' de village et la belle Nathalie, promise dès sa naissance à Mathias, le fils du Chef de Mansaré. Quand Mathias revient au village, fortune faite après avoir baroudé et traficoté sur tous les coins chauds de la planète, l'histoire prend une tournure tragique. Mathias est rejeté par sa promise qui lui préfère Lamine, son ami d'enfance. Quand Nathalie fuit le jour du mariage, Mathias est résolu à mettre le village à feu et à sang pour la retrouver, plus par vanité que par amour.

Le traitement que le réalisateur fait de cette histoire bâti autour d'un triangle amoureux problématique est un clin d'œil au cinéma de Bollywood. Ce cocktail d'amour, de passion, de pouvoir et d'honneur est une spécialité du cinéma de Bollywood.
Cependant le jeu de Mathias (Ibrahima Mbaye) s'inscrit dans le registre du film policier américain. D'ailleurs, Mathias fait tellement penser au personnage incarné par l'acteur Africain-Américain DMX dans Exit Wounds de Andrzei Barttkowiak. Comme lui, il a le crâne rasé, une boucle à l'oreille, un blouson noir et aussi une immense fortune. Quant au musicien toqué du Bar "Chez Frank" qui commente l'histoire avec ses chants et les notes de sa guitare, même s'il est assimilable au chœur grec ou au bouffon de théâtre, il rappelle aussi les musiciens dans le film Desperado de Robert Rodriguez.

Il y a en outre un clin d'œil évident à Hyènes de Djibril Diop Mambéty.
Mathias qui revient dans son village avec une fortune pour imposer ses desiderata à ses concitoyens, c'est la vieille Linguère Ramatou de Hyènes travestie en jeune homme. Et Mansaré ressemble beaucoup à Colobane. Même le basculement de tout le village du côté de Mathias et de son père fait penser au film de Mambéty. Seul le sursaut final des villageois empêche la totale identification.

Quand aux dialogues, ils sont dignes du meilleur western. Mathias parle comme un personnage de Sergio Leone et cela contribue à accentuer son caractère de mauvais garçon. Son machisme et son héroïsme sauvage sont des invariants de ce genre. Ne joue-t-il pas à la roulotte russe en donnant son arme à Lamine pour qu'il l'abatte s'il ne veut pas qu'il lui ravisse Nathalie.

Les différents emprunts du film sont pour le cinéphile un jeu de pistes et le film l'entraîne dans une sorte de labyrinthe dans lequel les emprunts qu'il identifie sont pour lui comme les cailloux blancs du Petit Poucet. Plus il identifie les emprunts, plus il se repère dans l'histoire. Et le film devient un jeu et un enjeu qui consiste à découvrir les points de suture du film et les implants pris sur les films antérieurs. Et même à pronostiquer les éventuels clins d'œil aux classiques. Ainsi, jusqu'à la fin du film, le spectateur espère que Mathias dont le jeu stanislavskien fait penser à celui des comédiens de l'"Actor's studio" s'attablera au comptoir du bar et dira d'une voix traînante: "I wanna a bottle of beer". Comme Marlon Brando dans L'équipée sauvage. On pense aussi à L'Est d'Eden d'Elia Kazan à cause de la rivalité autour d'une fille.

Les images aussi sont éclectiques et puisées à différentes sources : pub, docu et journal télévisé. La caméra musarde sur les paysages de Mansaré et nous restitue des images pleines de poésie et de beauté telles des cartes postales d'une agence de tourisme. Même quand elle filme la misère des réfugiés sur les routes de Mansaré, elle évite de donner dans le misérabilisme et les saisit dans leur dignité. Enfin l'insertion des images noir et blanc de la caméra amateur confère une allure documentaire à ce film.
Autant les emprunts que l'intrication des images différentes donnent à ce film une allure de boubou de Baye Fall, cet assemblage de tissus les plus divers et de mille couleurs [patchwork] que portent les talibés du Sénégal.

Si Mansour Sora Wade a butiné les fleurs du cinéma mondial pour faire son miel, ce n'est pas un simple exercice de virtuosité. Ce film se veut une métaphore de l'Afrique contemporaine confrontée aux démons de la division, de l'injustice et une réflexion sur le pouvoir des images. Aussi la lutte sanglante entre deux amis pour la possession de Nathalie peut être vue comme la lutte pour le pouvoir d'état qui se termine par un bain de sang en Afrique. Il faut aussi voir dans la mise à sac de Mansaré une référence aux guerres civiles qui éclatent sur le continent. Et l'utilisation des images d'amateurs du petit Babou par les télés du monde entier pour commenter les événements de Mansaré dit la force de manipulation des images et leur ambivalence. C'est la lecture que le réalisateur souhaite que l'on fasse de son film. Mais la métaphore étant une lecture au second degré, on peut douter que les cinéphiles aillent au-delà de l'image chercher le sens caché. La lenteur de la narration adoptée par le réalisateur désamorce la tension dramatique, mais elle est très appropriée pour traquer l'intrus dans ce film patchwork.

Les feux de Mansaré réussit à nous montrer que le film africain peut s'ouvrir aux autres cinémas du monde sans être une dilution de notre identité dans l'Autre. Un palimpseste est riche des œuvres ultérieures sur lesquelles il s'édifie et a la fraîcheur d'une œuvre nouvelle. C'est une voie à explorer par le cinéma africain.

Barry Saidou Alceny

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