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Une affaire de Nègres, d'Osvalde Lewat
La révolte sourde d'une militante des droits de l'homme
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 27/04/2009
Jean-Marie MOLLO OLINGA
Jean-Marie MOLLO OLINGA
Denise, témoin dans Une affaire de Nègres, d'Osvalde Lewat-Hallade
Denise, témoin dans Une affaire de Nègres, d'Osvalde Lewat-Hallade
Osvalde Lewat
Osvalde Lewat
Une affaire de Nègres
Une affaire de Nègres
Une affaire de Nègres
Une affaire de Nègres
Au-delà de la peine
Au-delà de la peine
Un amour pendant la guerre
Un amour pendant la guerre
Une affaire de Nègres
Une affaire de Nègres
Une affaire de Nègres
Une affaire de Nègres
Une affaire de Nègres
Une affaire de Nègres
Une affaire de Nègres
Une affaire de Nègres
Jean-Marie Teno
Jean-Marie Teno

Avec Jean-Marie Teno, Osvalde Lewat est en passe de devenir l'autre documentariste attitré du Cameroun. Après son court métrage Au-delà de la peine (2003) dans lequel elle attire l'attention sur le cas de Lépé, un prisonnier condamné à quatre ans et qui sera oublié dans le pénitencier de Yaoundé pendant 33 ans, Lewat réalise son premier long métrage, Un amour pendant la guerre. Elle y montre le courage d'Aziza, une journaliste qui essaie de reconstruire sa vie avec son mari dont elle a été séparée pendant la guerre à l'Est de la République démocratique du Congo. Mais, hantée par les horreurs qu'elle et d'autres femmes y ont subies, elle décide d'y retourner pour rejoindre le combat de ces femmes déchirées par le souvenir de multiples viols. Son deuxième long métrage, Une affaire de Nègres (2007), raconte les dérives du commandement opérationnel, une unité spéciale des forces de l'ordre créée en 2000 par le président de la République du Cameroun, Paul Biya, pour éradiquer le banditisme outrancier qui sévissait dans la ville de Douala. Cette unité spéciale fut accusée, en une année seulement de service, d'avoir fait plus d'un millier de morts, exécutés sans jugement, et parmi lesquels plusieurs innocents.

C'est un film qui porte une très grande dimension psychologique, et qui se circonscrit à l'exploration de la souffrance indicible d'une population meurtrie par la perte de proches dont elle n'a jamais vu les corps. Et malgré le temps qui s'est écoulé, ceux qui souffrent continuent de s'interroger : "Est-ce que c'est passé dans le cœur des vrais membres des familles des victimes ? C'est passé comment ? Est-ce que c'est une plaie qui a guéri ? On ne sait pas". À ce niveau, les visages sont si expressifs de la douleur que c'est à dessein que la jeune réalisatrice camerounaise use et abuse de gros plans dans son film. C'est aussi pourquoi elle filme de près ses personnages, ces parents de victimes presque toujours assis ou en arrêt, comme en attente. En attente, par exemple, d'un mari enlevé en pleine nuit, comme celui de Denise Etaha, le père de ses trois enfants, dont il ne lui reste que le rêve pour voir le visage. À cette mère courage réduite à vendre des beignets pour nourrir ses orphelins, Lewat dédie le film.

Une affaire de Nègres s'ouvre par une cérémonie funéraire, conséquence d'un drame. Lorsque la famille n'a pas pu s'approprier la dépouille mortelle d'un parent, pour sacrifier à la tradition, elle enterre un tronc de bananier en lieu et place du corps. Dans le film de Lewat, cet office se déroule dans un calme presque absolu, où seul le micro d'ambiance rend les sons et bruits d'une nature mélancolique, ce qui en rajoute à la gravité de la situation. Dès cette séquence, Osvalde Lewat isole, pour les identifier, quelques familles éplorées par ces tueries. Elle s'attarde sur le travail d'un avocat, Me Momo, décidé à traquer la vérité, malgré les intimidations : "J'accuse le gouvernement de complicité", dit-il, avant de marteler : "Même si c'était des voleurs, il fallait les renvoyer devant le juge ; c'est sa fonction de juger". Ces mots ne ramassent-ils pas raisonnablement la problématique d'Une affaire de Nègres ? Et si la réalisatrice filme d'aussi près les protagonistes de son film, elle se focalise davantage sur un cas, celui d'un bourreau, Robert Kouyang, au travers d'une séquence narrative d'une grande portée sémantique.

Le spectateur a du mal à imaginer ce père de famille - (apparemment) tranquille, soucieux des siens et qui vaque à ses occupations de berger - donner la mort. Mais, lorsqu'il reconstitue, sourire aux lèvres, avec délectation, les scènes nocturnes des exécutions sommaires, l'on ne peut manquer de s'interroger sur la dualité humaine qui fait des hommes comme Kouyang, des anges (avec leur famille) et des bêtes vis-à-vis des autres ou dans leur travail, où ils sont transformés en machine à tuer. Cet homme est-il encore normal ? Ici, la caméra d'Osvalde Lewat a le mérite de montrer que les victimes de la barbarie ne se trouvent pas seulement en face des bourreaux, mais que celle-ci a un effet boomerang.

Finalement, Une affaire de Nègres rend compte d'une situation estimée injuste pour la dénoncer ouvertement. Pour ce faire, Lewat se sert de la magie du cinéma, à l'exemple de cette belle image, - un clin d'œil, en fait, à l'origine du septième art - où l'on peut deviner la silhouette gracile de la réalisatrice embrassant sur le pas de la porte - le cadre - d'une pièce faiblement éclairée, le parent d'une victime. Le cinéma, à ce niveau, ne montre-t-il pas sa force narrative, au travers de l'engagement d'une artiste luttant farouchement mais dignement pour le respect des droits de l'homme ?

Jean-Marie MOLLO OLINGA, Cameroun

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