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Et si on filmait le théâtre burkinabè…
critique
rédigé par Saïdou Alceny Barry
publié le 13/07/2009
Saïdou A. Barry
Saïdou A. Barry
Aminata Diallo Glez dans Kadi Jolie, série réalisée par Idrissa Ouédraogo
Aminata Diallo Glez dans Kadi Jolie, série réalisée par Idrissa Ouédraogo
Le Commissariat de Tampy
Le Commissariat de Tampy
Quand les éléphants se battent
Quand les éléphants se battent
Le Monde est un ballet
Le Monde est un ballet
Le Monde est un ballet
Le Monde est un ballet
Le Monde est un ballet
Le Monde est un ballet
Dani Kouyaté
Dani Kouyaté
Mogo-Puissant
Mogo-Puissant
Mogo-Puissant
Mogo-Puissant
Mogo-Puissant
Mogo-Puissant
Mogo-Puissant
Mogo-Puissant
Mogo-Puissant
Mogo-Puissant
Ousmane Aledji
Ousmane Aledji
Abdoulaye Dao
Abdoulaye Dao

"Pas d'épousailles du théâtre et du cinéma sans extermination des deux", décrétait Robert Bresson, assis sur une expérience de cinéaste de plusieurs décennies. Mais les noces sanglantes annoncées par le vieux réalisateur n'ont pas eu lieu. Le théâtre a fourni au cinéma de grands réalisateurs comme John Cassavetes, Elia Kazan, Orson Welles, Fassbinder…et, aujourd'hui, le cinéma met ses moyens techniques au service des metteurs en scène de théâtre. Mais qu'en est-il du théâtre et du cinéma au Burkina Faso ?

Pendant un long temps ces deux arts se sont regardés avec méfiance; les réalisateurs tournant au village utilisaient les paysans qui, à leurs dires, ont un jeu naturel contrairement aux comédiens de théâtre qui transposent au cinéma un jeu affecté et une théâtralité inutile. Les hommes de théâtre aussi regardaient avec une certaine morgue le cinéma, ce frère ennemi qui saucissonne le jeu du comédien et supplée au déficit de créativité par une débauche de moyens techniques.

Depuis quelques années, cependant, il y a un rapprochement entre ces deux arts. Le cinéma se fait plus urbain dans ses thèmes, les séries télé utilisent le français au lieu du sous-titrage et les réalisateurs font appel aux comédiens de théâtre. Avec Kady Jolie d'Idrissa Ouedraogo, Le commissariat de Tampy de Missa Hébié, Quand les éléphants se battent d'Abdoulaye Dao et les longs métrages Mogho Puissant de Boubakar Diallo et Le Monde est un ballet de Issa Traoré de Brahima, le casting fait la part belle aux comédiens de théâtre. Dans Quand les éléphants se battent, ce sont Prosper Kompaoré, Jean Pierre Guingané et Amadou Bourou, les trois figures tutélaires du théâtre burkinabé qui s'invitent au cinéma comme acteurs. De même Bourou rend la politesse en invitant Abdoulaye Dao et son rétro projecteur dans Propos coupés décalés d'un Nègre presque ordinaire. Et le CITO accueille Le Prodige de Nora avec une mise en scène de Dani Kouyaté qui amène les images de cinéma sur la scène. On peut dire que l'étanchéité des genres n'a plus cours dans ces deux arts de monstration au Burkina. Mais au-delà des échanges de civilités et des furtives incursions du cinéma au théâtre, il faut dire que le septième art peut énormément contribuer à l'essor du théâtre. Comment ? À travers le film de théâtre.

En effet, filmer le théâtre permet de fixer un art par essence éphémère et labile, et d'en garder la trace pour la postérité. Par là, le cinéma conserve le répertoire et donne à chaque troupe une mémoire et une histoire vivantes. Par ailleurs, le film permet au spectacle de théâtre d'entrer dans les foyers à travers la télé et les supports CD ou DVD et d'élargir ainsi son auditoire lilliputien.

Seul le film de théâtre pourrait restituer la magie des spectacles de théâtre des années 90 s'ils avaient été adaptés. Je pense à Antigone de Sophocle monté par l'ATB (Atelier Théâtre Burkinabè) en 1987. On y voyait un Créon, bloc d'insensibilité qui élevait la raison d'État au dessus de tout, même de l'amour filial. La Loi primant l'humain. Ce document filmique, s'il eut existé, aurait permis de voir dans le regard du spectateur burkinabé de 1987, retrouvant dans une tragédie hellène vieille de plusieurs siècles, la douloureuse histoire du 15 Octobre avec ses hommes enterrés à la sauvette, nuitamment à Dagnoen, sous une mince couche de terre et sans sépulture.

Je me souviens aussi de Pier Gynt de Ibsen monté par le Théâtre de la Fraternité et qui fut accueilli triomphalement en Norvège en 1992. Refusant de voir les adaptations antérieures, Jean Pierre Guingané avait créé une mise en scène originale donnant à la pièce norvégienne une nouvelle jeunesse.
Je pense enfin à Ici la vie est belle de Ousmane Alédji, joué par Marbassaya. Justine Savadogo incarnait le personnage principal, une femme dont le corps et l'esprit sont profanés par la guerre civile et la dictature. Un film de théâtre aurait capté sur la pellicule le visage de Piéta de la comédienne, aujourd'hui disparue, tel un Saint suaire conservant le visage de l'actrice principale.

Il est vrai que les hommes de théâtre craignent que le cinéma ne dénature leur art. Au théâtre, il n' y a pas de triche. À chaque spectacle, le comédien se met en danger car lâché sur scène tel un gladiateur dans l'arène, il ne peut attendre d'aide de personne, même pas du souffleur. Le trac, le trou de mémoire, le balbutiement ou la fatigue du corps le guette. Ce qui fait du théâtre un art charnel, vivant dont les acteurs tirent une légitime fierté et un sentiment de supériorité sur le cinéma. Il faut néanmoins souligner que le film de théâtre peut préserver cette essence du théâtre et ce danger à travers le direct. En plus, la caméra fixe imitant l'œil du spectateur, la profondeur de champ et le plan séquence permettent de sauvegarder la théâtralité.

Le film de théâtre peut même amener un supplément, une plus- value de théâtralité au spectacle. Quand la caméra monte sur scène et circule au milieu des acteurs, elle donne plus de vie et de tension dramatique. Le plan/contre plan de deux visages ou le gros plan d'une lèvre frémissante véhicule plus de charge émotionnelle et dramatique que la meilleure tirade de Corneille ! Il suffit de voir le film du dernier spectacle d'Ariane Mnouchkine Le dernier des caravansérails pour s'en convaincre. La traversée des boat people dans une mer en furie est plus saisissante grâce aux ressources du cinéma.

Le cinéma aussi peut tirer grand profit du théâtre. Le théâtre peut offrir de la matière au cinéma burkinabé qui peine à trouver des scénarios forts. Dani Kouyaté a réalisé sa meilleure œuvre avec une adaptation d'une pièce de théâtre de Ousmane Diagana, Sia, le rêve du Python. Shakespeare a connu plus de 200 adaptations au cinéma : Orson Wells avec Macbeth, Othello et Akira Kurosawa avec Ran et Le château de l'araignée ont offert les meilleures transpositions. Surtout Kurosawa avec ses adaptations où le hiératisme du Nô et le Code d'honneur des samouraïs donnent aux tragédies élisabéthaines des accents d'universalité.

On peut rêver à l'alliance d'un réalisateur et d'un metteur en scène burkinabé qui s'empareraient de La Ceriseraie ou de Oncle Vania d'Anton Tchekhov pour en faire une adaptation libre qui enrichirait le patrimoine universel avec une couleur locale.
Pour le pays hôte du Fespaco et de trois grands festivals de théâtre, il est incompréhensible que les épousailles entre cinéma et théâtre tardent. Il nous urge d'entendre dans un théâtre, "Moteur, on tourne".

BARRY Alceny Saidou

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