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Kherboucha, de Hamid ZOUGHI
Croisement de l'Histoire et de la fiction
critique
rédigé par Bouchta Farqzaid
publié le 28/06/2009
Bouchta Farqzaid
Bouchta Farqzaid
Mirage
Mirage
Soif, de Saad CHRAÏBI, 2000
Soif, de Saad CHRAÏBI, 2000
Saâd Chraïbi
Saâd Chraïbi
Le Regard (Blikett), de Nour-Eddine Lakhmari, 2004
Le Regard (Blikett), de Nour-Eddine Lakhmari, 2004
Nour-Eddine Lakhmari
Nour-Eddine Lakhmari
La chambre noire, 2004
La chambre noire, 2004
Hassan Benjelloun
Hassan Benjelloun
Chergui ou le silence violent
Chergui ou le silence violent
Moumen Smihi
Moumen Smihi
Adieu Mères (Imane Belhaj)
Adieu Mères (Imane Belhaj)
Mohamed Ismaïl
Mohamed Ismaïl
Kharboucha
Kharboucha
Le livre de Khalid El Khodari qui a inspiré le film Kharboucha
Le livre de Khalid El Khodari qui a inspiré le film Kharboucha
Hamid Zoughi
Hamid Zoughi
Houda Sidki
Houda Sidki

"Rien n'est éternel"
(L'une des Aïta de Kherboucha)

Ce que l'Histoire doit au cinéma marocain

Certes, le cinéma marocain n'a pas encore témoigné d'une fiévreuse appétence pour l'Histoire du Maroc, surtout de manière explicite. Néanmoins, l'intérêt pour cette celle-là, inégal selon les réalisateurs, s'est manifesté dans de nombreux films qui ont traité de la question historique, dont entre autres Mirage d'Ahmed BOUÄNANI, Chergui de Moumen SMIHI, Soif de Sâad CHRAIBI, Le Regard de Nour'Eddine KHMARI, La Chambre noire de Hassan Ben JELLOUN, Adieu Mères ! de Mohamed ISMAEL et Kherboucha de Hamid ZOUGHI (2008). Ce dernier film touche à une phase de l'histoire marocaine connue sous le nom de la "Siba", qui, semble-t-il, a été laissée longtemps hors champ.

Ce que le cinéma fait à l'Histoire

Telle l'Histoire, le cinéma est un acte de dire le monde et de jeter de la lumière sur des choses, des êtres, des faits, en vue de les assimiler et d'en tirer les leçons possibles. Grâce à des indices linguistiques, temporels, spatiaux, événementiels et vestimentaires, Kherboucha peut être appréhendé notamment comme une volonté de mettre en scène un Temps collectif : relation et connaissance des événements au passé. "Il ne s'agit pas seulement de Kherboucha, déclare Hamid ZOUGHI à la presse, mais d'un certain Maroc pas si lointain, où les gens circulaient pieds nus, tressaient leurs cheveux en nattes, méprisaient les femmes et vivaient sous le poids du Makhzen. J'ai envie que les gens prennent conscience du grand chemin que le pays a fait en 50 ans".
Or, par rapport à l'horizon d'attente du spectateur, un tel enjeu parait être irréalisable, du fait qu'il est très difficile de délimiter la frontière entre le cadre historique et le cadre fictif, qui s'imbriquent l'un dans l'autre se et confondent.

Il est évident que l'Histoire marocaine est manifeste à travers d'abord la présence de certains personnages, tels Kherboucha, le caïd Aissa Ben Omar El Ayadi et consorts. Elle l'est ensuite du fait de l'ancrage spatio-temporel, à savoir la région de Abda (Safi) au XIX° siècle et les deux tribus : Ouled Zaid dont est issue Kharboucha et où la plupart des femmes de son clan ont été décimées par les soldats de Tamra sur ordre du Caïd.
Cependant, l'image filmique est non seulement construite, mais "surconstruite" et témoigne d'un travail de codification pour produire du sens. C'est pourquoi la fiction semble l'emporter sur l'Histoire. En effet, le film doit se "lire" comme un récit classique où le thème de l'amour devient capital. Kherboucha, Zerouala, l'échevelée, est dotée de toutes les grâces. Femme à la voix envoûtante, elle incarne la passion, étant donné qu'elle aime et est doublement aimée par Ed Doukali ainsi que par Sid Hmed, le fils du Caïd.

Kherboucha, elle n'est pas seulement une femme. C'est un symbole. Car, sa voix et sa prose poétique lui confèrent un statut exceptionnel, à telle enseigne qu'elle se trouve assimilée au chant même de la "Aïta", qui est un chant oral, lyrique d'origine rurale et dont les thèmes sont assez variés : à savoir l'amour, la souffrance, la condition humaine, l'injustice…
Partant, le chant de Kherboucha, à la verve acerbe, s'inscrit dans la politique, dans la mesure où elle devient une parabole de toute lutte contre l'injustice et l'emprise de la peur. Elle est un "cri" face à toute forme de despotisme.

Il semble que, par ailleurs, Hamid ZOUGHI a opté pour la conception populaire du personnage de Kherboucha. En effet, cette dernière est rehaussée au rang d'une figure mythologique. Elle ressemble en partie à ce personnage tragique connu chez les Grecs : Antigone, qui a osé braver les lois prescrites par le roi Créon. Et Kherboucha, la revancharde, a blâmé le Caïd en sa présence, la nuit du mariage, et a fini par être enterrée vivante.
À vrai dire, le chant dans Kherboucha constitue, pour la femme au XIX° siècle, une prise de parole, qui est une "prise de pouvoir". Il lui a permis réellement et symboliquement de survivre en dépassant le cadre spatio-temporel de son siècle. Pour s'en convaincre, il faut citer le cas de son répertoire de ses chansons que le peuple marocain connaît parfaitement.
En outre, il faut reconnaître à la fiction de ZOUGHI d'autres avantages. À l'instar des travaux effectués par des chercheurs en la matière, elle permet de s'interroger sur une page de l'Histoire marocaine et sur des sujets qui, sans être tabous, n'étaient pas portés à l'écran.

Ce que doit être le cinéma ?

On suppose généralement que l'apparition du cinéma a réduit l'écart entre le spectateur et les événements du passé par les moyens assez performants dont il dispose, comme le dialogue, le costume, l'éclairage, le décor, les techniques (cadrage, échelle, angle de vue, composition de l'image…), le montage, les effets spéciaux, le son…etc. Or, le paradoxe inhérent au cinéma, outre la disproportion diégèse/narration, c'est qu'il fait disparaître son objet ou sa matière référentielle, tel Prométhée, pour en faire un simulacre ou un spectacle.

Au cinéma, il est admis que l'Histoire bénéficie d'un traitement particulier dans la mesure où elle se trouve mêlée au rêve et à la poésie, etc… Cette interférence des genres fait basculer le film du côté de l'art, non de la science. Car, faut-il le souligner, le film historique est sanctionné par le paradigme axiologique vrai/faux. Or, Kherboucha obéirait plutôt au critère de vraisemblable/invraisemblable et celui de l'esthétique. En somme, ce film n'a aucune réalité à induire. Il est sa propre réalité, c'est-à-dire sa propre référence et sa propre histoire. Mauvais historien, Hamid Zoughi s'est employé à nous raconter non l'Histoire, mais une simple histoire, une légende autour d'un personnage avec qui le spectateur partage des moments de plaisir et de dégoût. De ce fait, Kherboucha serait semblable à ces films "ontologiques" où les réalisateurs cherchent non à reproduire des épisodes de manière objective, mais à "universaliser un thème". ZOUGHI fait prévaloir, en effet, sa propre vision de Kherboucha, en tant que personnage et parole poétique.

Nonobstant ces remarques valorisantes, il serait bon de rappeler que, sur le plan de l'organisation (temporelle et événementielle), le film souffre de quelques déficiences, qui parasitent la réception. Certaines d'entre elles se présentent comme suit :
- Le décor : les tentes du mariage renvoient plutôt au XX° siècle (invraisemblables)
- Le chant : la Aïta qui devrait être dominante dans le film, tel un actant (un personnage), est reléguée au second plan
- Le scénario/ le montage : les unités de narration ne sont pas assez bien organisées ; en témoigne la disparition injustifiée du fils du Caïd, Sidi Hmed…

De là, des questions s'imposent quand même:
Kherboucha est-il un document historique fiable auquel peut recourir un historien ?
Ce dernier accorde-t-il la priorité en matière d'investigation à la source écrite/orale (le corpus de la Aïta) ou au document iconique ?
La fiabilité est-t-elle dépendante du sujet ou de l'objet ?
Quelle est l'intention de Hamid ZOUGHI : politiser ou distraire ?
Faut-il faire abstraction du contexte de production en parlant d'un film d'Histoire ?

En somme, Kherboucha n'est pas un film historique ou analogique. Loin d'informer objectivement, Hamid ZOUGHI donne à voir un personnage comme métaphore et comme mythe. Cela détermine bien la tâche du critique, qui est appelé à relever dans ce corpus un certain nombre d'éléments ou de symboles éparpillés, qui concernent le costume, la coiffure, les lieux, le lexique… pour en former une image dont l'influence n'est point négligeable. Ainsi, les trois niveaux de lecture dont parle Roland BARTHES sont incontournables, à savoir le niveau informatif, le niveau symbolique (signification) et le niveau sémiotique (signifiance).

Comme retour en arrière, Kherboucha ravive la mémoire et permet d'articuler le passé et le présent, et de questionner essentiellement l'ordre et la forme qui soutiennent les faits.

Bouchta FARQZAID

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