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Parution : Samba Félix Ndiaye. Cinéaste documentariste africain
par Henri-François Imbert. Paris : Editions L'harmattan, 2007
critique
rédigé par Thierno Ibrahima Dia
publié le 08/07/2009
Henri-François IMBERT, Réalisateur, Universitaire et écrivain français
Henri-François IMBERT, Réalisateur, Universitaire et écrivain français
Samba Félix NDIAYE, réalisateur sénégalais.
Samba Félix NDIAYE, réalisateur sénégalais.

Le cinéaste Samba Félix Ndiaye (qui vit et travaille désormais à Dakar) s'est exclusivement consacré au documentaire depuis trente ans et son oeuvre marque l'Histoire du cinéma. Film par film, l'essayiste français Henri-François Imbert analyse l'oeuvre de son confrère sénégalais en articulant esthétique et engagement éthique. Henri-François Imbert livre ainsi non seulement une monographie essentielle pour comprendre les démarches cinématographiques africaines mais aussi un manifeste sur les enjeux du cinéma documentaire contemporain.

Un grand cinéaste

Samba Félix Ndiaye, cinéaste documentariste africain offre le premier portrait de l'auteur-réalisateur-producteur sénégalais dont tous ceux qui ont approché l'œuvre reconnaissent son importance capitale dans l'histoire du cinéma. L'entreprise est intéressante aussi par la personnalité de l'auteur, Henri-François Imbert [1], lui-même documentariste et qui avait publié en 2006 un récit de voyage autour de son long métrage Doulaye, une saison des pluies (1999).
L'ouvrage est adapté de sa thèse qui porte le même nom éponyme soutenue à l'Université Paris 8 Saint-Denis le 03 décembre 2005, sous la direction de Serge Le Péron (réalisateur de J'ai vu tuer Ben Barka [2]). Son Doctorat en Esthétique, sciences et technologies des arts Cinéma et audiovisuel obtenu, il est depuis Maître de Conférences à Saint-Denis. Il suit en cela le sémiologue André Gardies qui avait fait en 1987 sa thèse de doctorat sur les cinémas africains dans la même université, et l'a publiée ensuite [3].
Il n'est pas vain de signaler que c'est à Paris 8 aussi où Samba Félix Ndiaye a obtenu du reste sa maîtrise de cinéma.

En dépit d'approximations gênantes et d'une méthodologie surprenante, ce livre réussit son but : mettre en lumière le cinéaste Samba Félix Ndiaye [4] qui fait des documentaires depuis trente ans et apporter une réflexion intéressante sur les enjeux contemporains du cinéma documentaire.

Méthodologie

Le livre ne traite pas uniquement de Samba Félix Ndiaye ; son corpus est plus large. Il incorpore le cinéma colonial ainsi que les premiers documentaires africains (jusqu'à 1972, soit douze ans après les indépendances). Il est divisé en deux grandes parties.

La première partie (pour un tiers de l'ouvrage) porte sur "les premiers cinémas documentaires en Afrique Noire".
Dans un premier temps l'auteur analyse "le cinéma ethnographique de l'époque coloniale". S'il nuance ainsi le cinéma colonial français (puisque son choix est d'étudier un cinéaste documentariste de l'aire Afrique Noire francophone) c'est parce qu'il différentie trois démarches.
Il y a celle militante, anticolonialiste de René Vautier, Alain Resnais, Chris Marker, qui vient après celle de Rouch qui relève elle du cinéma ethnographique (qu'il scinde en deux). Le cinéma ethnographique fait par des scientifiques est la seconde démarche (après le cinéma anticolonialiste). Et enfin à l'opposé, existerait une (fausse) ethnographie exotique, de divertissement, proposée par des sortes d'explorateurs (films d'amateurs ou de cinéastes-voyageurs).

Dans un second temps, Henri-François Imbert - pour compléter ces premiers cinémas documentaires - parle des "premières formes du cinéma documentaire africain" en s'appuyant sur Paulin Soumanou Vieyra (Sénégal), Mustapha Alassane (Niger) et Richard de Medeiros (Bénin).

La seconde partie, qui occupe les deux tiers restants du livre, traite de l'œuvre de Samba Félix Ndiaye en cinq sous-parties. La première présente très rapidement le cinéaste sénégalais, puis les quatre autres sous-parties analysent de manière chronologique ses films en les regroupant par deux ou trois autour de thématiques : "Filmer pour témoigner du réel" (Perantal, 1974 ; Geti Tey. La pêche aujourd'hui, 1978 ; Trésors des poubelles : Les malles, Aqua, 1989), "Le film comme acte de création" (Dakar-Bamako, 1992 ; Amadou Diallo, un peintre sous verre, 1993 ; Lettre à l'œil, 1993), "Le cinéaste et son éthique" (N'Gor, l'esprit des lieux, 1995 ; Lettre à Senghor, 1998), "Le cinéaste et la construction d'un collectif" (Un fleuve dans la tête, 1998 ; Nataal, 2002 ; Rwanda pour mémoire, 2003).

Les quatre annexes valent le détour avec un entretien avec Samba Félix Ndiaye, suivi de la filmographie la plus complète jamais faite sur lui, puis une filmographie (de 1957 à 2004) des cinéastes sénégalais cités dans l'ouvrage, pour finir avec le quatrième annexe : "Résultats d'exploitation des films d'Afrique Noire francophone en France de 1968 à 2003".

Pierre Schoendoerffer, Georges de Beauregard, Pierre Laval…

Le parti pris de mettre l'accent sur le contexte colonial est très enrichissant. Henri-François Imbert propose un exceptionnel travail d'analyse. Les études sur le cinéma colonial français ont pour la plupart privilégié le Maghreb sinon l'Algérie et très peu parlé de l'Afrique Noire. Les premiers films de Marcel Griaule font l'objet d'une lecture intéressante qui révèle un détournement : son producteur adopte une bande-son paternaliste et triomphaliste, aux antipodes de la volonté de l'ethnologue qui, lui, voulait montrer la richesse de la culture des Dogons. Le premier film de Jean Rouch, Au pays des mages noirs (1947), subit le même sort désastreux. Les ethnologues auraient une timidité à l'égard de l'institution cinématographique, selon le mot de Marc-Henri Piault [5], cité par Imbert. Après ces balbutiements, les ethnologues passeront le cap pour devenir véritablement cinéastes. Cependant tout comme Claude Lévi-Strauss, ils se gardent de remettre en cause le principe même de la colonisation et ses dérives, préférant la quête du sauvage authentique. Si Imbert rappelle la célèbre phrase de Sembène qui disait à Jean Rouch que le cinéma ethnographique regarde les Africains comme des insectes, il présente le cinéma rouchien avec bien trop de bienveillance. Certains auteurs plus hardis (comme Jean Arlaud, ethnologue et cinéaste, même s'il nuance que Rouch n'en est pas le maître à penser) en font le père des cinémas africains. Il faut rappeler que Les Maîtres fous (1962) avait provoqué l'ire de Marcel Griaule et du cinéaste sénégalais Paulin Vieyra qui lui avaient demandé de détruire le film (position trop extrême, de mon point de vue).
À côté de ce cinéma qui se voulait scientifique, il y en avait un autre d'essence exotique dont les auteurs étaient amateurs (voyageurs, administrateurs coloniaux) ou professionnels (Jacques Dupont, Serge Ricci, Pierre Schoendoerffer réalisateur important, avec des collaborateurs comme Georges de Beauregard, producteur célèbre pour son rôle dans la Nouvelle Vague, ou encore l'opérateur Raoul Coutard qui sera essentiel au cinéma de Jean Rouch). Ce second cinéma portait les stigmates du racisme, du déni culturel, de la manipulation et un regard exotique, comme l'étudie Imbert.
Les deux seuls films français ouvertement anticolonialistes connus à ce jour viennent nuancer le cinéma fait sous la colonisation. Faits par des cinéastes exigeants et aujourd'hui toujours consacrés, ce sont Afrique 50 (René Vautier, 1950) ainsi que Les statues meurent aussi (Chris Marker et Alain Resnais, 1953). Imbert ne souligne pas la participation de la Société Africaine de Culture (S.A.C. : Dakar/Paris) comme producteur du film de Resnais et Marker. La SAC a comme fondateur le Sénégalais Alioune DIOP qui avait impulsé en 1947 la revue Présence africaine et puis les éditions du même nom. De même Afrique 50 reçoit le soutien actif (à l'insu des colons) des militants du RDA [6] en Côte d'Ivoire. Activement recherché par la police coloniale, René Vautier me raconta (lors d'une rencontre à Paris en 2003) qu'il se cacha… sous terre (ses complices africains creusent un trou et le recouvrent prestement, cela se passe à Dakar dans le quartier de la Médina au Sénégal). Il y a donc très tôt en Afrique une conscience claire des enjeux du cinéma et de l'importance de la représentation.
Une entrave majeure pour l'accès des Africains à la caméra n'est pas rapportée par Imbert. C'est le décret Laval de mars 1934. Pierre Laval, célèbre pour sa collaboration plus tard avec Adolf Hitler, fit adopter un décret qui encadrait sévèrement tout tournage (de propagande ou pas) en Afrique.
Afrique sur Seine (Paulin Vieyra, Mamadou Sarr et Jacques Mélo Kane, 1955) est tenu pour être le premier film négro-africain, ce qui n'est pas exact. Il y a eu avant Mouramani (1953) du Guinéen Mamadou Traoré, La Leçon de cinéma, de Albert Mongita (Zaïre, 1950), voire d'autres encore antérieurs à Madagascar : La mort de Rasalama (par Raberono) tourné en 1937 pour le centenaire de Rasalama, la première martyre chrétienne malgache, tuée le 14 août 1837. Afrique sur Seine souffrira du décret Laval : les réalisateurs ne pouvant tourner en Afrique, faute d'autorisation, ils prendront des images à Afrique 50 de René Vautier. Ce premier court métrage fiction (qui se donne des airs documentaires) a le paradoxe d'être produit avec le concours du Comité du Film Ethnographique (Paris).
Les premiers films africains n'arrivent pas aisément à se défaire du parrainage de l'occupant européen et de l'idéologie coloniale qu'ils perpétuent ; c'est l'une des parties les plus maîtrisées de l'étude de Imbert.

Flottement méthodologique

Le champ africain francophone que propose Imbert n'inclut pas l'aire belge qui parle aussi le français (en dépit de la querelle tribale Wallons contre Flamands).
L'auteur met son travail sous le registre de l'analyse et prétend s'éloigner de la critique. La démarche de l'ouvrage s'apparente à de l'histoire du cinéma sans l'assumer clairement, ce qui entraîne un fort flottement méthodologique. Au fil du livre, Imbert opère un glissement de l'analyse vers la critique en proposant ses opinions sur les films. Ce qui laisse voir qu'il n'a pas une maîtrise de l'ère culturelle choisie où règne la diglossie avec le wolof et le français.
Le wolof est la langue courante, majoritaire des Sénégalais. Si le français a été imposé après la colonisation comme langue officielle par le président Senghor, il n'est pas la langue vernaculaire au Sénégal. Dans Un fleuve dans la tête (1998), Imbert ne peut dire si le personnage en off parle à Samba Félix Ndiaye en wolof ou pas. En outre, dans l'imaginaire sénégalais, la ville de Koulikoro (Mali) est l'équivalent de "Perpète-les-Ouailles" en France, l'analyse faite des images de ce terminus de train dans Dakar-Bamako (1992), sur la force coloniale peut donc paraître forcée pour un lecteur sénégalais.

Ici apparaît une des grandes curiosités de l'étude. Imbert a la chance de travailler sur un auteur vivant dont on dispose de très peu d'éléments. Au lieu de l'interroger sur ce genre de doutes, il préfère d'abord faire une analyse pleine d'hardiesse de ses films, puis effectuer à la fin de son travail une série d'entretiens (filmés) qui seront retranscrits en annexe. Ce qui conduit à beaucoup de subjectivité dans l'interprétation puisque Imbert privilégie une approche culturaliste (sans disposer des clés de lecture). Ce qui donne moults passages où il écrit : "il semble que Samba Félix Ndiaye veut dire ici que…", "c'est comme si Samba Félix Ndiaye voulait dire…", "Peut-être que...".
Si en analyse de films, le documentaire relève d'une complexité plus grande que la fiction, il n'en demeure pas moins que tout ce qui est montré (ou pas) sert l'analyste. Ici l'exercice aurait été intéressant si Imbert était parti du principe de soumettre son corpus à la même distance critique, scientifique, que celui de tout autre documentariste. Le rôle exagéré de guide qu'il donne au cinéaste Mambéty (témoin interviewé) dans le film Lettre à Senghor (1998) traduit mal la relation forte (qu'il appréhende pourtant globalement bien) entre Ndiaye et Mambéty. Sa méconnaissance du président Senghor l'empêche de voir tout l'apparat consensuel qu'utilise Samba Félix Ndiaye dans son moyen métrage où il va jusqu'à contredire (dans son commentaire) l'écrivain Abdou Anta Kâ, ami et conseiller culturel de Senghor, qui dit que le président-poète (objet d'une mythification) était finalement loin des Sénégalais.

Imbert est dans le tout contexte, sans réellement appréhender véritablement tout le contexte. Ainsi la difficulté de diffusion de l'œuvre de Samba Félix Ndiaye n'est pas assez contextualisée. D'abord c'est un documentariste, or le documentaire est devenu le parent pauvre au cinéma avec le court métrage depuis les années 70. Il passe au long métrage (Ngor l'esprit des lieux, 1994) qu'après vingt ans de carrière; le format court est un genre à part entière et pas des plus faciles car il faut aller à l'essentiel en peu de temps. Fait en super 16 mm, Ngor l'esprit des lieux n'a pas été distribué en salles : il a été produit pour la télévision, dans le cadre de soirées Théma spéciales sur l'Afrique pour Arte, la chaîne franco-allemande. Le second long métrage (tourné comme le premier lui aussi en super 16 mm, donc en conditions cinéma), Rwanda pour mémoire (2003), relève d'une autre complexité de diffusion car en France, principal marché de distribution des films africains, ce génocide au Rwanda est l'objet de débats houleux (même aujourd'hui 15 ans après). Les autorités françaises, impliquées dans le génocide hutu (visant Tutsis et Hutus démocrates), sont accusées de négationnisme par des associations citoyennes et personnalités françaises ; une amnésie/relecture qui se fait avec le soutien de médias importants et réputés indépendants dont Libération et Le Monde [7].

Il y a un manque de structures d'exportation, de volonté de distribution autour de ces cinémas africains. La part d'héritage du déni culturel chez certains décideurs est réelle. L'Afrique est toujours réduite aux strapontins. Au dernier festival de Cannes 2007, il n'y avait aucun film africain dans les sélections officielles ; dans les réalisateurs choisis pour le film du festival seul y figurait Youssef Chahine qui a une posture plus méditerranéenne qu'africaine. S'il est célébré par certains festivals, l'œuvre de Samba Félix Ndiaye n'a pas eu de vie probante en salles ni en DVD pour le moment. Imbert note que les festivals de Cannes, Rotterdam, … ne lui ont pas encore accordé l'attention attendue. Sa production arrive au moment où le documentaire fait une percée dans les salles à la fin des années 90. Cependant le cinéaste sénégalais ne fait pas de long métrage entre 1995 et 2003 (année où se clôt les analyses du chercheur français). Si l'on observe bien, le documentariste camerounais Jean-Marie Teno sort à nouveau en 2002 Afrique, je te plumerai (1992), profitant ainsi de cette vague.
Imbert restreint le cercle des documentaristes africains francophones, en n'incluant pas totalement Jean-Marie Teno qui a le tort (aux yeux du chercheur français) d'avoir de la fiction à son actif dont le très beau long métrage Clando (1996). Cependant, si Samba Félix Ndiaye a une place prépondérante, Jean-Marie Teno a une production qui a été plutôt bien mieux distribué (par sa société de distribution/production : Les films du Raphia, Paris/Mèze) [8]. Pourtant, Samba Félix Ndiaye, ne fait pas une partition étanche entre documentaire et fiction, sa sœur joue le rôle d'une passagère ordinaire du train dans Dakar-Bamako (1992), comme le relève Imbert du reste. Dans son projet d'école de cinéma à Dakar, il préfère parler de cinéma du réel plutôt que de cinéma documentaire.

Les conclusions sur la fréquentation (d'après les chiffres obtenus auprès du Centre National de la Cinématographie à Paris) qui figurent en annexe sont gravement faussées pour la décennie 1991-2000. Des films essentiels ne sont pas pris en compte. L'auteur français arrête le bilan à 365 774 entrées et occulte par exemple Le ballon d'or (1993) du Guinéen Cheik Doukouré qui aligne 171.144 entrées à la fin de son exploitation en France. Son analyse globale est donc à prendre avec précaution, d'autant plus que la constitution de son corpus de films référence n'est pas méthodologiquement très claire (pourquoi tel film et pas tel autre ?), pas correctement argumentée.

Un Africain n'est pas forcément Sénégalais

La notion de "cinéaste africain" est une vraie problématique. Mama Keïta, réalisateur producteur, mais aussi critique de cinéma, parle d'"appellation d'origine non contrôlée". Chez les écrivains africains aussi, la question est entière, surtout ceux de la diaspora qui veulent se définir comme écrivain tout simplement, ou alors Sénégalais et Français ou Congolais et Belge, Burkinabé et Italien, voire Français tout court… C'est pareil dans tous les autres domaines : arts plastiques, musique.
C'est pour échapper à l'amalgame des représentations occidentales qui représentent souvent l'Afrique comme un (seul) pays. Un Sénégalais est forcément Africain, le contraire ne l'est pas : on peut être Africain et pas du tout Sénégalais. Une nationalité continentale donne un miroir grossissant gommant les différences qui viennent s'annuler par la grâce de la langue héritée du joug colonial. Jean-Michel Frodon a témérairement sauté le pas en affirmant qu'il n'y a pas de cinéma national en Afrique : il n'y aurait qu'un seul et unique cinéma, qui serait en plus africain, nègre [9]. Michèle Lagny est plus nuancée [10]. À l'époque, figure de proue du cinéma dit africain, le Burkinabé Idrissa OUÉDRAOGO estimait amèrement dans le Hors Série de Télérama consacré aux Cinquante ans du Festival de Cannes que "cinéaste africain on naît, cinéaste africain on reste" [11].

Que cet aspect très sensible de la catégorisation des artistes africains échappe totalement à H.-F. Imbert - qui en fait le titre de sa thèse et maintenant de son ouvrage - est très gênant. En effet, à aucun moment il ne fait écho à cette polémique. Sa seule justification réside dans la nationalité ainsi qu'une sensibilité de S.F. Ndiaye à l'Afrique.
Pourtant son analyse va aller dans le sens contraire en posant la ville de Dakar (ou Paris) comme base du réalisateur : tous ses films débuteraient à Dakar, exceptés Un fleuve dans la tête, Rwanda pour mémoire et Lettre à l'œil. Ce dernier - dont le titre qui renvoie au Kino Glaz : "ciné œil" de Dziga Vertov - se passe à Paris dans le quartier du cinéaste. Dakar-Bamako (1992) débute à Dakar même s'il se termine à Koulikoro au Mali.
De même, il recense une filmographie sénégalaise et pas africaine, des réalisateurs cités, dans ses annexes.
Le dernier film du cinéaste sénégalais vient donner une réponse plus ferme sur sa position africaine. Il s'agit de Questions à la terre natale. Imbert l'annonce dans son livre : il sera diffusé sur ARTE en février 2007. Les réponses à ses questions, Samba Félix va aller les chercher pas seulement au Sénégal mais aussi en Afrique de l'Ouest, ce qui veut dire que sa terre natale est plus large que le pays de la Teranga ("hospitalité", en wolof).
Cependant, interrogé par le site Africiné pour le besoin de cette recension sur sa sénégalité, Samba F. Ndiaye confie volontiers se définir comme un "cinéaste africain".

Un regard occidental

Revendiquant un regard d'Occidental sur un cinéaste sénégalais, Imbert en porte les tares. Par moments, F.-H. Imbert fait des lectures curieuses. Il ramène ainsi la présence d'un infirmier, ou plus précisément la présence sanitaire (dans Geti Tey, 1978) comme un apport occidental (page 150). En vérité, cela va lui servir pour mieux asseoir son analyse qui fait contraster la présence dans le village de Kayar d'un seul infirmier (même pas un médecin !) - pour trois mille habitants voire même six mille pendant la saison de pêche - et de plusieurs stations services qui vendent du carburant (occidental). Or, quand Samba Félix Ndiaye note qu'il n'y a qu'un dispensaire et un infirmier - par contre plusieurs marques de pétrole sont représentées - sa critique retentit dans un Sénégal indépendant depuis quinze ans (le rappel est fait par l'auteur français dans la même page). Donc sa critique est politique ; le documentariste sénégalais souligne plutôt une absence d'État (critique que l'on retrouve en filigrane dans nombre de films sénégalais, africains, où l'État n'est présent que comme force de prédation) et qui laisse les populations à la merci d'un capitalisme forcené.

Sans aller jusqu'à l'identifier au Polonais Ryszard Kapuściński qui s'abandonne à des simplifications extrêmement graves sur les Africains dans son livre de souvenirs [12], l'auteur de ce portrait de Samba Félix Ndiaye ne garde pas toute la distance critique et scholastique nécessaire dans ce genre d'entreprise et sur ce terrain africain.
Sur la fin de son étude, Imbert reste beaucoup trop sous la dictée de Nar Sène dont l'ouvrage sur le cinéaste sénégalais Mambéty [13] est du même ressort que Samba Félix Ndiaye, cinéaste documentariste africain : la lecture finit par prendre le pas sur le matériau filmique et la personnalité du cinéaste. On entend beaucoup plus la voix d'Imbert que celle de Samba Félix Ndiaye.
Curieusement, dans le corps de son étude, c'est l'interview du cinéaste sénégalais avec Jean-Pierre Garcia (directeur du festival d'Amiens) qui est beaucoup plus citée que les entretiens de l'auteur qui sont placés en annexe. L'autre paradoxe c'est qu'Imbert ne cite presque pas - ou alors furtivement (à la page 129) - son propre travail de documentariste ("africain") avec Doulaye, une saison des pluies.

Il faut regretter que même s'il exclut l'Afrique du Nord de son étude, Imbert ne signale pas les autres documentaristes qui existent comme le Tunisien Hichem Ben Ammar [14] qui ne fait que du documentaire : Cafichanta (2000), Rais labhar (Ô ! Capitaine des mers, 2002) et J'en ai vu des étoiles (2006), de même que l'Égyptienne Jihan El Tahri [15] qui a notamment signé La maison des Saoud, ainsi que le solide Cuba, une odyssée africaine ; pour ne citer que ces deux-là.


Un travail très important

Le travail important d'Imbert sur la distribution des films africains servira pour d'autres études sur ces cinémas, même s'il n'est pas précis dans ses analyses globales.

Cet ouvrage intervient au moment où le centre de gravité de la recherche n'est plus en France ou en Belgique, mais aux Etats-Unis (à défaut d'être en Afrique, où les arts sont les parents pauvres de l'université), ce qui n'est pas la moindre de ses qualités.
Presque au même moment, le Sénégalais Samba Gagjigo, qui enseigne les littératures et cultures africaines au Massachusetts, publie une conséquente biographie [16] de son compatriote, le cinéaste et écrivain Sembène Ousmane (1923-2007). L'œuvre de ce dernier a donné lieu au plus grand nombre d'écrits et de travaux sur les cinémas africains : articles de presse, revues, mémoires, thèses et livres font florès.
Une certaine activité éditoriale et scientifique vient prolonger et questionner les cinémas africains ainsi que ceux qui les font. Trois monographies ainsi qu'une thèse en cours de finition, des numéros spéciaux de revues, articles, hommages portent sur Djibril Diop Mambéty (Sénégal, 1945-1998). Des ouvrages existent sur Med Hondo (Mauritanie), … En 2009 a paru une monographie sur Sembène en français par la revue Africultures (n°76) et en italien par les éditions Il castoro (Milan) et le Festival de Milan.

Cette étude de Samba Félix n'est pas encore la meilleure qu'on aurait pu espérer. L'auteur lui-même se veut modeste dans ses intentions : il souhaite d'autres approches, d'autres regards. Il a le grand mérite de s'être intéressé à un cinéaste important et peu diffusé. Il apporte une information complète sur sa filmographie. La patience notoire d'avoir retrouvé des films perdus par le cinéaste lui-même est à saluer avec vigueur.
Voici donc un livre à lire, pas seulement pour comprendre Samba Félix, le cinéma sénégalais, les cinémas africains voire le cinéma tout simplement, mais surtout pour saisir la complexité du monde.

Thierno I. DIA

Une version plus courte de cette recension a été publiée par le site de Non-fiction, à lire [ici]


Henri-François Imbert - Samba Félix Ndiaye. Cinéaste documentariste africain. Paris : L'harmattan, coll. "Images Plurielles, 2007, 360 pages. ISBN : 978-2-296-03862-2 - octobre 2007 - Prix éditeur : 31 € / 203 FF / 20 300 francs CFA

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