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Les Saignantes
Sur-volt futuriste au Cameroun
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 17/05/2009
Michel Amarger
Michel Amarger
Les Saignantes de Jean-Pierre Békolo Obama
Les Saignantes de Jean-Pierre Békolo Obama
Jean-Pierre Bekolo
Jean-Pierre Bekolo
Quartier Mozart, 1992, de Jean-Pierre Békolo Obama
Quartier Mozart, 1992, de Jean-Pierre Békolo Obama
Quartier Mozart, de Jean-Pierre Bekolo
Quartier Mozart, de Jean-Pierre Bekolo
Le Complot d'Aristote
Le Complot d'Aristote
Une Africaine dans l'espace (2007), installation de Jean-Pierre Békolo au Musée du Quai Branly.
Une Africaine dans l'espace (2007), installation de Jean-Pierre Békolo au Musée du Quai Branly.
Photogramme extrait de l'installation de Jean-Pierre Békolo - Une Africaine dans l'espace (2007) au Musée du Quai Branly
Photogramme extrait de l'installation de Jean-Pierre Békolo - Une Africaine dans l'espace (2007) au Musée du Quai Branly
Jean-Pierre Bekolo
Jean-Pierre Bekolo
Adèle ADO
Adèle ADO
Dorylia CALMEL
Dorylia CALMEL
Emile Abossolo Mbo
Emile Abossolo Mbo
Essindi Mindja
Essindi Mindja
Joséphine Ndagnou
Joséphine Ndagnou
Jean-Pierre BEKOLO OBAMA
Jean-Pierre BEKOLO OBAMA

LM Fiction de Jean-Pierre Bekolo, France / Cameroun, 2006
Sortie France : 20 mai 2009

La sortie en France d'une fiction camerounaise, Les Saignantes de Jean-Pierre Bekolo, 2006, rappelle que les images africaines savent être audacieuses, visionnaires. "Choisir le cinéma que nous voulons pour nous les Africains est aussi une façon de définir un projet pour ce continent", martèle le réalisateur, investi dans la production et aujourd'hui la distribution du film. Cette démarche volontariste s'appuie sur une recherche formelle affirmée. Dès son premier film, situé à Douala, Quartier Mozart, 1992, Jean-Pierre Bekolo vise la rupture avec les codes des histoires africaines. Il le confirme en détournant le genre des films d'action dans une parodie percutante, Le Complot d'Aristote, 1996, agitée au Zimbabwe à l'occasion d'une série initiée pour les 100 ans du cinéma. Après la France où il a engagé ces productions, le cinéaste s'élance aux Etats-Unis où il étudie et enseigne. Il revient vers la société camerounaise en se demandant : "Comment faire un film d'anticipation dans un pays qui n'a pas d'avenir ?" Réponse esquissée par un travail sur le style pour relancer la vision du 7ème art.

"Les Saignantes est un film à l'image d'une Afrique à la recherche de son cinéma", avance Bekolo qui projette l'action dans les nuits de Yaoundé, en 2025. La chaleur des corps de Majolie et Chouchou emporte le récit. Look d'enfer et langage cru, les Saignantes en veulent. La première, gourmande de profits rapides, met tant d'ardeur à prodiguer ses faveurs à un dignitaire du pays, qu'il meurt. Embarrassée par le cadavre, elle fait appel à son amie pour trouver une échappatoire. Mais à l'heure des funérailles, on doit restaurer le corps avec la tête possédée par les Saignantes. La cérémonie mortuaire est pour elles, l'occasion d'approcher un ministre dominateur. La proie est dure pour les séductrices qui jouent les justicières en minijupes ajustées, manipulant les hommes à coups de caresses, revolvers, griffes et voitures lancées dans les nuits fluorescentes.

La revanche des Saignantes prend du sens et des couleurs avec le "mevungu". Ce rituel de purification réparateur des femmes Béties, en usage au Cameroun, permettant de se protéger en reconnaissant l'adultère ou le vol commis, est revendiqué en voix-off comme une référence. Car le présent désespérant du Cameroun est bien dans le cadre. Les Saignantes s'émancipent pour affirmer leur résistance au monde corrompu qui gangrène la société, exposant leur peau soyeuse pour donner corps à leurs rêves. En suivant leurs mouvements provocateurs et lascifs dans des espaces décalés, aux lumières froides, aux couleurs vives, Jean -Pierre Bekolo se plait à frayer avec le cinéma de genre, le polar, le fantastique. Par ses plans fragmentés, son rythme syncopé, il casse le récit, ralentit l'image sous la pulsion des corps pour en magnifier le mystère et l'aura.

L'esprit des Saignantes irrigue la réalité réinventée des nuits camerounaises à coups de répétitions, d'ellipses, de ruptures, de signes mythologiques. Bekolo expose la fiction comme une provocation, affirmant : "J'explore l'idée d'un cinéma d'anticipation et de projection. Sa forme se veut un contact avec une certaine jeunesse africaine qui rejette sa propre image, son propre cinéma, à raison." En réaction, Les Saignantes tire le meilleur parti des actrices, Adèle Ado et Dorylia Calmel, qui ont raflé le prix d'interprétation féminine au Fespaco 2007. Les comédiens masculins assurent. Mais l'intensité des personnages est exacerbée par le traitement du film qui brasse une atmosphère vénéneuse, morbide avec la vivacité des désirs, les méandres du subconscient. Tentative évolutive de miser ainsi le cinéma comme un jeu, où se perdre, où se dépasser.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)

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