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Triomf, de Michael Raeburn
Un si lourd secret à porter
critique
rédigé par Jacques Bessala Manga
publié le 18/05/2009
Jacques Bessala Manga
Jacques Bessala Manga
Michael Raeburn au 61è Festival de Cannes, 2008
Michael Raeburn au 61è Festival de Cannes, 2008
Michael Raeburn et son producteur, à Cannes, 2008
Michael Raeburn et son producteur, à Cannes, 2008
Triomf
Triomf
Michael Raeburn
Michael Raeburn

La déchéance d'une famille blanche de l'Afrique du sud raciste, alors que le pays est à la veille d'une nouvelle ère.

1994. Dans 5 jours auront lieu les premières élections démocratiques d'Afrique du Sud, que Mandela gagnera. La tension est grande dans le pays, et surtout à Triomf, une banlieue pauvre de Johannesburg, construite sur les ruines de Sophiatown où vivait auparavant la communauté noire. Ici vivent les Benade, une famille afrikaner blanche et pauvre. Le père, Pop, est retraité des chemins de fer. Sa femme, Mol, vendait des fleurs dans la rue. Leur fils, Lambert, est un jeune attardé, sujet à de violentes et fréquentes crises d'épilepsie. Oncle Treppie, quant à lui, répare des réfrigérateurs. Tous sont si inquiets du résultat des élections qu'ils sont préparés à une "grande fuite vers le Nord". Pendant que les Noirs font la fête dans l'attente de l'avènement du jour nouveau, l'oncle Treppie pense à offrir une fille de joie à son neveu Lambert. Désemparés, incapables de s'adapter à la nouvelle donne, celle d'une future cohabitation entre Noirs et Blancs, l'inévitable drame va survenir au sein de toute la famille Benade, dont le voisinage n'a jamais pu s'accoutumer du mystère dans lequel elle macère.

Tout commence lorsque la fille de joie refuse de se soumettre à Lambert, le jour même de son anniversaire. Partis faire une virée pour laisser la maison libre à Lambert, les Benade vont inutilement se faire peur dans les rues de Triomf, en croisant des bandes de Noirs, qui les invitent plutôt à la fête, qu'ils ne les font basculer dans l'apocalypse et l'exode que leur avait prédit un clochard noir qui habite la grande décharge. Déçu par ses peurs injustifiées, Treppie va se réfugier sur la colline, où l'y rejoindra Mol qui a pressenti arriver la catastrophe. Pris de remords, mais surtout imbibé d'alcool, Treppie va craquer. Les souvenirs d'un secret lourd à porter vont remonter à la surface, et exploser à la manière d'un volcan qui a longtemps couvé, libérant des scories brûlantes et destructrices d'un passé lourd à assumer. Les Benade ne sont pas une famille simple. Ils sont tous frères, unis pour les besoins de la cause, celle de cacher l'inceste entre Pop et Mol, eux-mêmes frère et sœur de Treppie, et dont Lambert est le fruit. Concentré de toute la malédiction qui plane comme une ombre, ce dernier, va craquer, et dévoiler au grand jour le lourd secret que porte cette famille atypique. Et causer par le fait même son implosion.

Le film se déroule comme dans une pièce classique : "Qu'en un lieu, en un jour, un seul fait accompli tienne jusqu'au bout, le théâtre rempli", selon la formule de Boileau. La scène principale de Triomf est la demeure exiguë, dans laquelle les Benade tournent en rond, comme des chiens en cage, prisonniers réels et virtuels de leur existence minable, hantés par cet apocalypse de l'élection d'un Noir à la présidence de la République d'Afrique du Sud. Avec pour seules escapades furtives, les virées de Treppie dans des bars mal famés du quartier, ou les fugues de Lambert vers un excentrique et lunatique clochard qui habite la décharge de Triomf. Subtile adaptation éponyme et particulièrement réussie du roman de l'écrivain sud-africaine Marlene van Niekerk, Triomf décrit l'angoisse humaine face à la crédulité et aux lendemains incertains. En dehors de l'histoire captivante et frissonnante, Triomf est servi par des décors très réalistes des banlieues de la nation Arc-en-ciel, que le jeu d'acteurs perfectionnistes permet de restituer dans une froideur déconcertante. Le découpage subtil du scénario permet en effet aux acteurs de restituer des scènes de vie ordinaire dans une intimité qui interpelle, loin des clichés dévalorisants de la violence urbaine qui ont eu cours dans les films sud-africains contemporains, et de la sempiternelle dualité Noirs contre Blancs. C'est en cela qu'il est résolument humain. Même s'il a été l'un des grands oubliés du dernier palmarès du festival panafricain du cinéma de Ougadougou, Triomf mérite d'être présenté aux publics prisonniers de leurs stéréotypes.

Jacques Bessala Manga

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