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Lieux Saints, de Jean-Marie Teno
Le cinéma africain en perspective
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 29/06/2009
Jean-Marie MOLLO OLINGA
Jean-Marie MOLLO OLINGA
Jean-Marie Teno
Jean-Marie Teno

Après Le malentendu colonial dans lequel Jean-Marie Teno explorait les rapports de l'Europe coloniale avec l'Afrique, le cinéaste camerounais réalise, au travers de Lieux Saints, un documentaire qui rompt avec l'esprit de ses films antérieurs (Afrique je te plumerai, Chef !, Vacances au pays, Le mariage d'Alex, etc.), où il scrutait les tares et déviances de la société ou, encore une fois, les rapports Europe-Afrique. Avec Lieux Saints (2009), il s'inscrit dans un travail de réflexivité, où le cinéma est à la fois l'objet et le sujet.
Dans le dispositif narratif de cette longue réflexion de 70 min ayant trait aux tenants et aux aboutissants du 7ème art en Afrique, Teno choisit comme décor, Ouagadougou. Principalement, un de ses quartiers, où il filme le quotidien de gens ordinaires, entre deux éditions du plus grand festival de cinéma du continent noir, le Fespaco, qui se déroule dans la capitale du Burkina Faso toutes les deux années impaires. D'où l'un des intérêts du film.
Et comme dans toute réflexion, les questionnements sont légion dans ce film de Teno. "Qu'est-ce qui marche ? Qu'est-ce qui va ?" S'interrogent de jeunes gens se plaignant du chômage. D'autres questions, relatives au cinéma, suivent : "Peut-on vivre du cinéma en Afrique ? Quelle est la place du public africain dans votre modèle économique ? Quel est le sens de votre visite dans ce quartier, surtout qu'on ne voit jamais vos collègues locaux ici ?" Pour répondre à ces questions et à bien d'autres, Jean-marie Teno va s'introduire dans le "paradis" de l'une de ses amies.

Comme à Jérusalem, la ville israélienne trois fois sainte, Teno va organiser son film dans un quartier, Saint Léon, lui-même coincé entre une cathédrale et une mosquée, autres lieux saints ou sacrés. C'est de là qu'il va confronter sa "vision du monde au regard d'un public averti", mais surtout s'interroger sur le rêve des "pionniers qui voyaient dans le cinéma un outil de divertissement et d'éducation des masses", pour, finalement, susciter un autre "débat sur le rôle et la place du cinéma en Afrique".

Le djembé et le cinéma

Pour outiller sa contribution à cette sempiternelle préoccupation, Jean-Marie Teno se sert de deux personnages. Le premier, au prénom chargé d'histoire, Jules César Bamouni, est artisan et professeur de musique africaine. Le second, Nanema Boubakar, est propriétaire d'un vidéo club, appelé abusivement ciné club.
Lorsque Teno choisit de suivre Jules César Bamouni dans sa fabrication d'un djembé, "le grand frère du cinéma", n'est-ce pas pour établir la similitude entre les deux instruments de communication, les deux frères, tout au moins au niveau de leur fonctionnalité ?
Au départ, le djembé "servait à chasser les oiseaux sans se déplacer". A présent, c'est un instrument qui appelle au regroupement de la population ; c'est un instrument de réjouissance, de communication, dont se "sert le griot pour dire aux gens les choses qu'ils ne savent pas". Nous retrouvons ici la finalité que Sembène Ousmane assignait au cinéma, cette école du soir qui devait former et informer la population. Bamouni ne reconnaît-il pas que "le cinéma pour moi c'est comme un griot qui passe de pays en pays pour porter son message" ? Exactement comme le cinéma !
En suivant la fabrication du djembé au travers de plans-séquences, Teno la rapproche indubitablement de la fabrication d'un film. La ficelle noire qu'on enroule et déroule prenant les allures et la configuration d'une pellicule ; le cercle autour du tronc pouvant être assimilé à un cadre, et la peau tendue à l'extrême pour donner le meilleur son possible pouvant être considérée comme un écran. Le sourire de Jules César Bamouni, lorsqu'il fait finalement résonner son djembé, ne correspond-il pas à la satisfaction prométhéenne du réalisateur qui fait, enfin, projeter son film ? Et de quel film s'agit-il ici ?

Autant "pour travailler le djembé il faut demeurer soi-même", autant pour intéresser les Africains au cinéma il faut faire des films dans lesquels ils se reconnaissent, des films où ils peuvent s'identifier, où ils peuvent se projeter, car "c'est ce qu'on vit qu'on voit", dit un des personnages de Lieux Saints. La preuve, l'accueil réservé à Yaaba d'Idrissa Ouédraogo au fameux ciné club tenu par Nanema Boubakar. Le djembé utilisé pour informer la population de la projection de ce film ainsi que les affichettes confectionnées pour ce faire participent de l'importance de la communication autour du film africain, aspect souvent inconsidéré et toujours négligé par les cinéastes du continent mais qui, s'il est introduit dans les budgets des films, peut contribuer à leur rentabilité. D'autres aspects, liés, par exemple, à la sécurité des spectateurs, pourraient également ramener les cinéphiles dans les salles. Une femme ne se plaint-elle pas des agressions au vidéo club ? "Il faut avoir la force pour y aller", dit-elle.

Malgré l'absence de force dans le traitement d'un sujet intéressant à plus d'un titre, Lieux Saints a le mérite d'explorer la question du cinéma africain dans son espace mythique de Ouagadougou, en dehors du Fespaco. Symboliquement, il pose la question d'un cinéma par rapport à son public, à l'absence de public. Et les réponses initiées par Idrissa Ouédraogo appelant à impliquer l'ensemble des opérateurs du 7ème art africain, sans exclusive, se situent dans cette perspective cavalière. Dans Lieux Saints, le cinéma sert le cinéma, sans se l'aliéner.

Jean-Marie MOLLO OLINGA

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