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Mahaleo, de Raymond Rajaonarivelo et César Paes
critique
rédigé par Baholy Andriamoratsiresy
publié le 30/04/2009
Baholy Andriamoratsiresy
Baholy Andriamoratsiresy
Raymond Rajaonarivelo
Raymond Rajaonarivelo
Marie-Clémence & Cesar PAES
Marie-Clémence & Cesar PAES

Les chansons des Mahaleo (groupe de chanteurs) ont été le levain du soulèvement de 1972 qui a provoqué la chute du régime néocolonial à Madagascar. Aujourd'hui elles continuent de bercer la vie des Malgaches. En Malgache "Mahaleo" signifie "libre, indépendant et autonome". Les sept musiciens du groupe ont toujours refusé le show-business malgré trente ans de succès, et ont choisi de s'engager dans le développement de leur pays. Ces précurseurs du blues malgache sont aussi médecin, chirurgiens, agriculteur, sociologue ou député… Guidé par la force et l'émotion de leurs chansons, le film est un portrait de Madagascar aujourd'hui.

Est-ce qu'il peut y avoir un témoignage sans témoin ?

Un témoignage désigne, au XIIème siècle, l'action de témoigner et la déposition d'un témoin. Par extension, en 1220, c'est la preuve manifeste de quelque chose (1). La présence de l'image du groupe Mahaleo permet aux réalisateurs de témoigner des représentations des identités d'une partie du peuple malgache depuis 1972 jusqu'en 2002. Nous savons que les spectateurs regardent Mahaleo sans la présence du groupe Mahaleo. C'est une autre présence qui est à la rencontre du spectateur, la présence de la représentation de leur image, de leur voix, de leur musique, et de leur histoire. En tout, une identité du groupe Mahaleo vue par les auteurs de Mahaleo : Raymond Rajaonarivelo, César Paes et Marie Clémence Paes. S'ils l'ont écrit à trois, Mahaleo a été réalisé par Raymond Rajaonarivelo et César Paes (Marie Clémence Paes en est la productrice) afin de témoigner la présence active du groupe Mahaleo dans le passé et le présent de l'histoire de Madagascar. Cette présence active du groupe Mahaleo dans les années 1970 est rendue actuelle par les images d'archives de la TVM, la télévision nationale de Madagascar.

Cependant, le tournage s'est déroulé durant l'arrivée au pouvoir de Marc Ravalomanana à Madagascar. Les auteurs ont assisté à une scène incontournable de l'histoire de Madagascar : la crise politique et économique de 2002, c'est-à-dire la passation du régime de Didier Ratsiraka à celui de Marc Ravalomanana. L'image, la parole et le son forment un témoin pour chaque Mahaleo. L'identité de chaque personnage - voix, visage, métiers, et chansons - forme pour chacun un témoignage sur l'histoire du pays. Le film en lui-même est un témoignage : les réalisateurs sont les témoins.

L'oralité des chansons de Mahaleo est mise en scène, tel un personnage.

"Karaborosy" retentit dans le prologue de Mahaleo. C'est une chanson écrite par Bekoto en 1979 qui signifie "Taxi-brousse" (2) et sert de "musique de fosse" pour introduire l'Histoire de Madagascar et le groupe Mahaleo, les autres personnages principaux du long métrage documentaire. La "musique de fosse", concept du sémiologue Michel Chion, désigne une "musique perçue comme émanant d'un lieu et d'une source en dehors du temps et du lieu de l'action montrée à l'écran" (3). "Karaborosy", en son off, traduites et sous-titrées en français, raconte que "… depuis l'année passée, jusqu'à maintenant, cette histoire dure depuis longtemps". Des images d'archives en noir et blanc de manifestants des différentes révoltes malgaches en 1972, en 1991, et en 2002 défilent en rythme avec Karaborosy. Ces images d'archives se conjuguent au présent par la bande sonore de Karaborosy. Ce que la chanson révèle est-il toujours d'actualité ? L'année 2009 rejoindra-t-elle le défilé des années passées avec Karaborosy ?

Entre autres, la musique de fosse durant le spectacle du 30ème anniversaire du groupe Mahaleo au stade Malacam en 2002 est aussi mise en scène. Elle passe de musique de fosse en "musique d'écran" (désigne une musique dont la source est présente en même temps sur l'image). Le son de la musique et la voix des chanteurs relient la scène du spectacle du groupe Mahaleo et les spectateurs, même s'ils ne sont pas cadrés dans un même plan. Ainsi, ces plans suggèrent que ces artistes et ces spectateurs sont réunis dans un même lieu. Les spectateurs sont filmés en train de chanter, et on entend le son off du spectacle : la voix des chanteurs et les sons des guitares. Vice-versa, quand les plans sur la scène apparaissent, on entend les voix off des spectateurs. Ceci dit, cette forme de mise en scène des chansons du groupe Mahaleo réunit l'orchestre malgache avec les spectateurs du spectacle filmé. Ils ne font qu'un, dans la sonorité du film documentaire.

La rupture de la tradition orale dans Mahaleo

La transmission de la parole se modernise par le dispositif filmique et le montage : des paroles en miroir. C'est-à-dire que des plans renvoient des images des auditeurs alors que les spectateurs même entendent ce que ces personnages auditeurs écoutent. Donc, il y a deux types d'auditeurs en face à face, les uns se présentent à l'image dans le film, et les autres sont les spectateurs du film. Elle n'est plus une transmission directe des chanteurs sur scène au stade de Malacam, ou encore les transmissions des "Kabary" (discours traditionnels durant les cérémonies malgaches ou les réunions d'une communauté) des orateurs des villages. Les plans contiennent l'image des auditeurs dont les fanatiques de Mahaleo qui peuplent le stade de Malacam lors de leur 30ème anniversaire. Le langage cinématographique présente l'action à d'autres spectateurs qui ne sont pas présents dans Mahaleo ? La transmission de la tradition orale se fait donc indirectement, grâce à l'enregistrement filmique.

B. Andriamoratsiresy

Mahaleo, Raymond Rajaonarivelo et César Paes, Latérit production, ARTE France Cinéma, Cobra Films, RTBF, 2005.

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